Jeunesse corrompue

        Le commerce du plaisir était chose parfois dure à entretenir. Il fallait choisir ses employées avec soin pour être rentable, tout en découvrant des perles rares qui sauront varier les choix. Tout comme les commerces ont ses saisons, parfois la maison close de l'androgyne traitait avec beaucoup de clients, d'autres fois non. Mais jamais la place n'était vide et l'établissement, bien que ne roulant pas sur l'or, était parfaitement rentable.

        Et comme dans tout commerce, un roulement s'imposait parfois dans les employés. En ce matin pluvieux, Raiko rencontrait une jeune femme de son clan intéressée par le domaine. Le bellâtre lui avait donné rendez-vous à son bordel, avant même que les filles ne soient réveillées. Les derniers clients venaient à peine d'être chassés.



        Et tandis qu'il parlait, Raiko se tenait parfaitement droit, le buste légèrement de côté et les paumes posées sur les genoux. Sa posture, il l'avait apprise des plus grandes. S'il n'avait pas été homme, peut-être aurait-il fait une magnifique dame.

Chevelure faussement attachée en bataille, sourire radieux au visage, Jun pénétra dans l'enceinte du bordel. Quelques gouttes d'eau perlaient le long de son kimono, vestige de la pluie matinale qui endeuillait présentement Kumo.

La jeune femme huma. L'odeur du plaisir et de l'alcool imbibait encore les murs de l'établissement. Bientôt, son homonyme Miwaku, propriétaire des lieux, entra dans son champ de vision. Elle ne plia nullement l'échine devant lui, mais veilla à ne pas l'offenser non plus. Pas qu'elle ait d'ailleurs quelque chose à lui reprocher. C'était bien Miwaku Raiko tel qu'on lui avait décrit.



Son ton était rieur, son visage malicieux. Elle était et paraissait tout à fait à l'aise. Sans être une simple formalité, Jun se sentait complètement apte à réussir cet entretien. Plaire était une ligne de conduite chez les Miwaku. C'était là un fait accompli. Alors elle plaisait. Et elle le savait.



Le profit. Lui, petit homme Miwaku, doit être bien éveillé sur la notion. Après tout, chez eux, naitre homme c'était comme être lésé dès la naissance. Il fallait compenser autre part. Et Miwaku Raiko avait semble-t-il... Compensé.

        Jun réveilla en Raiko une curiosité dont il ne s'était pas douté. À quelques points près, la jeune femme qui se dressait devant pensait comme lui. De plus, elle était grande, elle était belle, elle était dans la fleur de l'âge. Son assurance était voluptueuse et son discours clair mais étonnant. Rares étaient pour Raiko de rencontrer des gens de son propre clan acceptant la voie qu'avait emprunté le bâtard ; unique devenait cet entretien.         L'androgyne étira son sourire discret, celui qui le caractérisait, et ses yeux pétillèrent d'envie.



        Parlez par énigme était un trait de caractère du bellâtre, son discours devenant bien souvent évasif. Mais d'autres fois... Avec la curiosité venait la méfiance. Eut-il commencé de sourire que déjà, il se renfrognait. Ses fins sourcils se froncèrent légèrement et son regard devint froid. Jamais que Raiko ne perdait le contrôle de sa colère, du moins pas devant des inconnus. Néanmoins, les filles qui travaillaient pour lui depuis quelques années connaissaient ce ton neutre et le redoutaient.



        Raiko s'avança de quelques pas et de sa grande silhouette effilée la toisa de haut.

Ses réponses lui avaient semble-t-il plu, puisque le sourire de Raiko s'étira d'avantage. Jun s'en reput mais son visage resta inchangé. Son air taquin et enjoué lui donnait un côté innocent. Pur.



Des leurs. Des gens en général. Il pouvait interpréter ses paroles de la manière qu'il voulait. Ce n'était pas tant de la présomption ou de l'effronterie. Plutôt un mélange d'audace et d'assurance, le tout saupoudré d'un soupçon d'honnêteté.

Un changement d'attitude soudain s'opéra chez le Miwaku mâle. Jun s'en étonna, mais la surprise ne l'entrava en rien. Sa tête pencha légèrement sur le côté. Curieux. Ça rajoutait du piquant à l'échange.



Entre temps, le gérant des lieux s'était rapproché de la jeune femme. De bons centimètres les séparaient l'un de l'autre. Aussi prit-elle l'initiative de plonger son regard dans le sien. Par défi, par assurance, par culot.

        Raiko resta de marbre. Le proxénète n'était que de six ans son ainé mais il sentait qu'il pourrait considérer Jun comme sa fille. Néanmoins, l'entretient n'était pas encore terminé.



        Une question qui pouvait paraître bête aux premiers abords mais qui avait son importance, lorsque Raiko décidait d'embaucher. D'une part, il ne voulait pas de jeunes pucelles prêtes à tout pour se convaincre d'être des femmes ; d'une autre, il voulait trouver cette fraîcheur, cette naïveté qui charmerait le client. Dur était parfois le bon choix, souvent Raiko s'était trompé. Mais rares étaient les erreurs qui l'affligeait encore.
        Le bellâtre se retourna et s'éloigna, présentant son dos à la jeune femme. Puis, sur un ton anodin, comme une commodité, il questionna le plus sérieusement du monde :