Les feux de la jalousie avaient rapidement pris sur les braises presque éteintes de la passion de Raiko. En un instant, cette simple rencontre avait eu un effet détonant. Le Bellâtre était un être empli de jalousie. On lui avait tant de fois agité sous ses yeux des belles choses qu’il n’aurait jamais. Le pouvoir, le prestige, l’amour, le bonheur. Miwaku Raiko, le honni du clan, était un homme qui devait se contenter de n’être qu’un outil de maître.
Le doux baiser sur le front couplé à sa douce embrassade fit faillir les défenses de l’éphèbe, pourtant si solide et impénétrable. Pendant un instant, il profita de cet instant de douceur volée au destin pour poser délicatement sa tête dans le cou de son amant. Mais l’esprit de domination des Hattori n’avait aucune limite… Cet instant de douceur fut rompu par une étreinte plus tonique, et des mots de conquérant, suivis d’une première escarmouche passionnelle.
Le corps du Bellâtre se raidit. La tactique du conquérant était bien trop efficace. À quoi bon ses années en exil pour se retrouver ici, une nouvelle fois, dans ces bras ? Ce monde était distordu. Son histoire n’était qu’une succession de farce de ce destin cruel, qui jouait littéralement avec lui. N’avait-il rien retenu ? Alors comme un miroir, le Bellâtre devint le reflet du Hattori. Il ne s’échappa pas, il restait là, poser sur son oreille.
« N’as-tu rien appris, Hattori Nori ? »
La main délicate du Bellâtre se frayant un chemin sur le torse de l’homme, pour finalement se poser sur sa nuque.
« Le choix n’a jamais appartenu à la proie. Le Roi ordonne, et le servant obéis. »
Le Bellâtre déposa un doux baiser dans le cou de son envahisseur. Que pouvait-il faire de plus ?
« Rien n’a changé depuis tant d’années. Et rien n’a changé depuis la dernière fois. Le jeu est toujours le même. Les règles sont toujours les mêmes. Nous ne faisons que tricher en aparté… »
Soudainement, le Bellâtre fit basculer le Hattori, et posa sa paume sur son cœur. Il le fixait, d’un regard mélancolique. Désormais à califourchon sur l’homme, il le fixait, presque désespéré.
« Pourquoi distilles-tu l’espoir en moi de connaître une autre fin ? Pourquoi me donnes-tu l’illusion d’avoir le choix ? Es-tu homme si cruel que tu ne vois en moi qu’un jeu distrayant ? Te moquerais-tu du honni du clan ? Lui ferais-tu, à ton tour, miroiter un amour qu’il n’obtiendra jamais ? T’apporte-t-il une quelconque jouissance ? Jubiles-tu face à son chagrin ? »
D’un geste gracieux, le Miwaku dégaina un éventail particulier sous son Kimono de soie, qu’il posa délicatement sur le coup du Hattori. La pression était toutefois suffisante pour paraître presque… Délicatement menaçante. L’outil du Bellâtre était loin d’être anodin. L’éventail était en vérité une arme aiguisée, et ses lames étaient toute prêtes à trancher le cou du Conquérant.
« Qu’est-ce que cela te fait, Hattori Nori ? Qu’est-ce que cela te fait de sentir cette lame sous ta gorge ? Qu’est-ce que cela te fait de sentir qu’autrui dispose de ta vie comme il l’entend ? Que je pourrais y mettre un terme par pur caprice ? Songerais-tu maintenant de passer une vie entière sous ce joug sans jamais te plaindre, sans jamais perdre ton sourire ? »
Le ton du Bellâtre était calme et clair comme de l’eau de roche. Son regard ne laissait transparaître qu’un vide abyssal, un abîme de souffrance. Le jeu d’acteur était parfait. L’instant dramatique à son paroxysme.
« Pourquoi daignerai-je à accorder du crédit à l’homme qui n’a jamais eu le courage de montrer son vrai visage ? »
Le regard glacial du bellâtre transperçait le regard d’or du Hattori. Dans cette scène théâtrale se jouait quelque chose de bien plus profond.
Le reflet d’un miroir brisé.