Gros comme un Baoru [ouvert]

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Un dicton régnait dans le monde interlope des nuits de Kumo : si tu demandes trop, tu vas devenir gros comme un Baoru. Dans les imaginaires des novices, le Baoru était sans doute un monstre de tous les vices, capable d'engloutir une cité entière pour satisfaire son goût de débauche, tant métaphoriquement que physiquement. Puis, à ces novices, on présentait ce qu'on entendait par Baoru et ils s'exclamaient tous « Buta ! » lorsqu'ils faisaient face à l'immense pièce de viande qu'était le Roi des Porcs. Ce qui étonnait toujours était cette énorme main que présentait le marchand d'opium, une main qui engloutissait toujours dans un bruit de succion celle que l'on lui tendait. Une patte graisseuse de l'huile des fritures dont il s'empiffrait à longueur de journée, semblait-il. Baoru avait toujours vu son poids comme un signe de succès et s'en vantait souvent. Son propos le plus indigne marquait toujours : seul le traître de Buichi possède ma carrure !

Aussi, ne fut-il pas surprenant de retrouver le gras bonhomme attablé dans une cuisine à aire ouverte, le dos courbé au-dessus de ses innombrables assiettes. De quelques lampées, il engouffrait son bol puis le déposait sur un monticule qui ne semblait cesser de s'accumuler. Il mangeait si vite que les quelques bouffées d'air qu'il attrapait résonnait comme le bruit que faisait un noyé. À sa mort, les médecins téméraires qui ouvriraient son énorme cage thoracique trouverait sans doute quelques repas tombés au creux de ses poumons... Puis son bras, tel un tentacule, cherchait un nouveau bol. Dans ses gros doigts boudinés, les baguettes toutes petites résistaient miraculeusement à la pression.

Dialogue de personnage
« Fiiiioooouuu ~ Ce fut bon ! »


Un air satisfait sur son rond visage, Baoru se redressa, ses grosses paluches tapotant son énorme bedaine. Le Kumo no Buta considérait toujours de bon augure de pouvoir manger à satiété. Sa journée serait prometteuse. S'il en croyait les quelques charlatans qui disait prévoir l'avenir avec un fond de soupe, le marchand d'opium ferait une rencontre extraordinaire... Extra-extraordinaire, car des bols de soupe, il en avait avalé plus d'un !

Son addition réglée, il se mit en route.

Publié le 13 Août 2019 vers 04h