Liens familiaux

Il y a des jours qui paraissent plus longs que d'autres, à l'instar de certains qui passent à une vitesse folle. Malheureusement pour notre Kitto, il s'agissait d'une de ces longues journées où il était censé se reposer alors que son envie d'actions était si forte que son corps refusait de le laisser en paix. Et pourtant, le jeune homme n'est pas un de ces hommes d'actions, toujours en mission pour le village ou s'entraînant continuellement. Au contraire, peu lui importait d'être le meilleur du village, il n'avait rien à prouver et il aimait son rythme de vie paisible.

Les bras croisés derrière la tête, le regard fixé vers le ciel, notre protagoniste déambulait dans les rues. Comme tous les premiers dimanche du mois, sa mère l'avait chargé d'amener quelques plats préparés maison à un de ces nombreux cousins éloignés : Masato. Kitto et shinobi lui aussi, il le considérait comme un frère et avait été à mainte reprises son compagnon d'armes. La mère du borgne avait été tué il y a déjà plusieurs années, et depuis cet incident, celle de Shinji était prise d'un élan de maternité envers lui. Cela expliquait pourquoi le sabreur faisait plusieurs allers et retours entre les quartiers claniques et le centre-ville.

Une fois arrivé devant l'appartement où résidait Masato, il s'approcha de la porte, et frappa trois fois de son poing. Le dîner était emballé dans un sac et accroché à la garde de son sabre.

Masato avait une vie assez étrange. Débordant d'une énergie impressionnante et parfois épuisante pour les autres lorsqu'il est en présence d'être vivant, il était capable de devenir une véritable loque une fois passée la porte de sa demeure. Son appartement était d'ailleurs la représentation parfaite de sa personne : d'apparence rangé, il abrite en réalité un bordel monstre. Le genre de bordel que l'on place derrière la porte, histoire que ça ne se voit pas lorsqu'on rentre. Il devrait bien se mettre au ménage, faire sa vaisselle ou même simplement ouvrir sa fenêtre pour aérer la pièce mais... Rien à faire, il n'était pas motivé. Bien sur, quand il le sera, il s'y mettra à fond et traquera la moindre trace sans pitié ! Mais pour le moment, son corps refusait de s'extirper du lit où il était depuis déjà un sacré bout de temps. Il était bien là, sur le ventre, à se délasser de sa vie tumultueuse, à ranger son esprit qui en avait plus besoin encore que son domicile. Il en soupira d'aise, d'ailleurs. Ou de lassitude, peut-être. Sa main passa délicatement sur la cicatrice qui marquait sa paupière gauche, pour une fois qu'il avait enlevé son bandage ! Il avait tout le temps pour le remettre plus tard. Son oeil valide vogua sur les murs sobres jusqu'à un petit calendrier. Tiens, on était dimanche... Le premier dimanche du mois... Cette pensée lui rappela un fait qui se produirait d'une minute à l'autre ! Shinji allait surement débarquer d'une minute à l'autre, un baluchon fumant à la main !

Dans un effort, Masato se releva et poussa du pied un tas de fringues sous le sommier de son lit avant de s'habiller à la va-vite d'un kimono et de bondir jusqu'à sa salle de bain en évitant les obstacles de type carton alimentaire qui se présentaient devant lui. Une fois à destination, il saisit un rouleau de bandage et...



Il grimaça, mauvais timing ! Tant pis.
Tout en embobinant grossièrement son front et la partie supérieure gauche de sa tête, Masato retourna dans la pièce principale de son appartement et ouvrit la porte avant de repartir se momifier.



C'était surement déjà fait mais bon. Il revint quelques secondes plus tard, enfin présentable, et sourit. Comme toujours.

Les secondes passèrent où Shinji ne put entendre que le bruit léger de sa respiration, mais alors qu'il s'apprêtait à faire demi-tour, le bruit métallique d'un loquet qu'on ouvre à la hâte survint soudainement. La porte s'ouvrit, laissant s'engouffrer le jeune homme, mais alors qu'il s'attendait à saluer l'hôte de maison, il ne pût voir qu'une masse de tissus se diriger en courant vers la salle de bain.



Comme à chaque fois, Shinji venait à l'improvise, mais c'était tellement devenu une habitude, que Masato devait certainement maintenant l'anticiper.



Il soupira. Posant le sac sur une haut d'une commode, il ramena une chaise vers lui et s'assit à califourchon, les coudes posés sur le dossier de celle-ci.

Enfin présentable, Masato sourit à son invité pas totalement prévu et écouta ses propos en ricanant légèrement. C'est vrai que sa mère le couvait littéralement mais ce n'était pas si désagréable, d'avoir un peu d'attention ainsi. Et puis, il n'en profitait plus outre mesure depuis quelques années déjà, ayant suffisamment mûri pour comprendre qu'on ne doit pas gâcher ce genre de liens par quelque manipulation. Bien sur qu'il ne le dérangeait pas, quelle question surfaite.



D'un pas relativement comique et exagéré, il se dandina jusqu'au petit sac et s'en empara, trop curieux de savoir ce qu'il contenait.



Le paquet en main, il s'affala sur un fauteuil et regarda l'emballage sous toutes ses coutures.

Shinji observait son cousin prendre la nourriture en main. Comme à chaque fois, elle préparait de la viande et l'accompagnait d'une bonne soupe fait maison et de riz qu'elle assaisonnait d'une sauce dont elle seule connaissait le secret.
Le sabreur rapprocha ses mains et posa son menton dessus.



