« Hi-kun ! Hi-kun ! Ré-réveille-toi ! Hiro-mama est parti, il faut que-qu-que… Que… Tu nous surveilles. »
La petite Chiyoko de cinq ans me secouait dans tous les sens pour que je sorte du lit. Satoshi était toujours enfermé dans la cave, mais il ne faisait plus de bruit maintenant. La paille du lit me grattait les jambes et me laissait des boutons. J’allais bientôt en piquer au fermier un peu plus loin. Pas la peine de lui demander. Chiyoyo m’interrompait alors que j’étais sur le point de me rendormir. Tant pis…
« C’est bon, c’est bon… Je me lève. »
Je l’écartais doucement avant de me lever du lit posé à même le sol. Il y avait deux tas posés côte à côte. Un grand, enroulé dans des draps et du tissus un peu troué de partout, qui servait à Hiroko, Chiyoyo et Sato. Puis le mien tout proche. C’est moi qui avais demandé il n’y pas longtemps à avoir mon propre lit. Les deux petits avaient boudé, mais Neesan trouvait ça normal pour mon âge. Après tout, j’avais maintenant dix ans ! J’étais assez grand pour aider à la maison ! Je regardais le petit-déjeuner servi sur la table. Des baies des buissons du coin, et un peu de pain qui commençait à être sec… C’était mieux que d’habitude, Hiroko avait assuré ! Le petit-déjeuner, c’était un jour sur trois, et s'était pas obligé. Toujours pas de bruit venant de la cave.
« Met-toi à table, je vais le chercher. »
J’aimais pas passer du temps dans ce trou. Aucun de nous trois à vrai dire. Mais on n'avait pas le choix, ça arrivait… C’est tout. Heureusement que les parois étaient faites en pierre, sinon, depuis le temps, on aurait fini par creuser un tunnel jusqu’aux quartiers chics de Suna. Je donnais trois coups de pied dedans, avec un tempo particulier. Neesan nous avait dit de faire comme ça, alors on faisait comme ça. J’attendais une seconde, puis deux… Et trois… Il y avait toujours un moment d’anxiété à ce moment-là. Finalement, les trois coups se rendirent avec le même rythme. J’arrivais à contenir un petit soupir de soulagement. Et dire que Neesan le faisait durant tout ce temps. L’angoisse. Je déverrouillais la trappe avant de l’ouvrir. Et elle pesait son poids ! Le petit garçon huit ans sortait tout grognon de sa nuit. Je l’appelais la cave à cernes, car c’était impossible de dormir une fois dedans. Même si dès fois, rien ne se passait.
« Viens, je vais te mettre un nouveau pyjama. Neesan en a préparé un. »
Il faut dire qu’à chaque fois, on finissait sans rien sur nous. J’avais dit à Hiro-ma qu’on devrait pas s’habiller pour y aller, mais elle m’avait la morale en disant qu’on n’était pas des animaux. Du coup, elle récoltait les morceaux avant de les recoudre pour en refaire un nouveau pyjama. Le mien avait quatre ou cinq morceaux différents. Chiyoyo, deux seulement. Sato… Bref.
Le repas se passa tranquillement. Chiyoko voulait s’amuser avec Satoshi, mais il n’était vraiment pas d’humeur à quoi que ce soit. Ça allait durer pour la journée.
« Mama a-a... A... A dit qu’elle rentrait p-p-pou-pour midi, et qu’on devait pas bouger d-d-de de là. »
« Alors vous restez ici. Chiyo, tu vas lire ton alphabet, et Sato… Tu peux faire ce que tu veux. »
« Mais-mais c’est pas ju-juste ! Pour-Pour-Pourquoi Satu, i-il il peut faire c-ce ce… »
« Parce qu’il a été malade, alors il faut le laisser se reposer. »
La petite boudait, mais je savais que ça durerait pas longtemps. En attendant, j’engloutissais mon bout de pain. Un coup de balai sur le sol, et… ça ne changeait rien à l’apparence miteuse de l’endroit. Une tout petite pièce. Les deux lits dans un coin, la table dans l’autre. La trappe au milieu de tout ça, et quelques petits meubles qui tenaient à peine debout. Une fenêtre sans carreaux donnait sur le reste de la ville. Par chance, les volets étaient le seul truc en assez bon état ici. Les toilettes étaient dehors, et l’idée d’avoir une cuisine était un rêve. Je sortais de la “bibliothèque” - le mot était grand - un des rares livres qu’on avait. Hiro-neesan l’avait piqué d’une cargaison et avait failli se faire attraper, mais elle disait que c’était important. J’avais eu du mal à apprendre des trucs au début. Mais c’était vraiment pratique au final. Le livre se nommait “Apprends en t’amusant. De 3 à 5 ans.”. Il avait servi, depuis le temps. Je le connaissais par cœur. Neesan me lut et relut tellement de fois, je pourrais le réciter les yeux fermés.
« Allez, vient t’asseoir. C’est quelle lettre ? Facile, c’est la première. »
Apprendre à lire à une enfant qui bégayait, c'était pas la joie. Mais elle se donnait à fond pour rendre “Mama” contente.