Dis, quand reviendras-tu ? [Solo]

Lentement, les yeux opales de la téméraire quittèrent les bois environnants. Adieu, les étendues obscures et ombrageuses, bonsoir, la voûte céleste aux mille éclats. Ses iris, vierges de toute haine, se perdirent alors dans le spectacle saisissant qu'offrait le crépuscule. Entre pénombre et lueurs chatoyantes, l'horizon se parait de son plus beau manteau. Un tel décor inspirait à la geisha une danse subtile et passionnée, une ode à la beauté du monde. Bien sûr, si les temps étaient autres, elle se serait permise de laisser court à son inspiration, cependant sa mission prévalait. Quelque peu résignée, elle prit le temps de figer cette image somptueuse dans sa mémoire avant de reprendre sa recherche. Une pointe de tristesse put se lire sur son visage, ce qui, d'ailleurs, n'échappa pas au plus ancien du groupe. Ce dernier dévia ainsi sa course pour mieux se rapprocher de la belle brune.

"Tu sais Kagero, tu es plutôt ravissante quand tu te mets à douter."



"Tu penses à notre fille, c'est ça ? Ne t'inquiète pas, elle est entre de bonne main. Et puis, on ne risque rien ! Ce n'est qu'une banale mission de repérage !"



Leurs deux autres Kumojin étouffèrent un rire devant ce tendre échange. Dans ce geste, aucune moquerie ne trouvait sa place. Il s'agissait davantage d'un aveu de complicité. En effet, à force de travailler ensemble, un lien d'amitié s'était noué entre ses individus. Ce climat de confiance favorisait grandement la coopération et la réussite.

Après cet instant naïf, tous retrouvèrent un comportement professionnel et rigoureux. Ainsi, la parenthèse fut courte, mais bienvenue. Soudé comme jamais, ce quatuor examinait la moindre parcelle de la région sud. Suivant les ordres, ils cherchèrent avec assiduité le moindre regroupement suspect. Plusieurs heures s'écoulèrent avant que ces pisteurs aguerris ne trouvent le premier indice. Par prudence, le benjamin du groupe se dirigea vers les autorités locales pour demander du renfort supplémentaire. Cette action était dictée par un mauvais pressentiment collectif : quelque chose se tramait dans l'ombre. Certains auraient simplement balayé ce sentiment, mais pas eux. Se fiant à leur expérience, ils préféraient se montrer trop prudents, plutôt que de se laisser surprendre par les événements. Sur la défensive, ses guerriers se méfiaient de l'épais voile de l'obscurité et du balai nocturne des ombres.

En attendant le retour de leur collègue, les trois combattants se préparèrent au pire. Heureusement, ils se connaissaient tous. Ce point fut capital dans la suite des évènements. Dos à dos et attentifs au moindre mouvement, Kagero, son mari Shun et leur ami Takeshi attendaient patiemment leurs camarades. Là, à l'extrémité est de la région de Ta, dans un silence absolu, les prédateurs devinrent la proie. Ce changement fut rapide et seule la réactivité des trois compères permit de retarder la tragédie.

Sans prévenir, la foudre tomba sur les trois âmes isolées. La violence du tonnerre fut telle, que toute la faune environnante se mit à fuir. Cet exode massif fit retentir les tambours de guerre. L'ennemi était là, prêt à en découdre, avide de sang et de larmes. Par chance, l'instinct aiguisé des Kumojins leur permit d'esquiver ce vif assaut. Tous usèrent de leur habilité physique pour éviter de subir l'attaque surprise. Cependant, dans la précipitation des événements, le trio se fractionna. D'un côté, Takeshi faisait face, seule, à une ombre masquée. De l'autre, les amants s'apprêtaient à affronter trois silhouettes mystérieuses. Le déséquilibre était flagrant et toute retraite impossible. Ses assaillants étaient bien préparés et méticuleux. Néanmoins, les serviteurs du Raikage n'étaient pas des proies faciles. Faisant preuve de courage et d'héroïsme, les trois courageux se jetèrent dans l'arène. A ce moment-là, il n'était pas question de sauver sa vie, mais de défendre l'honneur de leur village. La fierté était l'ardente flamme qui alimentait leur cœur. Ce brasier incandescent effaça toute peur et tout soupçon de défaite. Le combat s'annonçait intense et valeureux.



A peine ses mots prononcés, l'ardente jeune femme se rua vers l'adversaire le plus proche. Sa stratégie semblait simple : acculer le belligérant et le noyer sous une pluie de coups. Pieds et mains commencèrent une danse millimétrée. Chaque geste, chaque pas, étaient pensés et maîtrisés. Bien entendu, l'inconnu ne resta pas passif et tenta avec difficulté de parer le furieux assaut. Au vu de l'écart de puissance, ses efforts semblaient pathétiques. Ses deux autres comparses eux, se retrouvaient harcelés par des projectiles menaçants. En effet, Shun maîtrisait l'art des invocations d'armes. Suivant un programme préétabli, l'époux usait de ses talents en kenjutsu pour neutraliser ses cibles. Il était évident que le duo n'avait pour seul but que de gagner du temps.

Takeshi, lui, semblait plus en difficulté. Son opposant le dominait et lui imposait un rythme infernal. La différence de niveau était telle que peu importe les arts mobilisés, le kumojin se retrouvait systématiquement en difficulté. Au fil du temps, les maladresses et les erreurs s'accumulèrent du côté de Takeshi. Très vite, la panique gagna son cœur. Ses battements devinrent irréguliers, son souffle se ponctuait de nombreux soubresauts, sa vision devint confuse et hagarde. Puis, dans une détresse absolue, ses yeux emplis de désespoir fixèrent le doux visage de Kagero, avant de se voir voiler par un rideau écarlate.

