Chizue était bien évidemment au courant que la position de la monarchie de Kumo ne pouvait pas durer. En obéissant aux lois de l’Empire voisin, elle se liait indirectement à lui. Bien qu’elle ne chérissait pas particulièrement sa famille, elle refusait que son clan disparaisse. Elle aspirait à consolider son pouvoir politique et, pour cela, de nombreux chemins restaient encore ouverts devant elle.
Après de longues discussions où se mêlaient silences pesants et paroles mesurées, le dessert fut servi. Chizue n’avait plus réellement faim, mais il aurait été malvenu de décliner un tel met. Et puis, une sucrerie offrait toujours un regain d’énergie, et elle comptait bien en avoir besoin avant de se rendre aux différents Matsuri des Miwaku dans la capitale impériale de Teikoku.
Le serveur annonça le plat final avec une révérence solennelle. C’était une glace à la fraise, d’un rose pâle éclatant, nappée d’un liquide noirâtre qu’on nommait chocolat, une denrée rare venue de contrées lointaines. Obtenir une glace en plein printemps relevait déjà de la prouesse, mais l’orner de chocolat conférait au plat une valeur presque ostentatoire.
À la première cuillère, Chizue sentit ses yeux s’arrondir. Un scintillement de gourmandise, presque enfantin, traversa son regard et trahit sa réserve habituelle. La fraise fondait avec une douceur sucrée, relevée par l’amertume suave du chocolat.
En face, l’homme observa sans ciller. Ses traits demeuraient impassibles, mais une lueur amusée brillait dans son regard. Il n’ignorait rien de ses faiblesses et savait parfaitement comment les mettre en évidence.
Il reprit alors :
« Souvenez-vous de ma requête concernant du fait de disposer d'un Kumojin expert en Taijutsu d'âge moyen ? »
Pour être honnête, ce sujet était sûrement le plus étrange... Elle se souvenait de la requête, mais elle peinait à en comprendre le sens. L'homme disposait de nombreux soldats, n'était-ce pas suffisant ? Était-ce lié à Hattori Masashi ?
« Je m'en souviens. Il est arrivé en même temps que moi, mais il ne voyageait pas dans le même wagon. »
Apportant une fraise chocolatée à sa bouche, il installa un rapide silence avant de reprendre :
« Parfait. Je dois vous avouer l'horreur de ma proposition. Je me dois d'être honnête. »
Hattori Chizue s’attendait au pire.
« J'aimerais faire surveiller davantage les agissements du sud. Vous le savez aussi bien que moi... Des soldats sur une archipel, ce n'est jamais évident. Pour cela, j'ai besoin d'un espion double qui pourra aussi bien trahir les miens que les vôtres. »
Elle soupira.
« Le sud est une cause perdue. Je dois vous le dire, Hattori Ryoku brille davantage par sa force physique que par son intelligence. »
« Ceci explique qu'il respire encore. »
À ces mots, un bref éclat d’ironie traversa leurs regards avant de s’éteindre dans le tintement des couverts. Le repas se poursuivit alors sur un ton plus diffus, glissant de confidences calculées en anecdotes anodines. La conversation, tour à tour grave et légère, mêlait intrigues voilées, allusions diplomatiques et quelques banalités destinées à masquer le poids des véritables enjeux. La soirée, tout comme le dessert, s’étira lentement, laissant derrière elle une saveur douce-amère.