Il soupira. Dans cette stupide guerre que se menait les rouquins et les prétentieux, les Kitto se devaient d'être unis. À lui seul, et notamment grâce à la pupille qu'il offrait à ses membres, le clan représentait une force que les autres shinobis ne pouvaient ignorer.



Entre trahisons, assassinats, départs et disparitions, le village avait vécu beaucoup de choses en quelques jours seulement.

Le sachet en main, Masato jongla un peu, observant ses flancs ou même son dessous, inhalant son parfum si alléchant avant de finalement le poser sur une petite table devant lui. Il avait déjà une petite idée de ce qui se cachait dans de baluchon mais se réservait un semblant de surprise pour l'heure du repas, histoire de savourer un peu plus la chose.
Reposant alors son œil sur Shinji, il pouffa légèrement de rire à cette remarque. Depuis neuf ans, elle avait agi comme une mère de substitution, chose qui ne lui déplaisait pas le moins du monde. Cette femme était vraiment une perle. Une mère, quoi.



Il se mâchouilla la lèvre un instant, se demandant s'il devait vraiment dire ce qui traversait son esprit.



Ce village tout entier l'ennuyait, en fait. Depuis longtemps et il avait déjà résolu ce problème en s'éclipsant quelques semaines mais depuis peu, ce sentiment semblait s'être accentué. Surtout depuis la mort absurde de Nakatsu.

Shinji savait qu'il pouvait parler librement avec son cousin. Malgré le fait qu'ils avaient une personnalité différente, ils partageaient vraisemblablement le même point de vue.



Pour sa part, Shinji ne pouvait penser à cette possibilité. C'était grâce à lui, mais aussi grâce à tous ses cousins que les habitants du feu pouvaient croire à un semblant de paix. Ils étaient garants de celle-ci et si leur nombre diminuait, il n'y aurait plus personne pour empêcher les deux clans rivaux de se livrer une ultime bataille.



Qu'allait-il se passer une fois que Maître Yasuo serait revenu de son voyage diplomatique et qu'il apprendrait à propos de la mort de Nakatsu ? Personne ne pouvait le dire.

Quitter le village. Il y avait déjà pensé et plus d'une fois mais, aussi étonnant que ça puisse paraître, ne s'absentait jamais plus de deux ou trois jours avant de revenir. Pourquoi ? Peut-être parce qu'il avait encore un tant soit peu d'espoir envers Konoha. Tant qu'il y avait un infime espoir, il resterait pour y croire. Jusqu'à ce que la situation devienne vraiment irrécupérable.
Il ricana, l'œil taquin.



Il préférait prendre ça sur un ton plus léger. Se prendre la tête pour ce genre de soucis, ce n'était pas vraiment son genre...

Shinji sourit. Même si son cousin paraissait au premier abord et aux yeux des autres shinobis, et membres du clan, comme quelqu'un de mystérieux, renfermé et intriguant, le sabreur avait réussi au fil des années à oublier ces premières impressions qu'on pouvait avoir et avait tenté de percer la coquille qui recouvrait le borgne.



Toutefois, le Kitto restait positif. Il savait que le village pourrait de nouveau surmonter une crise politique.

Du saké ? Bonne question ! Il en avait eu, à une époque. Mais en avait-il encore ? Telle était la question. Lui faisant signe de sa main droite d'attendre un peu, il commença à chercher dans les placards de sa cuisine. Non. Les étagères ? Non. Le frigo ? Non. Il se gratta l'arrière de la tête, une moue perplexe au visage. Puis, illumination ! Il regarda sous son lit et en sortit une bouteille un peu poussiéreuse, le goulot recouvert d'un T-shirt oublié depuis quelques semaines et... vide. Enfin, trois gouttes du nectar se battaient encore en duel dans le fond du récipient. Il grimaça et la remit innocemment à sa place.



Il se jeta sur son porte-monnaie et le fit cliqueter d'un petit mouvement de main.



Et là, sa tête exprimait clairement d'un grand sourire « accompagne-moi au magasin si tu veux picoler ».

Shinji réussit à clore le sujet, du moins pour l'instant. Le jeune homme avait soif et de la gnôle lui permettrait d'oublier les charges qui pesaient sur ses épaules, le temps de quelques instants. Masato partit à la recherche de l'alcool, mais vu l'état dans lequel se trouvait son appartement, le sabreur ne fut pas surpris quand son cousin revint bredouille.. ou presque. Agitant devant lui son porte-monnaie, Shinji comprit immédiatement la suggestion.



Sur ces mots, Shinji suivit son cousin, prêt à picoler un bon coup.

Décidément, il était porté sur la bouteille dernièrement. Enfin, un bon verre entre cousins ne fait pas de mal, me direz-vous. Tout sourire, Masato s'empara de son katana -parce qu'on ne sait jamais- et l'accrocha à sa ceinture. Il rangea son porte-monnaie dans son kimono et fit signe à son invité de prendre la porte. Une fois sortis, Masato parcourra la rue du regard, profitant du calme et du vent frais sur son visage.



Il commença à bifurquer vers la droite, bien qu'il se doutât que Shinji connaît déjà la route. Et le temps de la route, il rentama une nouvelle conversation.


Une rumeur disait que Shinji avait apporté son aide dans cette affaire de vampires. De cette contribution devait surement découler une augmentation ou quelque chose dans ce genre. C'était certain.