Un cri perçant déchira les cieux. Les yeux humides et l'âme en peine, Kagero bascula dans la rage. Emportée par ses émotions, elle brisa l'harmonie de son offensive et tenta de satisfaire son désir de vengeance. Face à ce changement abrupt, son époux comprit qu'il fallait absolument lui faire entendre raison. Étant en sous-nombre, ils ne pouvaient pas se permettre d'agir imprudemment.

"KAGERO ! ARRÊTE ! PENSE A KYOKO !"

L'évocation de ce nom déclencha un violent électrochoc dans l'esprit de la danseuse. En un éclair, la colère et la furie s'effacèrent de ses traits. Pour les remplacer, elle choisit un masque impassible et dur. Son regard retrouva un sérieux hivernal et ses actions se firent plus précises. Penser à leur fille en cet instant critique, permit à la guerrière de retrouver son calme. Elle se devait de vivre. Une âme fragile l'attendait. Enorgueillie par ce souvenir, la délicate fleur devint plus sauvage. En parfaite synchronisation avec son partenaire, elle parvint à mettre ko un premier adversaire, puis un second. A présent, dans chaque camp, il semblait n'y avoir plus que deux belligérants.



"Quoi ?! Tu es sûre ?"

Après un ultime regard, les deux amants se lancèrent dans la bataille. La première déchira son haut pour venir obstruer la vue du mastodonte qui lui faisait face. Sa brassière dévoilée, l'impétueuse pouvait mieux se mouvoir et tenta d'asséner un coup violent sur la nuque du géant. Dans le même temps, Shun profita d'un nuage qu'il avait provoqué pour disparaître et lancer deux projectiles en direction de son ennemi. Puis, se mêlant à la pénombre, il entama une approche plus directe, armé d'un sabre.

Tout semblait se passer comme prévu. Pourtant, Kagero le sentait, son opposant n'était pas un être anodin. Ce qui suivit la conforta dans cette idée. En effet, même si avec malice et finesse, elle multiplia les feintes pour venir donner un coup direct, celui-ci n'eut aucun impact. Malgré sa brutalité, la masse de muscle l'encaissa sans difficulté. Par réflexe, l'ardente combattante fit un saut en arrière. Être à la portée de cet homme n'était pas une bonne idée. Elle se remémora alors la fin de son ami et comprit le danger que représentait cet individu.

Shun, quant à lui, arrivait enfin au contact. Par chance, sa cible semblait désarçonnée par cette rupture stratégique. Devant ce fait accompli, le ninja supposa que cet homme élancé devait manquer d'expérience. Sûr de son analyse, le fougueux kumojin se mit à faire danser sa lame. Avec grâce et précision, il enchaîna les taillades et tua son jeune adversaire rapidement. L'heure n'était pas à la pitié et aux bons sentiments.

A présent, il ne restait plus que ce colosse. Le couple avait bien en tête sa supériorité numérique, mais il pressentait que cela n'allait pas être suffisant face à ce monstre. Avec prudence, les deux ninjas entourèrent l'âme isolée. Pendant quelques instants, personne ne fit un geste. Le temps de l'observation était venu. Le moindre geste, le moindre souffle étaient scrutés par le regard opalescent de Kagero. Aux aguets, elle se préparait à entraver les mouvements de cet ogre. Il fallait absolument aider Shun à achever cet individu.

Soudain, l'assaut se lança sans concertation. C'était inutile, le duo se connaissait trop bien. En une fraction de seconde, la belle balaya les jambes du géant. Profitant de cette distraction, le sabreur prit son meilleur élan afin de décapiter l'insolent qui avait tué Takeshi. Pourtant, aucune lame ne toucha la cible. Après un énième recul, dans l'incompréhension la plus totale, la danseuse fixa son mari avec gravité. Une flèche s'était logée dans sa poitrine. Instinctivement, la brune fit un vif bond pour venir rattraper le corps lourd de son amant. Puis, elle entama une fuite éclaire. Parcourant les bois en quête d'un abri, elle utilisa un tronc comme support et tenta de soigner son époux. Usant de ses rares dons en Irou Jutsu, Kagero se donna à corps perdu dans ce sauvetage désespéré. Malheureusement, ses compétences étaient trop limitées. La mort de Shun était inévitable.

"Kagero... C'est fini. Préserve-toi. Le combat n'est pas fini. Prends soin de Kyoko. Et surtout, n'oublie pas la valeur de ton sang et la crainte qu'il inspire. Je t'aime, ma fleur de lys."

[...]

Ce soir-là, aucun autre sang ne coula. Les agresseurs avaient disparu, laissant derrière eux qu'une longue liste de questions sans réponse. Quant à Kagero, elle fut trouvée dans les bois, pleurant sur la dépouille de sa moitié. En tant que seule survivante de la patrouille, elle dut raconter en détail cette tragédie un nombre incalculable de fois. Et à force de compter ce drame, son humanité et ses émotions se tarirent. Cependant, sa fierté réapparut très vite. Elle refusait ce statut de veuve éplorée. La digne Miwaku se forgea alors une nouvelle résolution : devenir une soigneuse aguerrie et rendre honneur à son sang si longtemps bafoué. De surcroît, son rôle de mère l'aida à surmonter sa peine, si bien qu'aujourd'hui, son visage ne garde aucune trace de ce deuil difficile.