Maison de débauche [fermé]

        Raiko est l'androgyne propriétaire de cette maison de plaisirs. Sa silhouette svelte et ses longs cils qu'il fait battre plus que nécessaire lui donnent un charme étrange. C'est de sa voix haute qu'il commande sa maison. Si les Miwaku sont habiles dans les arts, Raiko l'est surtout dans ceux de la parole et du commerce. Chez le bellâtre, ses filles rient, charment et dansent pour peu que le client demande. Et le patron est toujours là à se promener d'un pas gracile et léger, remplissant les coupes vides.

        On dit que chez Raiko, l'on peut ouvrir les kimonos des filles. Une question de prix, bien souvent ; faîtes attention toutefois à ne pas abuser, car le propriétaire tient à celles qui le font vivre. Et pour les plus curieux, Raiko peut lui-même s'offrir afin de satisfaire des envies étranges. Pas de baiser toutefois, la bombariole coure !

        C'est pourquoi qu'en cet après-midi de chaleur, l'androgyne se dresse devant ses filles et clame :



D'un geste de la main, il les chasse, les renvoyant à leurs clients. Pas besoin de parler plus, elles savent ses exigences et connaissent les conséquences si elles le déçoivent. Ne faisons donc pas attendre le client car chez Raiko, c'est toujours la fête !

Accompagnée de sa jeune acolyte, la vieille femme déambulait dans le quartier des plaisirs afin de rendre visite à Raiko. Pour tout dire, elle n'aimait pas réellement cet homme, bien trop fourbe et surtout, bien trop loin des idéaux des Miwaku. Il se contentait de prostituer, oui c'était bel et bien le mot. Bien évidemment, les Geishas accusées d'acte du genre, dans une friperie de type, étaient de suite déshonorée du prestige qu'est que d'être Geisha. L'or ne doit pas se vendre dans une baraque à frites. En arrivant sur place Oka-san fit savoir à une jeune hôtesse :



Effectivement, la vieille femme ne comptait pas creuser sa tombe ici. Elle était là pour des raisons bien précises et aussi histoire de le voir une dernière fois. L'homme qu'est aujourd'hui Raiko n'est pas l'enfant qu'il était hier. Chihiro ne pouvait oublier cette époque, elle ne pouvait abandonner présent pour passé. Cependant, se souvenir n'est pas un crime. Ainsi, accompagnée de son acolyte, elle attendu le jeune homme. Après quelques secondes, elle regarda sa jeune élève :

Voyager en compagnie de la matriarche du clan Miwaku était vraiment instructif. Asae en apprenait tous les jours et c'était bien nécessaire si elle voulait avoir un jour l'honneur de seconder l'Oka-Sân ou même de la remplacer. Car oui, qui ne rêve pas de devenir à son tour la digne chef du clan ?
        Asae est comme tout le monde, Asae est humaine. Asae est ambitieuse. Mais Asae est polie, alors tout ceci reste enfoui parmi ses inquiétudes, ses rêves et ses peines ; dans son jardin secret. Là où personne n'entrera jamais.
Aujourd'hui, elle emboita le pas de son ainée jusqu'au quartier des plaisirs où cette dernière espérait avoir une entrevue avec le teneur de cette boutique. De ce qu'elle avait compris, cet homme était assez particulier et sa supérieure ne semblait pas vraiment l'apprécier. Asae, elle, ne savait pas qu'en penser. Elle l'avait déjà croisé, certes, mais sans pour autant avoir cherché à engager la conversation. Rien de moins normale quand on ne connaît la jeune femme.
        Alors que l'hôtesse partit chercher le maître des lieux, l'Oka-Sân demanda des nouvelles sur les préparatifs de son voyage.

        Raiko respectait la politique matriarcale du clan et portait en grande estime cette vieille dame qui savait plaire à quiconque. Plus jeune, il avait passé plusieurs longues heures à se laisser bercer par sa voix douce et réconfortante, s'endormant sur ses genoux. Raiko avait été un garçon tranquille et bon, et muet jusqu'à l'âge de onze ans. Mais Raiko n'était plus ce petit garçon simplet, sachant alors que l'Oka-sân pouvait peut-être regretter ces temps révolus...
        L'androgyne vint cueillir à l'entrée ses visiteuses d'un déplacement silencieux. Bien que peu de clients occupaient aujourd'hui ses filles, il referma derrière lui le petit rideau pour épargner le spectacle.



