Le Bellâtre se glissa lentement, mais sûrement, jusqu’à un siège devant l’Empereur. De là, il prit discrètement place, dans une posture élégante, écoutant attentivement la réponse de son prestigieux interlocuteur. Visiblement, son visage affichait toujours un sourire agréable, mais intérieurement, l’éphèbe jubilait. Il connaissait Hidemi, il avait conscience de ce qu’elle allait faire à ce moine fou, qui avait osé déranger par ses aboiements la famille impériale. Et nul doute que l’oiseau bleu se poserait non loin de là, pour déguster toutes les minutes de sa longue humiliation.
C’était un des plaisirs secrets de l’androgyne, il se délectait de la longue agonie de ses adversaires. Il aimait les voir se débattre par la simple force physique, de tromper la petitesse de leur esprit. Il était un adversaire redoutable, pouvant détruire sans même dépenser une once de chakra, pouvant tuer sans même dégainer la moindre lame. Il était un Seigneur de l’Ombre, et sa plus grande force était d’être invisible aux yeux de ses ennemis. Il n’était pas devenu cruel, perfide, et ambitieux par hasard, mais par nécessité. Pour réussir dans l’Empire en tant qu’homme et Miwaku, il fallait savoir se distinguer de tous. C’est d’ailleurs ce qui lui avait valu d’être assis ici, à cette table, à avoir cette conversation avec cet homme.
Le Bellâtre écoutait la complainte du Raikage, qu’il partageait en tout point. Son clan bien-aimé était tombé bien bas pour voir ses si précieuses filles être réduites à devenir de simple putain. L’Okasan actuelle était visiblement inexistante, les barons des vices incontrôlables, les soldats indisciplinés… Masashi perdait-il le contrôle ? Certains y verraient un désastre, une calamité. Mais le Bâtard était du genre à percevoir la situation comme une opportunité. Il appréciait l’œuvre de Masashi, la conquête intelligente. Vaincre sans même devoir dégainer. Hélas, les idiots le servant se complaisait dans leurs toutes-puissances. L’épée de Kumo c’était émoussée. Le pouvoir ne tenait plus qu’à sa réputation. Fort heureusement, le peuple était trop idiot pour briser cette mascarade désorganisée.
« Permettez-moi de vous rassurer, votre Majesté. Ce voyage était loin d’être aussi oisif qu’il n’y paraît. Ma disparition était une condition sine qua non d’une réussite qui, je vous l’assure, vous apparaîtra comme un indispensable à vos objectifs, et donc aux objectifs de l’Empire. »
L’éphèbe plongea ses yeux azurés dans le regard d’or de l’Empereur. Il avait grandi avec Masashi. Il l’avait étudié, et appris comment il réfléchissait, comment il percevait le monde. Dans un agréable sourire, il commença à dévoiler le premier acte.
« Raikage-dôno, vous n’êtes pas sans savoir que le quartier des plaisirs, et les barons d’empire criminels s’organisent aujourd’hui en 4 pôles. L’alcool. La drogue. La prostitution. Et le jeu. C’est un équilibre qui fut, et demeure rigoureusement respecté. L’un ayant besoin de l’autre pour survivre, et inversement, la guerre entre ces différentes mafias est plutôt rare, même exceptionnelles. Elles agissent dans une sorte de coopération étrange, un jeu malsain, où chacun défend sa part du gâteau, et essaye de grappiller celle de l’autre. »
« Je le sais, car je me suis longtemps illustré comme un des Princes de la Prostitution, au grand dam des miens. Sans fondement. Mes établissements et ce pôle furent exemplaires jusqu’à mon « décès ». Une preuve inéluctable de mon efficacité, mais aussi d’une faiblesse dans l’Empire. Rien n’empêche l’un des Princes d’agir contre les intérêts de Kumo, et c’est une des raisons de mon départ. Et de mes actions. La protection de « l’équilibre » qui tenait tant à cœur à mère. Et je demeure, hélas, son unique, et illégitime légataire. L’échec amer de l’Okasan actuelle nous le prouvant sans peine »
La vérité était tout autre. L’Androgyne devait s’illustrer, gagner plus d’influence, plus de pouvoir. Il voulait jouer à ce jeu dangereux, et gagner par-dessus tout. C’était la raison même de son départ. Son leitmotiv. Le reste n’était que façade, mais loin d’être en contradiction avec les intérêts de l’Empire.
