Face au ton houleux de sa fille, Kagero ne put retenir quelques sanglots. Bien sûr, elle comprenait la nature de ses sentiments et l'honnêteté qui la traversait, pourtant, elle doutait d'elle. Ce manque de confiance, forgé par ses échecs successifs et sa culpabilité, l'entravait encore et toujours. Ainsi, malgré la raison et ses nombreuses tentatives de dépasser ses démons, la Geisha restait figée dans le passé. Malgré tous les changements récents, que ce soit l'hôpital ou son rapprochement avec Azamuku, la kunoichi n'arrivait pas à s'arracher de ses méandres affectifs. Son cœur restait une plaie béante en quête d'un miracle.
Lorsque l'employé surgit pour apporter les plats, l'ego de la quarantenaire se réveilla. D'un geste brusque, elle chassa ses larmes naissantes et plongea ses yeux dans les émeraudes de son interlocutrice. Une détermination nouvelle se logeait à présent en eux. Chassant sa voix tremblotante et émue, la mère tourmentée se lança dans une longue tirade.
« Je te sais franche et pleine de bonne volonté... Malheureusement, je ne sais pas si je pourrais être à la hauteur des événements... Toi et Azamuku, vous insistez souvent sur mes qualités, mes capacités... Mais mon cœur n'arrive pas à vous croire. Je pense que j'ai trop souvent été confrontée à ma propre faiblesse. Et même maintenant, alors que je suis sûrement la plus grande Eisenin de Kumo, je n'arrive pas à faire disparaître les ténèbres qui m'étreignent. Je suis esclave de mes peurs, plus que de ce monde. Je n'arrive pas à me défaire de ces entraves. J'en suis consciente. Et c'est cela qui m'effraie le plus. Car en étant aussi fragile, faible, sotte, je suis incapable de te protéger, toi et toute notre famille. C'est comme si mes efforts et mon travail ne m'apportait rien, si ce n'est de la frustrations... Je me sens indigne du flambeau que m'a laissé ton père à sa mort... »
Avec gravité, le regard de la belle brune se tourna vers les cieux. Ce court recueillement était teinté par une sourde et lointaine mélancolie.
« Je devrais peut-être songer à prendre ma retraite et laisser la nouvelle génération agir... Mes valeurs et mes idéaux appartiennent peut-être à un autre temps. Notre Empire n'est peut-être pas pour mes projets... »
« Enfin, ne fais pas attention à moi. Dis-moi, qu'aimerais-tu connaître dans ta nouvelle vie, dans ce présent que tu appelles de tous tes vœux ? »
Ses yeux demeuraient tristes, malgré son sourire délicat.