Personne ne pourrait prédire ce qui pouvait arriver, lorsque Aïko croisait la route d'un humain. À tout moment, elle pouvait perdre le contrôle, et l'attaquer. Et si jamais cela arrivait, il devrait se défendre, fuir, ou mourir. Lorsque la bête est déchaînée, son attention n'est focalisé que sur une seule chose : sa proie. En toute logique, ce jeune homme devait partir. Et c'est en toute illogique qu'il ne le fit pas. Pour une raison qu'elle ignorait, celui-ci semblait bien déterminé à rester, pour venir en aide à la monstre aux écailles. Était-ce de la folie de sa part ? Non, la seule folie était la sienne. Celle qui la poussait à souffrir, à se blesser, au risque de tuer et répandre le sang.
La Minashigo risqua un nouveau regard, en direction du prétendu médecin. Il tentait de rentrer en contact avec elle, d'établir un rapport de confiance entre elle et lui. Il posait même un genou à terre. Son sang ne fit qu'un tour.
« Position de faiblesse... »
Cette voix résonnait, alors qu'elle se tenait le crâne. Elle ne voulait pas céder, mais il était vrai que dans cette position, il pourrait difficilement réagir s'il lui prenait l'envie de lui sauter dessus.
Néanmoins, elle n'avait rarement vu un humain aussi bienveillant envers elle. Peut-être était-ce car il ne l'avait pas encore vu complètement. Il s'attendait à parler à une humaine, pas à une abomination.
« Si... Si jamais je sors... C'est dangereux. Pour vous... Relevez-vous, je vous en prie... »
Elle essayait bien de l'écouter, et de se concentrer sur sa voix à lui. Cela restait néanmoins dangereux. Elle ne voulait pas blesser une personne qui cherchait à lui venir en aide. Tout comme elle ne souhaitait pas qu'il la considère ensuite comme un monstre. Sa prochaine interrogation la fit néanmoins frémir. Si elle entendait des voix ? Voulait-il vraiment savoir que ces voix qu'elle entendait, lui exigeait la mort de ce pauvre médecin ? Et puis, il la considérait humaine ? C'est alors qu'il n'avait, effectivement, pas bien vu à qui il avait à faire.
Elle ne trouvait pas les mots pour lui expliquer, mais restait tout de même concentrée sur sa voix, comme il lui avait indiqué de faire. D'une certaine manière, il pensait que ça pourrait l'aider, et cela se pourrait bien. Tant que les voix dans sa tête ne prennent pas le dessus, c'était bon.
Alors qu'elle se concentrait sur la douce voix de son visiteur, elle fut surprise de l'entendre se mettre à chantonner une berceuse. Une berceuse aux paroles plutôt bien ciblées, à certains couplets, au sujet de la situation d'Aïko. Elle profitait de cette mélodie, apaisant un peu sa peur et ses craintes. Elle passait sa main le long de son bras, la peau brisée sous ses dents. La douleur la brûlait, mais elle restait attentive au chant du garçon. De toute manière, ce n'était pas comme si elle n'était pas habituée à avoir des blessures comme celles-ci...
Lorsqu'il termina, la jeune femme restait silencieuse, calme. Elle hésitait. S'enfoncer dans cette cavité, ou bien se risquer à sortir en présence d'un individu humain ? Sa peur s'était peu à peu transformée en curiosité, si bien qu'elle fit quelques pas dans la lumière du jour, montrant son physique atypique à son interlocuteur. Il pouvait y voir ses écailles sur son visage, ses deux cornes ainsi que sa queue, mais aussi ses griffes.
« Je... Je n'ai rien d'une humaine. »
La Minashigo observait la main tendue, mais ne la saisissait pas. À vrai dire, elle craignait à tout moment de déraper, bien que la douceur de sa voix, de ses paroles, ainsi que de son chant, semblait avoir légèrement apaisé son état de crise.
« J'entends des voix, oui... Elles me réclament du sang, et la mort. Elles veulent que je vous tue. Mais... Je n'en ai pas envie, j'essaye de me contrôler, mais... c'est très difficile. Je ne veux faire de mal à personne... »
Prenant sur elle, elle eut le courage de relever son regard, afin de le regarder un peu plus dans les yeux. Rares étaient les fois où elle pouvait se permettre de regarder un homme dans le blanc des yeux, mais elle avait besoin qu'il voit clairement ce qu'elle était réellement, afin qu'il ne se fourvoie pas. Il devait prendre conscience du danger.
« Votre voix a quelque chose d'apaisant. Votre chant est profond, et sincère... Mais voyez-vous, je n'apporte que la peur, le sang et le carnage. Je n'ai aucun amour à offrir, ni même à recevoir, et personne n'est disposé à me protéger, tout comme je ne suis disposée à protéger personne. Vous êtes la première personne qui chante pour moi, mais sans doute la dernière également. Les hommes ne peuvent m'accepter pour ce que je suis... Et je ne peux que les comprendre. »
Cette fois-ci, à des pensées comme celles-ci, la voix dans sa tête ne vint pas l'interrompre. D'ordinaire, ce sujet peut mener à des crises, d'une certaine intensité. Il n'en était rien cette fois, comme si la voix de ce garçon avait quelque chose de bien plus mystique qu'il n'y paraîtrait. Était-ce seulement sa bienveillance, qu'il retranscrivait dans sa voix ? Ou quelque chose d'autre ?
« Et maintenant que vous voyez ce que je suis réellement, qu'allez-vous faire ? Comprenez-vous mieux le danger que je représente ? Vous pouvez partir, je ne vous en tiendrais pas rigueur. C'est d'ailleurs ce que je vous conseillerai... »
Aïko regardait le sol, d'un regard triste, tout en tenant son bras blessé.
« Lorsque la voix reviendra, elle ne sera pas contente de vous voir toujours en vie. Elle va me faire perdre la tête. Vous ne méritez pas ça... »
Et il était donc préférable qu'il s'en aille. C'était mieux pour tout le monde. Il devait se concentrer sur sa survie, plutôt que sur la situation désespérée de la jeune Minashigo.