Kazuko était en méditation lorsque les coups frappés à sa porte résonnèrent doucement dans l’espace feutré de ses appartements. La pièce embaumait un mélange délicat de bois de santal, d’encens de lavande et d’huile de camélia, diffusé depuis un brûle-parfum de porcelaine blanche. Dans la pénombre, seules quelques lanternes à lumière tamisée dessinaient des ombres souples sur les murs tendus de soie.
L’Okasan n’ouvrit pas les yeux immédiatement. Elle avait vu la venue de Soshi. Cela faisait des jours qu’un malaise spirituel grondait au fond de ses entrailles, un frémissement dans la trame du monde, comme si l’ombre d’un événement ancien refluait à la surface du présent. Dans ses visions, elle avait entrevu des yeux aux pupilles fêlées, un rivage perdu au sud, et des Miwaku leurs silhouettes floues, mais toutes tournées vers le même point sur l’eau. Elle savait que ce genre de présage n’était jamais anodin. Et dans ses visions les plus limpides, elle avait vu Soshi... marcher sur une grève obscure, un rouleau à la main, le regard chargé d’un choix à venir.
Les coups à la porte résonnèrent à nouveau, plus insistants cette fois. Kazuko se leva lentement avant d'ouvrir avec une délicatesse mesurée la porte qui séparait les deux femmes. Kazuko n’eut pas besoin de paroles pour comprendre. Elle vit le léger pli sur le front de la jeune femme, le calme tendu dans ses épaules, et surtout… elle sentit, dans l’air autour d’elle, le poids du message qu’elle avait dû recevoir. Elle s’effaça doucement pour la laisser entrer.
« Le caméléon a donc trouvé son chemin. »
Elle referma la porte derrière Soshi, puis marcha lentement jusqu’à une table basse où deux coupes de porcelaine attendaient, déjà remplies de thé chaud. Elle s’assit sans bruit sur le coussin en soie, invitant d’un geste Soshi à faire de même.
« Bois. Le thé est fait de feuilles récoltées sur la plus haute terrasse de la région de Kumo. Elles sont rares, amères, et portent en elles le goût de la patience. Tu en auras besoin. »
Puis enfin, l'Okasan releva lentement les yeux vers la jeune femme, et ses prunelles violacées scrutèrent les traits de Soshi avec une intensité presque maternelle.
« Tu es venue parce que tu as reçu ce message... n'est-ce pas ? »
Elle fit une courte pause, sans attendre un réel retour avant de poursuivre :
« Il y a quelque chose de plus ancien à l’œuvre ici, Soshi. Quelque chose qui vient d’avant même nos mémoires de clan. Ce n’est pas simplement une mission. C’est une convergence. Une jonction où ton existence, ton sang, tes souvenirs manquants… et cette pupille annoncée vont se croiser. »
Reprit-elle d'une voix douce, presque maternelle. Elle posa sa main sur la coupe de thé, la fit tourner lentement.
« Si tu pars… tu ne reviendras pas exactement comme tu es partie. Et c’est peut-être ce que tu redoutes le plus. Ou ce que tu espères en silence. »