Ce chariot de paille rouillait de plus en plus. Les roues grincent comme le gronde le tonnerre. Loin de toute discrétion, elles faisaient fuir les oiseaux sur mon passage. Ce n’était pas plus mal, elles offraient un peu de répit à la plupart de mes récoltes. La paille servait à nourrir le peu d’animaux qui se trouvait dans la ferme. Une vache, quelques moutons et des poules en guise de coq pour les réveils matinaux. C’est un véritable festin qui attendait Yüna, ma seule et unique vache. Mon bien le plus précieux pour vivre du peu d’argent dont je dispose. Je ne me plains pas. Ma vie est certainement meilleure que celle de Kiri. Loin de mon clan, je prenais goût à cette vie de fermier, loin de la dangerosité du Yuukan.
Les roues de mon chariot continuaient leurs cliquetis et cela peu importe la direction ou encore l’inclinaison que je prenais. Ces foutus joints ne tiendront pas la semaine. Non loin de la cabane qui me servait d’habitation, j'entreprenais une nouvelle réparation de fortune. Si elle ne rendrait pas mon chariot neuf, elle aurait le mérite de me laisser une chance de terminer mes travaux du jour. Non loin de moi, j’entendais les cris d’une petite fille. Pas n’importe laquelle. Elle était ma lumière, ma raison de vivre. Serrant le joint d’une roue, je contemplais son visage inquiet par l’avenir que je lui offrais. Sera-t-elle un jour plus heureuse qu’aujourd’hui ? Serais-je capable de lui donner un avenir plus radieux et intéressant que maintenant ? A vrai dire… je ne cesse jamais de me poser ces questions. Ce qui est sûr, c’est qu’elles ne feront pas avancer les récoltes et je devais accélérer le pas pour terminer mes tâches.
La météo n’offrait que peu de rayons de soleil. Le vent soufflait très fort, laissant s’envoler quelques brindilles de paille de l’enclos de Yüna. A ses côtés, se trouvait cette même petite fille qui jouait autour de mon chariot. Ma fille. Cet être inconscient des dangers qui nous entourent et au cœur pur.
« Mia ! Sors de cet enclos ! »
Sans un mot, elle s'exécuta malgré le mécontentement qui se dessinait sur son visage. L’ennui était son quotidien et la ferme ne me laissait que peu de temps à lui consacrer. Mon activité m'aide à fuir, à oublier notre passé. Sa mère nous a quitté et nous avons perdu tout une vie depuis cette guerre de pouvoir. Au fond de moi, je haïssais les Kaguya pour ce qu’ils étaient, mais l’éducation des Sekken freinait cette colère. Affronter ces gens ne résoudrait pas notre situation et irait totalement à l’encontre de ce que j’ai toujours été. La paix et le dialogue sont deux choses indispensables et indissociables.
Mes terres étaient enfin retournées. Je ne tarderais pas à semer le blé car j’ai presque épuisé les stocks de ma réserve. Je ne m'y suis pas pris à temps, une erreur qui pourrait s’avérer fatale. Heureusement, je disposais de plusieurs moyens pour subvenir à mes besoins et ceux de ma fille. Pourtant pas assez pour vivre une vie idyllique. Quoi qu’il en soit, il était temps pour moi de terminer ma journée. Le soleil se couchait et Mia avait faim. Devant l’entrée de ma cabane, j’avais disposé plusieurs pierres pour former un cercle sur le sol. Grâce à des brindilles de paille et des morceaux de bois, je réussissais à allumer un feu pour préparer notre repas. Un peu d’eau bouillante, du riz et nous avions là un aliment consistant. Une autre marmite d’eau et un peu de pâte de miso pour accompagner notre plat principal. Je n’avais toujours pas de viande à offrir, mais nos poules pondaient régulièrement. Ces œufs nous procurent suffisamment de nutriments, si ce n’est autant qu’un morceau de viande. Nos bols fumants prêts à être dévorés, il ne fallut pas plus d’une minute pour que Mia se joigne à moi. Elle avalait sans mâcher ni même sans profiter de ce qui nous était accordé. Mes baguettes dans ma main, je la pointais avec ces derniers.
« Je t’ai déjà dit de ne pas manger de cette manière. »
Soufflant sur mon bol de riz pour le refroidir un peu, je continuais.
« Soit consciente de la chance que nous avons. Des Sekken mourraient pour avoir ne serait-ce qu’un grain de riz. »
Nous vivions pour la plupart dans la pauvreté, nous contentant du peu que la vie avait à nous offrir. Mais notre fuite de Kiri n’avait pas réussi à tout le monde. Que nous soyons si peu matérialiste, n’enlever en rien des besoins que notre corps réclamait.
« Mia, j’aurais besoin de toi demain. Yüna doit nous donner son lait. Nous la trairons et nous irons vers le village le plus proche pour vendre nos bouteilles. »
Son regard ne trompait pas, elle voulait une bouteille pour elle.
« Ne t’inquiète pas, il y aura toujours un peu de lait pour toi. »
