La journée avait été lourde en réflexion. Mais surtout en émotion. La Dame de Fer était déchirée. Entre l’amour de son village, entre son devoir, entre ses pensées, entre ses idées, entre ce qu’on lui renvoyait. Elle ne comprenait pas. Elle se sentait perdre pied. Elle avait peur. Elle s’était engagée, et maintenant qu’elle avait les preuves qui lui fallait, il ne manquait plus qu’à mettre la fin de son plan à exécution. Et pourtant, elle n’y arrivait pas à s’y résoudre. Elle avait à la fois l’impression de trahir son village, de trahir ses idées, et de trahir les siens.
Elle était rongée par un mal intérieur. Comme si elle avait failli à son rôle. Pas à son rôle de Capitaine des Services Secrets, mais son rôle en tant que Régente. L’un était-il forcément incompatible avec l’autre ? Avait-elle perdu des yeux quelque chose d’essentiel ? Et malgré tout, son cœur saignait. Elle saignait de devoir être séparé de celui qui avait, doucement mais sûrement, pris une place dans son cœur. Les rares fois où elle croisait le Kirishitan en public, elle devait le considérer comme un simple pion, un simple membre du Ministère. Et pourtant, elle avait tellement envie de plus. Parfois, elle partageait une nuit discrète avec lui, parlant de tout et de rien, de leurs vies respectives, des traditions clanique et autre étrangeté d’un continent à l’autre, pour se vider la tête, pour soulager l’esprit. Pourtant, plus le temps avançait, plus les silences de la Dame de Fer lors de ses rencontres étaient longs. Elle était distractible, parfois mélancolique. Mais jamais Seth ne l’avait bousculé. Il respectait sa décision, et respectait son silence comme ses moments d’inattention.
Il la respectait en tant que femme.
Alors ce soir-là, elle se dissimula pour rejoindre, invisible, sa cabane. Et elle toqua de nouveau à sa porte. L’attente lui paraissait insurmontable, insupportable. Lorsqu’il ouvrit, elle fut comme intimidée…
« Seth… je… J’ai… Je crois que je perd pied. »
Une larme coula alors de sa joue.
« Est-ce… Est-ce que je peux rentrer ? J’ai… J’ai besoin de te parler… J’ai besoin de toi. Et de tes conseils…. »
La Dame de Fer fit alors silence, et entra lorsqu’elle fut invitée, et s’installa où elle avait besoin de s’installer.
« Je crois que je suis en train de commettre une erreur irréparable… Si je ne l’ai pas déjà commise… »
La Dame de Fer n’était pas bien. Elle ne savait pas vraiment par où commencer.
« En libérant Kazami, j’ai cru sincèrement pouvoir la contrôler. Lui faire croire à un mensonge énorme, tout en piégeant ceux qui profitait de notre système, en usant et abusant de leurs fonctions pour servir leurs propres intérêts… Mais je ne sais pas si je me voile la face, où si j’ai raison de lui faire confiance… Elle-même est indécise. Si le plan réussi, Gekido sera affaiblis. S’il échoue, il en sera renforcé, jusqu’à presque devenir invincible.
Mais je ne supporte plus l’inaction des chefs de clans, leur passivité qui nous fait foncer droit dans le mur ! On reste là, les bras croisés, à attendre et à nous quereller alors que nous devrions marcher unis vers un même objectif ! Construire ensemble notre avenir…. J’ai l’impression que reculer me ferait agir de la même façon… Que reculer est signe que je laisse les choses telle qu’elle !
Shirona ne me soutient plus. Oni… C’est compliqué. La plupart des gens me pointent comme un tyran, mais je ne sais plus si c’est une image que je me donne, où si c’est une réalité… Et si je faisais erreur ? Et si j’agissais depuis le début, non pas en tant que Régente, mais en tant que Capitaine des Services secrets ? »
La zélée laissa un silence… Et essuya une de ses larmes. Elle était en détresse. Et Seth était un des rares à pouvoir voir cette facette de la « Dame de Fer ».
« En vérité, j’ai l’impression d’être devenue l’ennemi numéro 1 du village sans parvenir à les unir… Je me suis isolée, en voulant agir courageusement pour nous unir, j’ai agi égoïstement sans m’en rendre compte… J’ai l’impression de devenir une version mal jouée de Gekido… Lui aussi avait le même discours que moi. J’ai l’impression que l’histoire se répète…
Je ne sais plus quoi faire. Reculer au risque tous nous condamner pour notre passivité, où avancer au risque de tous nous condamner pour une erreur de jugement. Je ne sais plus comment rectifier le tir… Le village à besoin que je sois forte, que je tienne bon… Il a besoin de quelqu’un de fort à sa tête… Mais a-t-il besoin d’une régente ou d’une Capitaine ? Quel rôle dois-je tenir ? Comment puis-je le tenir toute seule ?! Et si j’ai tant raison, pourquoi tout le monde est hostile ? Pourquoi ai-je tant l’impression de faire fausse route ? Pourquoi maintenant, alors que tout est prêt pour lancer définitivement mon plan ?! »
Et elle s’arrêta, essuyant de nouveau ses larmes… Plongé dans un tourment qui avait fini par avoir raison de sa carapace de métal.
Au fond, la Dame de Fer impitoyable était comme nous tous : humaine.