Saya se révélait fascinante. Malgré cette solitude dont elle traitait et qui l'avait accompagnée toute sa vie, malgré sa volonté transpirante de quitter les lieux pour d'autres horizons, elle faisait montre d'un effort notable pour s'ouvrir à chaque instant un peu plus à l'héritière. Cette dernière plissa les paupières, comme pour faire le point, améliorer sa perception de son interlocutrice tandis qu'elle calquait les propos de celle-ci à l'image qu'elle rendait. Comment un être aussi ouvert et franc dans ses propos, simpliste même, naïve à plus d'un titre et pourtant si profonde, pouvait s'être retrouvé aussi seul qu'elle le prétendait.
De son côté, Yukiko n'avait jamais trouvé intéressant de se mêler aux siens. Elle préférait de loin l'observation, le jugement, le calcul et le silence d'une position détachée. à l'image de ses romans, elle découvrait la jeune fille chapitre après chapitre, exception faite qu'elle devait à son tour donner des éléments la concernant pour faire avancer l'histoire. C'était prenant. Elle refréna un sourire de plaisir, une chose peu familière chez elle.
« Certes, je n'ai guère été entourée de gens de mon age. Seuls mes tuteurs et mes professeurs privés furent ma compagnie durant mes années d'études. Néanmoins, cela ne m'a jamais pesé. On ne façonne pas l'élite dans le même moule que le shinobi du rang après tout. Pour ce qui est des écrits compulsés et archivés par ma famille, oui... Tes mots sont pertinents, ils pourraient être comparés à quelque chose d'aussi intangible que l'âme en ce qui me concerne. Il est possible qu'à leur contact ta perception du clan en vienne à changer, te renforcer... Je supposes. »
Le jeu l'amusait. Elle n'avait rien à perdre à parler simplement avec cette fille, sinon du temps, mais cela ne lui importait plus vraiment à ce point de la conversation. En ce qui concernait le relationnel, son avis était plus mitigé que l'optimisme dont Saya faisait part. Elle n'avait eu besoin d'aucun contact jusqu'à ce jour, que cela change ne l'attirait pas plus que cela. Cependant, elle ne vit aucun argument pour contrer cette idée. Elle pouvait lui apporter quelque chose ou ne rien lui pourvoir du tout, quelque en soit le résultat, elle n'était elle-même pas perdante.
« Ce savoir est celui des Gaikotsu. En cela, tu y as tout à fait le droit d'accès. C'est tout ce qu'il reste de l'esprit de corps de notre clan, ce qui fut et qui nous personnalise aujourd'hui, au-delà de ces yeux et de ces cheveux que nous partageons. Pour le reste et... ce "nous" que tu présentes... Eh bien... Nous verrons. »
Ce furent les mots les moins froids qu'elle parvint à trouver. Elle ne voulait rien laisser entendre qui alimenterais l'engouement et l'optimisme étrange flambant dans les yeux carmins de la jeune fille. Mais elle ne souhaitait pas plus que ça freiner ces derniers. Saya n'était intéressante que parce que jusque là, elle était purement elle-même, franche dans ses propos et dans ses convictions. Si elle venait à poser sur ces dernières le sceau de l'intimidation, alors cela ne revêtait plus d'un quelconque attrait.
« Mmh... Ton défi est plaisant. De savoir quel univers est le plus fascinant entre celui dépeint par les écrits et leur sujets réels pourrait se révéler... séduisant. Nous reparlerons de ces voyages plus tard. Comme je te le disais plus tôt : un jour, peut être. Je te promets d'y réfléchir consciencieusement. »
Son interlocutrice n'avait pas compris que le fait d'être plongée dans les ouvrages à longueur de journée n'évoquait aucune honte à Yukiko, bien qu'elle doutait en savoir plus que quiconque au sujet du clan malgré son accès illimité à son histoire. Les secrets étaient parfois dissimulés, bien gardés et dans les légendes se perdaient parfois des vérités dont elle ignorait tout. C'était là sa quête, le véritable savoir sous la surface de l'Océan, tel l'iceberg. Il lui sembla inutile de rectifier quoique ce soit de la pensé de Saya à son propos, elle se ferait sa propre idée plus tard, si cela lui était vraiment important.
Puis vint l'invitation. C'était une première. Sortir de sa rêverie, trancher avec ses habitudes solitaires en allant ouvrir le dialogue avec la jeune fille avaient étés des pas hors de sa zone de confort coutumière. Elle devait être attendue par les siens, on devait déjà la chercher et elle était du genre à se montrer ponctuelle, stricte envers elle-même, briller par sa rigueur et...
« Bien... Pourquoi pas ? Fi des impératifs, je consens à t'accompagner chez toi pour que nous terminions ce sujet. »
Rien ne transparaissait sur son visage à ce sujet. Mais son cœur battait bien plus vite qu'à l'accoutumé. Cette prise de risques inédite et inutile ne lui était guère familière...
Mais elle en avait eu l'envie soudaine, briser les habitudes, trancher le quotidien... Et cela lui paraissait exaltant.