        Il les mena jusque dans un petit jardin, derrière. Un jardin pauvre mais à l'ombre. Il fit également commander des boissons.

fit le bellâtre d'une voix amusée, un faible sourire égayant quelque peu son visage neutre.

L'homme fit ensuite sont apparition. La vieille femme l'observait avec une certaine attention. Raiko... Des années plus tôt, cette enfant était son fils. Le fruit interdit, l'inexistant. Bien évidemment, il n'avait pas été maltraité et avait pu vivre comme les autres enfants. Bien qu'aujourd'hui elle le déconsidère, il était autrefois sa mascotte. Le jeune homme avait même pu fréquenter la famille royale. L'ancien partenaire de jeu de Masashi et de Shizuka était dorénavant un bien vil personnage. Cet personne aujourd'hui en vie n'est plus son fils.

Elle ignora les différentes parties mouvementées en gardant un air noble. Qu'être venu faire ici ? Franchement... Ce n'était pas sa place, Chihiro n'en revenait pas. Une fois sur place, elle chercha une chaise via des regards peu discrets.



Les mots sortaient difficilement. Si la femme se considérait comme le bien, Raiko était l'autre partie de la balance. L'équilibre. Son regard ne pouvait plus le quitter. Comment ? Elle se demandait cet homme pouvait tant lui ressembler tout en utilisant des moyens si différents ? Il comprenait bien des choses. Il connaissait la supériorité... Chihiro en était certain, la finalité avait été chose trop importante et les moyens bien trop délaissés. C'était son erreur. Erreur qu'elle ne devait pas réitérer.



Elle fut incapable de trouver mieux, incapable de lui annoncer la chose de façon conviviale ou philosophique. Elle voulait pleurer, non de sa mort mais, de son erreur. Alors que les secondes défilaient, elle se laissa penser : "Raiko, pourquoi ?".

Un homme, grand, fin, fit son apparition en toute élégance et invita les deux femmes à le suivre jusqu'à un petit jardin. Sa tenue, sa prestance, ses mots. Tout était fait pour plaire, ça se voyait.

En spectatrice, Asae salua humblement le maître des lieux d'une courbette avant d'écouter les paroles de la sage qu'était sa matriarche. Elle la présenta à cet homme et la petite fille qu'elle était sous cette poudre blanche ne put s'empêcher de frétiller de contentement et de fierté pendant la description de sa personne. Elle était l'avenir du clan.
        Les mots qui suivirent furent bien plus durs, bien plus accablants. Tout le monde savait pour la santé déclinante de l'Oka-Sân, Asae en avait même été déjà informé plusieurs fois mais, malgré tout, chaque prononciation du mot mourante dans la bouche de cette femme lui administrait une peine intérieure. Le visage calme, elle porta son regard doux sur sa supérieure. Celle-ci s'était déjà faite à l'idée mais quelque chose d'autre semblait la perturber, la déranger.

        Raiko resta interdit. Sa mère avait fait tout ce chemin pour lui annoncer sa fin ? L'androgyne n'osait y croire et lorsque la nouvelle de la mort le frappa de plein fouet, immanquablement, Raiko dû s'asseoir sur un banc garder son calme en fixant le sol. Puis il toisa la future grande dame et l'instant d'un moment, il laissa tomber son masque impassible. Ses lèvres se pincèrent d'avantage et dans son regard brûlaient la haine et le dégoût. Puis Raiko cilla et le propriétaire contrôlé et impassible remit son masque. Ses émotions violentes furent masquées en une seconde à peine, trop peu pour que la jeune Asae je puisse les remarquer ; Mère, elle, avait pu assister à ce désolant spectacle.
        Raiko porta la main à sa poitrine et adopta une voix triste.

        Raiko laissa planer le doute quant à son approbation de voir cette jeune femme succéder à sa mère... Raiko s'adressa d'ailleurs directement à sa mère, mais garda le regard braquer sur la future Okasan. Un regard dominant et charmeur.