« À défaut d’être le chef de mon clan et de parler en leur nom, je vous présente mes humbles excuses. J’aurais dû être plus exigent avec Asae. Plus clairvoyant. Elle n’a malheureusement pas hérité de mes talents, ni de ma verve, et encore moins de celle de mère. La pauvre enfant égarée m’apparaît difficilement corrigible, hélas… Le destin se jouant de nous, je suis né de peu avec la mauvaise génétique. Je ferais néanmoins ce qui est en mon pouvoir pour apporter l'ordre sans effusion de sang facultative, comme vous me l’avez demandé. »
Sans sang, mais pas sans poison, meurtre, et pot de vin. L’Empereur ordonnait, mais il n’avait pas précisé les moyens d’intervention. Subtilement, Raiko avançait ses arguments pour également « réformer » le clan des Miwaku. Mettre fin à cette règle ridicule et sexiste d’avoir une femme comme unique critère pour être « chef ».
« Mais je compte bien vous apporter plus que simplement l'ordre dans le proxénétisme... »
« Savez-vous, parmi ces 4 pôles, quelle est l’interface qui les relie toutes ? »
Le deuxième acte venait de s’ouvrir. Sur une simple question, l’éphèbe laissa s’écouler un silence éloquent avant d’y apporter lui-même une réponse.
« Aucun des ces services ne se trouve si facilement et aisément. Les endroits de plaisirs, tels les casinos, les théâtres, et autres, sont de parfaits endroits pour faire pont entre clientèle et marchands. Pas uniquement des « produits », mais également de personnes, des idéaux… Cette interface est indispensable, une nécessité. Comment assurer alors la mainmise de l’Empire sur ladite interface où tout se joue ? Tout cet équilibre, toute cette organisation, de système si bien huilé dans les mains d’un seul prince Marchand… »
Le Bellâtre afficha un sourire mesquin. Son regard faisait démonstration de toute sa perfidie, de la supériorité de son intelligence sur le commun des mortels.
« Vous avez manifestement compris… Permettez moi de rectifier mes précédentes paroles. L’équilibre des pôles étaient respectés, jusqu’à aujourd’hui. »
Miwaku Raiko, le Bâtard. Il était véritable un Hattori dans le corps d’un Miwaku. Une monstruosité intelligente, perfide et discrète, prêt à tout pour parvenir à ses fins et à l’affut de la moindre faille.
« Le « Prince » du jeu n’est plus. Où plutôt, vous l’avez devant vous. Tout comme le Prince de la Prostitution. Et bientôt, le Prince de l’alcool et de la drogue. Il ne subsistera que le « Maître des Plaisirs ». Il est temps que Kumo reprenne ce qui lui appartient de droit. L’Ingérence criminelle n’est plus tolérable, comme vous l’avez si bien dit. Les Masques rouges ont joué, et ils ont perdu. Et croyez-moi, ils ne ressusciteront pas. Au moment opportun, tout vous sera dévoilé. Toutes les cartes vous seront en mains. »
Et Miwaku Raiko deviendra quelqu’un d’incontournable. Deux longues années de préparations, à attendre les bonnes opportunités, à murmurer aux oreilles des bonnes personnes, à intimider, à trahir… Pour en arriver à aujourd’hui. Au début de son apogée. De sa juste ascension, qu’il arracherait aux griffes du destin.
« Je ne pouvais vous dévoiler mon plan, la menace des masques rouges étant si omnipotente, et risquer ainsi de le compromettre. Mais maintenant qu'elle se trouve fort heureusement écartée, je suis libre de me confier à vous. »
En partie, tout du moins. Même s'il se permettait de dévoiler son plan, l'éphèbe gardait les détails et la suite secrets. Le Bellâtre laissa un silence, laissant le Raikage s’exprimer, et commenter la situation.