Amour fraternel

Une nouvelle nuit s’écoulait, la Kaguya était occupée à… ne rien faire. Triste constat de ce que demeuraient ses journées, et surtout ses nuits. En effet, vivre avec des êtres nocturnes avait quelque peu changé ses habitudes. Par soucis pratique, mais surtout par précaution. Qui plus est, l’une des seules occupations possible s’avérait être de vieux bouquins, bien loin des habitudes de la Kaguya qui ne tenait pas en place… Quoiqu’il en soit, l’ennui de la jeune femme allait finalement s’interrompre ce soir, car brusquement, un vampire débarqua dans la pièce où elle se trouvait :



Cela attisa aussitôt la curiosité d’Emi. Un Kaguya, ici ? Une chose étrange et peu probable, car à l’exception de sa sœur cadette et de Sayuri, elle pensait les siens morts ou enfermés. Plus étonnant encore, « il » cherchait apparemment la Kaguya, ce qui éliminait tout de suite sa jeune sœur de la liste.



La Kaguya ne perdit pas de temps pour se rendre dans la salle où l’inconnu fut amené. Inutile de tergiverser après tout, car elle aurait toutes ses réponses là-bas. À son arrivée, Emi constata une foule s’étant amassé autour d’un homme, à genoux, les vêtements déchirés, les bras ensanglantés, visiblement griffés à sang. Aucun doute, celui-ci avait eu des déboires avec les vampires avant d’être amené ici.
La jeune femme avança pas à pas tandis que les vampires s’écartaient pour la laisser, distinguant de plus en plus sa silhouette à mesure qu’elle s’approchait de lui. Finalement, lorsqu’elle vit son visage, elle n’eut d’abord aucune réaction. L’homme, à moitié conscient, ne la regardait pas, ignorant probablement que celle qu’il cherchait se trouvait devant lui. Le regard de la Kaguya n’exprimait aucune émotion, tout comme sa voix lorsqu’elle s’adressa enfin à lui :



La vie était visiblement pleine de surprise. Le fait que cet homme soit encore vivant était à la fois étonnant, et à la fois terriblement prévisible. Celui-ci n’était nul autre que Kaguya Sakkaku, l’un des frères aînés de la jeune femme. Une dizaine d’année s’étaient écoulées depuis leur dernière rencontre et pourtant la Kaguya ne doutait pas une seule seconde des raisons de sa survie : elle ne se souvenait de lui que comme d’un lâche. Il avait sans doute fuit la guerre, et au fond elle s’en fichait, ce qui l’intéressait c’était la raison pour laquelle il la cherchait. Les frères d’Emi n’étaient pas réputés pour leur attitude fraternelle envers leurs cadettes. Au contraire, Emi et ses sœurs n’étaient qu’une seule chose à leurs yeux : de futures mères d’enfants Kaguya. Sakkaku n’était pas très différent, même s’il s’agissait sans doute de celui avec lequel elle avait eu le plus d’interaction.

« Alors elle était vraiment ici » se dit le Kaguya. Intérieurement, il espérait que cette rumeur soit fausse. La seule Kaguya en qui il avait espoir pour relever son clan n’était devenue qu’un pantin des Kenketsu ? Comment un fier Kaguya pouvait-il en arriver là se demandait-il. Sakkaku releva doucement la tête. Il pouvait constater comme sa cadette avait grandie depuis toutes ces années. Une seule chose demeurait inchangée, ses yeux et l’expression dans son regard. Les gens la pensait souvent simplement froide et inexpressive, mais le Kaguya pensait plutôt que sa jeune sœur était d’une arrogance sans limite. Lui, lisait le dédain dans ce regard, le même qu’elle avait autrefois à Kiri.





Sa cadette demeura silencieuse en écoutant les insultes de Sakkaku qui n’avait apparemment aucune intention de jouer les lèches-bottes pour se tirer de cette situation. Peut-être était-il moins lâche que sa sœur le pensait après tout. C’est alors que le Kaguya se fit interrompre par l’un des nombreux vampires présents dans la salle :



La foule commença à s’agiter. Les vampires étaient prêts à le déchiqueter à la moindre occasion. Il n’avait survécu que grâce à la lucidité d’un des Kenketsu ayant préféré prendre un Kaguya en vie, ce qu’il jugea préférable à l’égard d’Emi. Une chose que le Kaguya commençait à comprendre en voyant le Kenketsu s’adresser ainsi à sa sœur. Car, ces derniers n’attendaient que son approbation pour mettre fin à sa courte vie.

Difficile de comprendre à quoi jouait le Kaguya. Ses sentiments prenaient le dessus sur sa personne. Il prétendait la chercher depuis des années, alors pourquoi ruiner tant de temps de recherche ? La réponse était simple : la fierté d’un Kaguya. Emi savait pertinemment que la grande majorité des siens n’accepteraient jamais la présence des Kenketsu. C’était précisément le genre de choses qui avaient menés les Kaguya à la ruine. Gardant son calme, Emi ignora le vampire et répondit à son aîné :



Avait-elle vraiment le pouvoir de l’aider ? Probablement, même si cela pouvait lui coûter cher par la suite, elle n’oubliait pas que son but initial était d’aider les siens. Quand bien même Sakkaku n’était qu’une ordure comme tant d’autres, peut-être lui aussi méritait-il une seconde chance, dans un monde nouveau. Mais il fallait encore qu’il le comprenne, et l’accepte. Mais avant toute chose, la Kaguya voulait elle même comprendre la raison de sa venue ici.

