Entre mère et fille

Depuis peu, les flashs nocturnes et les éclipses se multipliaient avec une régularité inquiétante. Les nuits paraissaient plus courtes et plus instables, les ombres dans les ruelles semblaient danser de manière irréelle. Akiko évitait de sortir en ville, consciente du trouble que ces phénomènes causaient chez les habitants. Le vendeur de mangues du marché lui avait raconté que les habitants des îles voisines étaient de plus en plus inquiets, murmurant diverses superstitions. Akiko, elle, connaissait la cause, mais la nouvelle venue du groupe n’était pas en mesure de la contrôler. Ses crises semblaient coïncider avec ces anomalies, accentuant la tension dans l’air.

Tandis que sa mère, Chikara Hinae, s’affairait à la cuisine, Akiko la rejoignit. La lumière douce des lampes suspendues tombait sur la table en bois, faisant scintiller les ustensiles et les ingrédients étalés. Elle s’assit sur la chaise, observant sa mère trancher les pommes de terre avec un geste précis et habituel, et dit alors :


Hinae lui adressa un sourire tendre, ses yeux clairs malgré leur faiblesse semblaient briller d’un éclat protecteur. Elle continua de couper ses légumes, concentrée sur sa tâche. L’odeur épicée des épices se mêlait à celle des pommes de terre fraîches, laissant deviner qu’elle préparait sans doute un curry, le repas préféré de Natsumi.


Hinae resta silencieuse un instant, la mémoire de ses expériences passées à Konoha refaisant surface, et Akiko sentit que le poids du passé pesait sur elle. La jeune fille, consciente de sa propre responsabilité dans ces événements, la regarda sans détourner les yeux.


Le silence qui suivit semblait s’étirer, empli d’une tension diffuse. Le cliquetis du couteau contre la planche à découper et le parfum du curry créaient un contraste étrange, entre la douceur du quotidien et l’urgence des décisions à prendre. Akiko sentit que ce moment, simple en apparence, marquait pourtant un tournant, une ligne entre le passé et le futur incertain qui les attendait.

Il pleuvait dehors. Depuis qu’elle n’était plus réellement une Kenketsu, les journées avaient pris un rythme différent pour la belle Chikara. Elle n’était plus contrainte de boire du sang, un soulagement immense après avoir quitté Konoha et ses stocks médicaux réservés. Red était revenu la voir il y a plusieurs années, accompagné d’un cadeau particulier : une jeune fille qu’elle connaissait à peine… la sœur de l’enfant tué par Gaikotsu Bakura. Redevenue humaine, cette dernière eut la chance de croiser quelqu’un dans une situation similaire, et Hinae n’eut aucun mal à la guider.

Récemment, cependant, quelque chose d’indéfinissable semblait se développer en elle. Les membres du groupe restaient discrets, et l’époque du quartier Gaikotsu était définitivement révolue : il était désormais impossible pour les enfants de sortir sans précaution. Les Gaikotsu étaient aisément repérables et donc étroitement traqués par l’Empire. Par chance, les humains étaient majoritairement bienveillants et aucun incident notable n’était à signaler. Hinae vivait encore avec son père, alité et affaibli par les années, ne sortant que rarement. Incapable de parler, Hinae avait beaucoup de difficultés à s’intégrer dans le village voisin, mais la bienveillance des commerçants lui offrait un maigre répit.

Face aux signes de Gaikotsu Akiko, Hinae répondit avec calme, utilisant la langue des signes :


Après avoir transmis sa réponse, elle se retourna et reprit sa tâche, le couteau glissant sur les légumes avec la précision silencieuse de ses gestes habituels, le bruit régulier du couteau ponctuant la pluie qui tombait dehors.

Akiko laissa son regard se poser sur un vêtement laissé sur la table, unique trace de la jeune fille dans la pièce. Ce simple objet suffisait à raviver son inquiétude. Elle voyait en elle une confusion qui lui rappelait trop bien la sienne, autrefois. Ce n’était pas une histoire de crise, mais ce sentiment de ne jamais vraiment savoir qui l’on est, comme si deux êtres cohabitaient dans la même chair.



Hinae se tourna légèrement, un sourire tendre aux lèvres, et répondit d’un geste fluide en langue des signes :


Un faible rictus passa sur les lèvres d’Akiko avant qu’elle ne reprenne, son ton se faisant plus grave.


Son regard se perdit de nouveau sur le vêtement posé, comme si ce bout de tissu portait en lui une partie du secret qu’elles cherchaient à déchiffrer.