Disparût.
Voilà ce qui était arrivé au Bellâtre au beau milieu de l’an 7. Par lassitude, il s’était posé un matin, regardant l’horizon. Amer, il contemplait l’horizon en se demandant inlassablement comment il en était arrivé là. Sa vie lui avait échappé, filant entre les doigts de ses mains délicates. Il avait perdu de son importance à Kumo, il n’avait plus de buts, plus d’intrigue. Son amant lui avait tourné le dos, et lui apparaissait alors comme ne venant vers lui que pour chercher un brin de réconfort. La routine de ses maisons closes lui avait ôté toute surprise, tout rebondissement. Il avait fait le tour de ce qu’il y avait à faire dans cette ville, dans cette vie. Il lui était même venue l’idée saugrenue de partir lors d’une nuit de pleine lune, avec un poison lent réduisant lentement son rythme cardiaque, avant qu’il ne tire son dernier soupir dans ce monde qui n’avait rien pu lui offrir.
Il avait trente ans passé, et il n’avait réussi à rien faire de véritablement concret dans cette vie. Il ne s’était pas élevé, il n’était pas devenu quelqu’un. Et il ne pensait pas le devenir un jour en restant ici. Il était né Miwaku, alors on lui refusait les atours de la noblesse. Il était né homme, alors il ne pouvait prétendre à la direction de son clan. De part sa nature elle-même, il ne pouvait rien entreprendre sans aller à contre-courant. Et il se devait de tenter autre chose.
Alors, cette même journée, il désigna plusieurs gérants pour aller ouvrir d’autres endroits, à la recherche d’une vie meilleure. Peut-être avait-il seulement ressenti le besoin d’errer en posant sa marque un peu partout, dans chaque endroit civilisé et ayant du potentiel qu’il croisait. Cela l’avait fait grandir.
Mais aucun plaisir qu’il avait pu goûter, aucun établissement à succès qu’il avait pu faire naître et prospérer ne lui avait apporté un sentiment de satisfaction. Il était devenu quelqu’un, d’important et de riche, mais il avait encore ce vide dans son cœur, qui ne semblait pouvoir arriver à satiété. Alors, presque trois ans après son départ, il retourna chez lui, à Kumo. Là où tout avait commencé. Avec un espoir bien maigre de trouver une réponse, un sens à sa vie, dans cet abysse d’intrigue et de jeu de pouvoir qui lui était tant familier.
Mais certaines réponses pouvaient réveiller des émotions, sans qu’il ne puisse réellement savoir si elles étaient agréables ou désagréables. Un mélange fin et subtil des deux. Le Bellâtre affichait un sourire agréable à l’unique raison de ses émois.
« Comme si tu t’étais contenté de me rechercher… »
L’Androgyne n’ignorait pas que l’Hattori avait dû avoir moult conquêtes, et aventures, de qualité plus ou moins importantes. Il avançait vers l’oiseau bleu, d’un pas lent et assuré, comme si ce dernier pouvait s’envoler au moindre geste brusque. L’éphèbe lui, se contentait se camoufler derrière un éventail, ses émotions prudes et interdites ayant besoin de faire barrière avec cette réalité. Il sentait ce parfum sauvage et masculin si particulier, l’attirant comme un insecte serait attiré par le foyer dansant d’un feu au cœur de la nuit.
« Me revoir… J’imagine… »
Le ton était bercé d’une mélancolie rare, dont le Bellâtre ne faisait démonstration qu’à des gens proche. La plupart aujourd’hui décédés. Après tant de période de froid et de tension, sa mère lui manquait. Cette femme qui lui avait tant appris, et qui lui avait tant volé.
La remarque du Hattori brisa le court silence éloquent du Miwaku. Il se contenta de lui répondre d’un sourire doux.
« Groseille et Lilas… Tu as toujours eu don fait d’apprécier le parfum que je porte, sans jamais en saisir la véritable essence. »
Mais la signification de ce dernier devait sûrement lui échapper. C’était un art que l’on réservait à ceux qui devait apprendre à séduire. Le lilas symbolisant la beauté juvénile, les premières émotions amoureuses, d’autant plus lorsqu’il est violet. La groseille sauvage était quant à elle, un fruit rafraîchissant, doucement sucrée et légèrement acide, et extrêmement prisée en période estivale. Parfais pour l’accompagnement. Alors, on pouvait comprendre la signification subtile du compliment du Hattori. Ainsi que toute l’ironie de la situation.
Lorsque l’on connaissait un peu plus l’histoire de l’amour interdit qui liait les deux hommes, cette alchimie et attraction constante entre ces deux êtres, on pouvait alors comprendre à quel point ce compliment lui faisait plaisir, et le faisait souffrir. Vivre dans l’ombre, même jusque dans sa relation, tel était son destin. Et c’était ce qu’il avait fait partir.
Lorsqu’il eu terminé, l’éphèbe descendit des escaliers, laissant son amant de toujours derrière lui. Il s’avança vers le comptoir, ou il fixa la victime du Hattori.
« J’ai besoin de quelque chose. »
La voix résonnant dans le hall faisait peser un lourd silence dans le hall. Éloquent, et suscitant le dévorant désir d’en savoir plus. Lentement, et à sa manière bien particulière, le Bellâtre se retourna vers l’homme qui lui avait volé tant de nuit. D’un mouvement habile, il ferma son éventail.
« D’une nouvelle sonnette ~ »
Il se cacha ensuite gracieusement le visage avec son bras drapé de soie. Un simple sourire taquin sur son visage. L’Androgyne souffrait, mais il se montrait sous son plus bel atour. Il ne fallait rien laisser transparaître dans ce monde sombre, dont il avait tant de fois dépeins la cruauté.
« Est-ce pour moi, où est-ce pour toi que tu es venu jusqu’ici ? »
La question était lourde de sens, lorsqu’on savait que le Hattori pouvait faire preuve d’un terrible égoïsme. Tout comme le bâtard pouvait en faire preuve. L'histoire, entre eux, ne rencontrait jamais son point final.