Ainsi, comme il commençait à s’en douter, Sakkaku comprit que sa sœur possédait une certaine influence sur les Kenketsu. Bien qu’il n’avait la moindre idée du pourquoi et du comment. Il s’en fichait au fond. Tout ce qu’il voyait, c’était sa sœur accompagné des ennemis de Kiri. Contrairement à elle, le Kaguya croyait toujours en l’existence de sa patrie, et en vérité il cherchait à se battre contre ceux qui avaient fait plier leur clan: les Kumojins.





Sakkaku était trop fier pour accepter une chose pareille. Bien qu’il n’émettait aucune haine personnelle contre eux, il avait grandit et fut éduqué comme les autres Kirijins, et il avait également fréquenté suffisamment de Gaikotsu pour savoir que rien de bon ne pouvait ressortir des créatures de la nuit. À ses yeux, il était impossible que sa sœur et eux soient alliés, et encore moins que ces derniers ne l’assistent dans son désir de faire tomber Kumo. Sans le savoir, Sakkaku aurait pu trouver de puissants alliés pour son propre plan, mais il restait profondément ancré dans de vieilles rancunes…

Dit-elle en levant un sourcil. Emi fit signe à son aîné de regarder autour de lui, et répondit calmement :



Il était décevant. Décevant de s’apercevoir qu’un propre membre de sa famille n’était pas en mesure de comprendre ses choix. Cette dernière avait perdu tout espoir de vivre une vie belle et paisible il y a bien longtemps. Elle ne pouvait pas lui en vouloir après tout, même Sayuri, qui lui était sans doute la personne la plus chère à ses yeux aujourd’hui, ne comprenait pas toujours les actes de la Kaguya. La vérité était qu’elle était prête à se sacrifier, elle, et tout ce qu’elle possédait, pour permettre au monde de changer. Certes, la jeune femme avait sa propre vision des choses, qui semblait parfois quelque peu idyllique. Mais pourtant, elle était également si proche d’atteindre son but, qu’elle ne pouvait cesser d’y croire. Peut-être était-elle aveugle et se dirigeait droit vers sa propre perte, mais elle restait une femme dotée d’un égo démesuré…





Quelques temps plus tôt, la Kaguya était parvenue à convaincre Doryakura du bien fondé de ses ambitions. Elle espérait quelque part, être capable de faire la même chose auprès de son frère. Mais elle n’était pas naïve, elle savait pertinemment qu’il y avait peu de chance pour que celui-ci lui jure fidélité un jour. Le passif entre eux était trop gros… Alors peut-être, faudrait-il simplement faire de lui un exemple auprès des Kenketsu ?

Des mots et encore des mots… Autrefois, sa cadette était effrontée, et d’une insolence des plus agaçantes. Mais elle était devenue bien pire. Tout cela lui montait à la tête, Sakkaku était même persuadé qu’elle n’était pas loin d’atteindre le stade de la folie. Elle n’était pas la première Kaguya à tourner ainsi, mais celle-ci possédait quelque chose en plus : un pouvoir destructeur. Cela faisait d’elle l’une des personnes les plus dangereuses de ce monde, et aujourd’hui elle semblait également posséder une armée de Kenketsu. C’en était trop pour Sakkaku. Pourquoi les Dieux étaient-ils si mesquins ? Pourquoi tout cela est-il tombé entre les mains de cette peste égocentrique ?



Sakkaku cracha à ses pieds, et enchaîna :



Et il était persuadé que sa sœur était utilisée par les Kenketsu. Il ne pouvait en être autrement. Qui était assez crédule pour croire qu’une personne comme elle pouvait être accepté en leur sein ? Intérieurement, Sakkaku jubilait, car il savait que tôt ou tard, sa sœur tomberait de très haut, et qu’elle ne serait sûrement pas capable de s’en relever. Lui ne craignait pas de mourir, car il ne restait finalement rien valant la peine de se battre autant.

Sakkaku s’évertuait à porter tout ce que disait sa cadette en dérision… Il ne croyait pas en elle, et ne la voyait que comme un outil. Il avait tort. Certes, la Kaguya était une arme en elle-même, mais elle était libre de ses choix. Personne n’avait à lui imposer comment agir, ni Sakkaku, ni les Kenketsu, ni personne d’autre. Elle n’émit alors qu’un simple soupir de déception avant de répondre.



Sans lui accorder plus d’attention qu’il n’en méritait, Emi lui tourna le dos et commença à se diriger vers la sortie de la salle. Ce qui s’apprêtait à arriver n’allait pas être beau à voir et la Kaguya préférait d’ores et déjà passer à autre chose. En dépit de son frère qui ne réclamait que de mourir de sa main.



La Kaguya continua ses pas, impassible face aux mots de son frère.



La jeune femme continuait d’avancer vers la sortie sans fléchir, son regard demeurait toujours aussi froid et inexpressif. Son frère quant à lui se rendait compte du destin douloureux qui l’attendait… Sa mort n’allait pas être pour tout de suite, il allait d’abord se faire vider de son sang petit à petit… Sa fausse bravoure le quitta aussitôt, tout comme son désir de mourir humblement.



Bientôt, elle passait la porte, qui se refermait ensuite derrière elle. Les cris de Sakkaku se firent entendre durant encore quelques mètres, puis furent peu à peu étouffés… La Kaguya ignorait combien de temps son frère allait tenir avant de rendre l’âme, mais au fond, elle s’en fichait éperdument. Emi aurait finit par lui retirer la vie un jour ou l’autre, seul leur lien fraternel l’empêchait d’agir ainsi. Mais finalement, il n’aura eu que le destin qu’il méritait.