La vieille femme regardait gravement son anciens fils. Elle pensait voir un soupçon de tristesse, elle n'osait en espérer autant. Malgré tout, elle ne pouvait réellement ressentir de la compassion pour cet homme. Il était trop tard, il était déjà un autre. Chihiro gardait son impassibilité et reprit à douce voix :



Croire en la balance de la vie est une chose, l'admettre en est une autre. Depuis toujours, Chihiro se permettait de décomposer les éléments du quotidien pour peser le bon et le mauvais. Songeant ainsi au fait que le mal n'était là que pour faire resplendir le bien.

Asae s'était imaginé toute sorte de personnage, mais jamais elle ne s'attendait à un regard si...lubrique sur sa personne. Elle en frémit. Cet homme était étrange. Et sa façon de parler était étrange... Toutes ces énigmes, elles semblaient être des pics dirigés sur la personne de l'Oka-Sân et Asae ne parvenait pas à comprendre pourquoi.
Se connaissaient-ils de façon plus intime qu'elle ne l'avait pensé ?
Sans le savoir, la jeune geisha assistait à un spectacle des plus divertissants. Une véritable joute verbale. Une joute dont elle ne saisissait pas tout, à son grand désarroi.
Silencieuse, ses yeux faisaient des allers-retours entre les deux interlocuteurs, cherchant une explication sur son visage.
Rien.
        Rien en dehors de ce visage tiré et fatigué chez l'une, vif et pimpant chez l'autre. Asae se fit une remarque un peu déplacée : n'avaient-ils pas le même nez ?
Non, ce n'était qu'un hasard. Comment expliquer une telle chose sinon ?

        Sa mère avait longtemps été une grande dame, une dame imperturbable dont Raiko s'était beaucoup inspiré. Aussi, il n'était pas surpris de ne pouvoir parvenir à la déstabiliser... Toutefois, il détestait sa façon de repousser d'un revers de la main tous ces problèmes. N'était-il plus son garçon à ses yeux ? Cette femme majestueuse mourrait bientôt, son temps était venu ; Raiko commençait à comprendre que peut-être elle avait trop vécu...

laissa-t-il tomber d'un air vaguement songeur.

        Il prépara trois tasses de thé, qu'il présenta à ses invitées avec délicatesse comme le ferait la meilleure des geishas. Lui aussi s'était entraîné à l'art de séduire et de plaire, c'était certain.



        Il porta sa tasse à ses lèvres d'une façon très maniérée, avant de ciller lorsqu'il avala le thé très chaud. Toute animosité était disparue, car cela ne valait pas la peine de chercher à provoquer. Pas maintenant, pas en ce lieu... Ou pas.

L'équilibre. Ce mot régnait sur le clan Miwaku. Tout n'était que dosage, minutie. C'est ainsi quand don ne peut pas rivaliser par la force. Asae s'empara timidement de la tasse qu'on lui offrait et observa le liquide qui s'y tenait. C'était ça ou croiser le regard de cet homme une nouvelle fois...
Sans comprendre pourquoi, il lui faisait un peu peur. Était-ce ses yeux, son demi-sourire ou son être tout entier. Et voilà qu'il lui posait une question. Elle sentait son estomac se tordre et sa gorge lui serrer. Cette fille mourra d'un excès de tension, soyez-en sur.
Délicatement, elle finit par répondre après quelques secondes de silences et de regards envers l'Oka-Sân. Elle agissait parfois comme une enfant.



Elle avait eu du mal à se contenir, elle aurait voulu déblatérer tout ceci en vitesse pour ne plus supporter son regard transperçant.
Au moins, elle espérait avoir répondu selon les principes de l'Oka-Sân et en suivant la route qui lui était tracée. Il fallait qu'elle se reprenne, qu'elle garde son calme. Qu'elle se contienne.

        Cette petite répondait bien et la grande dame se taisait. Cette politesse agaçait cependant Raiko, et elle l'avait toujours agacée. Il eut un faible sourire.



Puis il se tourna vers sa mère.