Le train s’était arrêté depuis plusieurs heures déjà. Le voyage avait duré près de dix heures, mais l’homme du clan Hattori en était sorti comme si ce n’avait été qu’une formalité. Là où les autres passagers s’étaient étirés, frottés les yeux et traîné des pieds, lui avait quitté le wagon d’un pas ferme, sans un mot, comme un soldat en marche. Sa stature avait suffi à ouvrir un passage naturel dans la foule : un colosse aux épaules massives, au regard froid, qui dominait les quais comme un seigneur venu d’un autre âge.
On ne l’avait pas conduit dans les quartiers réservés à la délégation, mais dans un hôtel isolé, en retrait. Un choix qui en disait long. L’Empire n’aime pas les hasards, et l’homme, trop intelligent pour se laisser tromper par les apparences, savait déjà qu’il n’était pas là pour une mission banale.
Dans sa chambre, il avait attendu. Pas d’impatience, pas d’ennui. Seulement le silence, habité par ses pensées. Il avait passé une grande partie du voyage à réfléchir à cette convocation : un empereur ne se déplace pas à la légère, encore moins pour voir un seul homme.
Quand trois coups fermes frappèrent à sa porte, il sut aussitôt de qui il s’agissait. Pas besoin d’annoncer son nom : la simple gravité du geste suffisait.
La porte s’ouvrit. L’empereur entra.
Le colosse se leva lentement, sa silhouette emplissant le seuil, et ses yeux jaunes fixèrent ceux du souverain avec une intensité qui n’avait rien d’insolente, mais tout d’inébranlable. Sa voix résonna dans la pièce, grave, rocailleuse, maîtrisée :
« Vous êtes venu en personne, votre Majesté… Voilà qui change tout. »
Il fit un pas en avant, croisant les bras sur sa poitrine, comme une muraille vivante.
« J’ai traversé dix heures de routes de fer pour répondre à votre convocation. Et pendant tout ce temps, je n’ai cessé de songer aux raisons qui pouvaient pousser l’Empereur à m’appeler. Ce n’est pas pour un salut de courtoisie, ni pour un rôle de figurant. »
Un bref silence, lourd comme une menace contenue, passa avant qu’il n’ajoute, un éclat d’ironie dans sa voix
« Dites-moi seulement, votre Majesté : suis-je ici pour imposer votre ordre là où vos gouverneurs échouent… ou pour vérifier si un Hattori peut encore être tenu en laisse »
Ses lèvres se plissèrent en un sourire froid, presque provocateur.
« Quoi qu’il en soit, je suis là. Alors parlez, et je saurai quel fardeau ou quelle guerre vous comptez déposer sur mes épaules. »