Les retrouvailles avec son père promettaient d'être électriques. Déjà, il n'y était non seulement pas préparé, les deux s'ignorant mutuellement depuis bien une année complète maintenant. Même s'ils s'étaient croisés quelques fois, comme aux funérailles de la Hokage Kirishitan, mais où il avait fui, c'était bien la première fois qu'un échange s'engageait entre eux. Une année complète à ne pas avoir ressenti cette sensation désagréable dans ses entrailles. Cet homme le répugnait. Un homme qui n'avait que faire de ses sentiments, qui ne pensait qu'à son clan et à ses principes. Il l'avait perdu l'estime en son fils parce qu'il n'arrivait pas à le modeler à son image, celle d'un petit soldat Chikara. Ils étaient incapables de se comprendre. Et le seul lien qui unissait jadis les deux s'était effondré avec la mort de sa mère, il y a de cela cinq ans.
Cela faisait cinq ans qu'elle les avait laissé seuls. Enfin, en partie pour le garçon.
Les deux Chikara ne se saluaient pas. Si Kano lui avait cherché à comprendre la raison de sa venue ici, sans pour autant le saluer, lui rentrait directement dans le vif du sujet. Honte ? Il avait honte de lui ? Mais s'était-il vu lui au moins ? Lui avait peut-être honte, mais le jeune blondinet ne le considérait même pas comme son père. Pour lui, il n'était rien d'autre qu'un Chikara, un membre de son clan. Pas son père. Comment sa mère avait-elle pu aimer un homme comme lui ? Et pourtant, malgré la haine qui lui portait, un autre ressentiment était présent : la peur. Depuis bien des années, le garçon avait peur de lui. Il ne s'était jamais rebellé contre lui, n'avait que très rarement haussé la voix, et fuyait la plupart du temps le conflit.
Cette fois-là, cependant... il ne pourrait pas fuir comme il le voudrait. Et ses prochaines paroles allaient non seulement lui donner la volonté de ne pas fuir, mais celle de le confronter. Il insinuait qu'il était en couple avec Seitô ? Cette pensée le perturbait... il n'était qu'un ami. Sans se rendre compte qu'il pensait cela avec un certain dépit, qu'il ne saurait expliquer. Alors certes, il l'aimait beaucoup... mais, ils n'étaient pas en couple. Non ? Y avait-il vraiment quelque chose entre eux ? Il n'avait pas vraiment le temps de penser à tout cela et d'y réfléchir. Parce qu'en plus d'avoir dit ça, il l'avait insulté. "Abruti de petit copain"... comment osait-il l'insulter ? Devant lui ? La haine commençait à le gagner. Lui qui n'était que très rarement en colère, il y avait tout de même des limites à ne pas franchir. Surtout avec cet homme, qui le répugnait plus que tout.
Et telle une balle en plein coeur, sa dernière phrase vint terminer d'achever le jeune garçon.
Maman... ?
Comment osait-il ? Cet homme... Comment pouvait-il parler en son nom, pour dire des choses aussi horribles ?
« Retire... Retire tout de suite ce que tu viens de dire. Tout ce que tu viens de dire. »
"Tu" ? Pour la première fois de sa vie, non seulement il le tutoyait, mais en plus il lui donnait un ordre ? Cet être misérable avait franchi les limites à ne surtout pas franchir. L'insulter lui, passe encore. Mais insulter Seitô, et prendre sa mère en partie avec des propos aussi violents, ça par contre il n'avait pas le droit. Il pouvait être son père, son sensei, son Hokage, ou quelconque être supérieur au-dessus de leur tête, jamais ô grand jamais il ne laisserait passer ça.
« Et moi je ne te considère pas comme mon père, mais ça ne date pas que de ce soir. Tu représentes tout ce que je déteste chez l'homme, la parfaite image de cette espèce qui gangrène notre monde. »
Ça y est, le jeune garçon n'avait plus aucun filtre pour contenir ses pensées qu'il avait à son égard. Il le détestait. Non seulement ses paroles étaient virulentes, mais en plus il était exténué de l'opération qui venait d'arriver. Il ne se retiendrait pas...
