Le dernier client

Le Maître des Plaisirs
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En cette ère de conquête de la septième année, tous s'accordèrent enfin sur la mort de l'intraitable bâtard. La rumeur en étonna d'ailleurs plus d'un, car nul ne sembla croire à la fin de celui qui s'acharnait à vivre. Pourtant, Raiko avait bel et bien tiré sa dernière révérence et dans cet acte final, le rideau était enfin tombé.

Ceux qui découvrirent le corps furent les badauds du petit matin, ceux-là même qui se remettaient encore d'une nuit torride dans les quartiers du plaisir. Une femme nue avait accourue, gémissant sur l'inconscience prolongée de son maître. Ils avaient répondu à son appel, non pas par solidarité mais plutôt pour observer d'eux-mêmes cette incroyable nouvelle. Rapidement entassés dans la petite pièce qui empestait d'une odeur fétide, nul n'osèrent ainsi profaner le corps tant la scène semblait irréaliste. Digne jusqu'à son dernier souffle de son sang Miwaku, l'enfant honni du clan exposait à qui pouvait le regarder son corps pâle et décharné. La tête renversée dans ses coussins colorés, son visage méconaissable s'était crispé dans un désagréable sourire morbide. Il n'y avait rien de beau dans la mort du bâtard mais malgré tout, les spectateurs ne pouvaient détournés leurs regards subjugués. Sous tous ses masques, le Roi Geisha n'avait été qu'un homme : Raiko avait succombé aux vices dont il vendait tant les mérites ! Tant bien que mal, on retira la pipe noircie d'opium de ses raides serres.

Pour l'inconnu, cela ne serait sans doute qu'une folle nuit dans un coin de débauche. Pour les amateurs, ils assistaient aux vestiges d'un des derniers princes de la luxure... Les secrets qu'emporterait un jour dans sa tombe la jeune femme éplorée feraient l'objet des ragots pendant un moment, avant que les complots dont semblaient se nourrir Kumo ne finissent par engloutir toute interrogation sur les véritables capacités du fils indigne. Nul ne pleurerait évidemment Miwaku Raiko, une triste vérité que même le plus fou des hommes ne saurait ignoré.

Une fin abjecte pour un être abjecte...

Publié le 13 Août 2019 vers 03h

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Dialogue de personnage
« Rai... Raiko-chan... »


On sursauta lorsque la voix de baryton fit éclater le silence. Les yeux se tournèrent vers l'imposante silhouette qui surplombait de son incroyable monture le corps maigrichon de la dépouille. Hattori Baoru, un homme qui appartenait à la partie sombre de Kumo, semblait être le seul dans la pièce à exprimer de son énorme faciès une tristesse profonde et véritable. Une fois le choc passé, les larmes inondèrent d'ailleurs ses yeux.

Baoru transpirait la sueur et semblait s'essouffler au moindre de ses sanglots. Tout son être respirait la démesure et par son incommensurable surpoids, il tenait plus du porc que de l'homme. Un porc bien gras qu'on aurait gavé du luxe que seuls de riches marchands d'opium pouvait s'offrir... Bien connu dans le monde interlope de la nuit, Hattori Baoru possédait un appétit inégalé pour la chair, les drogues et l'alcool. Après tout, on ne devenait pas aussi gros sans s'empiffrer de nombreux vices...

Il se disait d'ailleurs que Buta no Kumo, le cochon du nuage, était le seul véritable allié de la vipère Miwaku. Avec férocité, il s'était évidemment imposé dans le marché de l'opium devenant l'unique importateur de la malfamée maison de Raiko. Une main sur le yeux pour masquer ses pleurs, ainsi se terminait sa trop longue amitié avec le Roi Geisha. Dans le mot service régnait le vice et des services, le gros et le petit en avaient fournis...

Ce fut qu'une fois qu'on posa un drap rouge sur le corps exposé du Miwaku que Baoru remarqua qu'il n'avait pas bougé. Sans prétendre être dérangé par l'odeur que dégageait désormais le mort, il se tourna vers la seule personne encore présente à ses côtés. Le regard de la jeune femme qui s'était réveillée dans l'emprise cadavérique de Raiko était l'un que reconnaissait bien Baoru. Dans ses veines coulait son opium de première qualité. Du revers de la main, Baoru s'essuya les yeux et sorti les dents, son épaisse langue lui humectant les lèvres.

Dialogue de personnage
« Merci Raiko-chan. Au moins, tu me donnes un cadeau d'adieu des plus mignons ! »

Publié le 13 Août 2019 vers 03h

Le Maître des Plaisirs
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Enfin, c’était ce qu’il avait fait croire.



L’ennuie, les tourments amoureux, l’absence de changement, avait eu raison de la patience du Bellâtre. Il avait alors imaginé un Kumo sans lui, le fils indigne, l’héritier de la honte. Une vie loin de Hattori Nori, une vie loin des intrigues de l’Empire, une vie loin de sa propre identité. Mais s’il devait partir, il devait le faire avec panache. Une dernière scène, une dernière provocation.

Le Miwaku avait sélectionné l’un de ses sosies afin le premier rôle de son spectacle. Le premier et le dernier. Prétextant un jour de congé en charmante compagnie, il avait empoisonné son reflet, et l’avait fait passé pour lui. Tous avaient alors cru en la mort du Prince des Prostitués et de l’Opium. Tous, sauf certains élus, qui continuait de gérer ses établissements, et lui envoyait par les voies de l’ombre la juste part des bénéfices.

Une fois ainsi mort, le Bellâtre se mit en quête de sens, et de vengeance. Dans son ultime contemplation, il disparue dans l’Empire, empruntant identité sur identité, tel un fantôme dans un empire de nuage… invisible. Partir pour mieux renaître. Renaître pour mieux reconquérir.

Publié le 10 Septembre 2020 vers 18h