Ils entendaient.
Mais personne ne l’écoutait. Personne ne le comprenait. L’ex-tornade de Feu du village était désormais plongée dans un abysse de solitude. La seule personne qui avait réussi à se connecter à son cœur était partie, trop tôt, sans même pouvoir observer ses progrès. Il y demeurait en lui un grand vide, l’absence d’une figure de proue, capable de lui montrer le chemin à suivre. Un navigateur, pour le faire sortir de ce triangle des Bermudes mental qu’étais le long chemin de l’adolescence.
Il se sentait seul, car son chemin à lui était devenu atypique. Son avenir, brouillé. Il n’avait aucune idée de ce qu’il allait pouvoir devenir. De sa nouvelle identité qu’il devait se créer, à partir de ce qu’il restait de lui. Il se sentait étranger, à lui-même, et à ses amis. Comme une rupture brutale entre lui et les autres. Un abysse les séparant, et dont les maigres liens n’étaient plus que des souvenirs communs. Alors s’il aurait préféré mourir ? La réponse lui semblait évidente. Pourtant, tout le monde lui sommait de vivre, et de continuer dans cette souffrance. « A quoi bon ? » Était une question qui ruminait dans son esprit. Pourquoi vivre, alors que toute sa vie s’était effondrée ? Il n’avait simplement pas les ressources pour faire face à ce défi, immense, qu’était la reconquête de sa destinée.
Du peu que Seitô arrivait à suivre, Kano avait raison. Et il le savait. Il était dépositaire d’un héritage bien trop lourd pour ses désormais frêles épaules. Une mission que Risako aurait dû superviser, des progrès qu’elle aurait dû observé. De l’arme qu’elle aurait dû lui offrir, et du serment de chevalier qui lui aurait fait. Il aurait voulu la servir elle, et personnellement. Devenir quelqu’un, son digne héritier. Mais tout c’était arrêté subitement, brutalement, tel un couperet funeste s’abattant sur son destin. Il se sentait en échec, mis à mal, sans possibilité de s’en sortir.
Et cette idée lui était insupportable. Insupportable comme le reste de son corps misérable. Il n’arrivait plus à rien. Il faisait du surplace. Il n’avançait pas, il régressait même. Et c’était cette vision, destructrice et assassine, qui nourrissait la noirceur de ses pensées. La lumière s’était éteinte avec Risako et son fils. Et, plongé dans le noir, il n’y voyait aucune fin à son tourment.
Ou juste une, mais définitive.
Voyant visiblement qu’il n’échappera pas à son destin, le rouquin pesta d’une voix sévère.
« Ne fuyez pas ! Vous n’avez pas le droit de fuir, de me tourner le dos ! Lâche ! »
Seitô serra les poings. Il était envahi d’une colère froide, et d’un regard semblable à celui de sa mère dans ses mauvais jours : d’acier.
« Vous écrasez tout sur votre passage, impitoyablement. Votre femme et votre fils viennent de mourir, j’ai perdu ma vie à cause de vous, je vous hais, et vous persister à n’en faire qu’à votre tête, à n’écouter que vous. Ma mère vous a donné son autorisation, mais pas moi. Et c’est de moi qu’on parle, à ce que je sache ! »
Avec un regard de rage, de fanatisme et de soif de justice, voir de vengeance, il fixait le Hokage.
« Vous êtes comme Gekido : Vous êtes un monstre ! Vous êtes comme les hommes qui ont tué mon père ! Vous n’avez aucun respect pour les vôtres ! Vous voyez ceux en-dessous de vous comme des insectes à votre service ! Vous ne méritez pas votre titre ! Vous n’avez aucun honneur ! Aucun sens de la justice ! Je déteste les tyrans comme vous ! Mon père c’est battu pour empêcher ça ! Contre ça ! C’est injuste ! »
Les yeux du garçon devinrent humides. Sa gorge se serra, son cœur le faisait souffrir, tandis qu’il haletait tant son discours lui demandait du souffle.
« J’avais confiance en vous. J’avais mis ma vie au service de Konoha et du Hokage. Shinji-sama vous a fait confiance. Et regardez ce que vous avez fait ! Vous avez tout détruit ! Tout saccagé ! Il reste plus rien ! »
Le jugement était sévère, mais il avait besoin de sortir. Comme un exécutoire, un face-à-face inévitable.
« Vous m’avez trahi ! Vous vous êtes moqué de moi ! De ce que j’étais ! Vous avez piétiné mes rêves ! Ma vie ! Vous avez trahi Shinji-sama ! Personne n’a plus confiance en vous, et vous vous accrocher comme une bête à votre pouvoir inexistant car c’est tout ce qui vous sépare du monstre que vous êtes réellement. »
Le rouquin respirait. Fort, et vite. Son souffle était court, intense, comme s’il avait couru un marathon.
« Vous faites honte à votre titre de Hokage ! Vous faites honte à la république ! »
Silence. Haletant, le Genin se tenait le plexus. Il avait mal, il avait peur, et surtout, il était en colère. Une colère sourde, son regard noir comme si habité par un démon. Il était révulsé contre cette situation. Mais cela était plus profond qu’une lourde lamentation sur son état physique. Il était le digne fils de sa mère, un zélé d’une justice et d’une vision idéaliste de ce que devait être la république. Un état de droit, prospère et aimant. Trop jeune, trop fougueux, il n’avait pas la distance nécessaire pour comprendre pourquoi Kimino était toujours là. Il n’avait pas la sagesse de discernement, son raisonnement était manichéen. Trop parfait pour la réalité.
Il était une pierre brute, un joyau immature.
Le garçon attendait la réaction du chef du village, de son ami. Son discours était une réalité qu’il avait enfouie depuis le premier jour. Sa haine était féroce contre ce système dont le sens lui échappait.