« Crois ce que tu veux concernant Seitô et moi, ça m'est égal. Mais ne t'avise plus de l'insulter devant moi. Il est mon ami, l'un des rares qui m'a compris. La personne que je chéris le plus dans ma vie actuelle. Il est mon soutien indéfectible, celui qui m'a sorti de l'ombre dans laquelle je m'étais noyé. Il représente tout pour moi. Il est ma lumière, celui qui me permet d'avancer aujourd'hui, sans regarder derrière. Il est tout cela ; mais il n'est certainement pas un abruti. »
Kano le fixait droit dans les yeux. Il avait toujours peur de lui, mais cette peur était complètement étouffée par la colère et la haine qu'il ressentait envers cet homme.
« Kazami lui a sauvé la vie. Et ça, je ne pourrais jamais l'oublier. Tu parles sans savoir qui elle est réellement. Elle a été accusée de bien des crimes, et nul doute qu'elle en est coupable. Mais ce n'est qu'en restant bloqué dans le passé comme toi que l'on propage la haine à la moindre de ses actions et paroles. Aujourd'hui, elle regrette ce qu'elle a fait. Elle a fait des erreurs, des mauvais choix, elle s'est égarée. Elle regrette cela, et ne demande qu'à être pardonnée. Tu as toujours voulu faire de mon un ninja, un petit soldat à la solde de Konoha et du clan, mais n'est-ce pas même l'essence même d'un ninja que de prendre des vies ? Que ce soit de l'ordre d'un commanditaire, une mission, ou un conflit d'intérêt ? Je suis sûr que même toi, au cours d'une mission, tu as déjà tué. Tu as sans doute rendu des femmes veuves, des enfants orphelins. Tu as détruit des familles. Au final, qu'est-ce qui te sépare réellement d'elle, hein ? »
Avant ce soir, jamais Kano n'aurait osé comparer son père à Kazami. C'était chose faite.
« Je n'en veux pas à Kazami, à la personne qu'elle est. J'en veux à ce système. J'en veux aux ninjas. J'en veux à ce putain de monde. C'est eux qui m'ont volé ma mère. Je ne suis que ninja parce que tu m'y as forcé. Je ne suis que ninja parce que je suis né dans ce clan, et dans ce village. Mais crois-moi que je ne me considère pas pour autant comme l'un des vôtres. Je reste un humain, avant toute chose, et je me contrefous de ceux qui ne me comprennent pas. Parce que le jour où ce monde sera vraiment à sang, là vous comprendrez peut-être. Mais ce sera trop tard, beaucoup trop tard. »
Rien n'avait jamais été aussi clair dans les paroles et pensées de Kano.
« Vous autres, vous avez perdu la lumière. Vous avez perdu cette lumière qui guide chaque homme vers un monde en paix, vers un monde de bonheur, où la souffrance n'existe plus. Cette lumière en chacun de nous qui nous accompagne à la naissance. Ce système l'annihile. Mais pour autant, ce n'est actuellement pas trop tard. Même pour toi. Tu peux encore ouvrir les yeux, et te remettre en question. Sur ton existence, sur tes actions... Au final qu'est-ce que t'apporte cette guerre que tu mènes ? C'est une réelle question que je te pose. »
Le retour de Kano le moralisateur, en action. Et il était temps d'aborder la pique qui l'a le plus atteinte dans tout cela : celle concernant sa mère.
« Tu parles sans savoir. Ma mère serait fière de ce que je suis aujourd'hui. Elle n'aimait pas la guerre, elle aussi aspirait à la paix. Elle est morte en voulant protéger l'un des nôtres. Chose qu'actuellement, jamais tu n'aurais su faire. Je suis plus proche d'elle, que ce que je suis proche de toi. Alors, c'est toi qui te trompes. Je sais que ma mère est fier de moi, je le sais parce qu'elle est avec moi. »
Et ça, jamais il ne l'avait avoué à son père.
« Je la ressens avec moi, chaque jour qui passe. Lorsque je ferme les yeux, elle m'accueille dans ses bras. Elle est avec moi, depuis tout ce temps... sa conscience ne s'est pas perdue avec sa mort. Et elle est fière de me voir reprendre cet idéal qu'elle avait en elle, malgré sa mort. En rien elle ne m'a incité à suivre ce chemin, elle m'a simplement félicité lorsque je l'ai emprunté. »
Kano pourrait paraître fou, mais pourtant depuis le tout début, il ressent sa présence en lui. Sa mère est à ses côtés depuis tout ce temps, et pour elle il se devait de tenir tête à son père ce soir-là.
« C'est nous qui avons honte de ce que tu es devenu. Ressaisis-toi. Redeviens le père, et le mari que tu étais. On te le demande. »