Si les vérités, malgré leur nuance, avaient pu heurter l’orgueil du vieil homme, l’exaltation et l’euphorie dans lesquelles il se trouvait semblaient constituer un rempart impénétrable. Il faut dire que le fou n’avait jamais connu une telle attention de la part d’un public aussi vaste. Cette admiration était si enivrante qu’elle annihilait jusqu’à la douleur. C’était d’autant plus bienvenu compte tenu de la main ensanglantée et des quelques centilitres de sang qui s’échappaient de lui, gouttant régulièrement sur le sol.
« Si tu appelles fuir le fait d’être fidèle à celle qui nous a apporté le pouvoir, alors je me ferai un plaisir d’être un déserteur ! »
Son rire, un éclat de folie, se déchaîna, la tête et les longs cheveux gras rejetés en arrière. Ce rire, à peine plus qu'une imitation forcée, trahissait son fanatisme devenu si profond qu’il ne lui restait plus que des gestes et des mimiques d’un autre temps. C’était une vérité douloureuse, mais qui lui donna raison lorsqu’une voix familière, tout juste perceptible, murmura dans l’air entre les deux adversaires.
Sa main, tachée de sang, lâcha brusquement le sabre pour aller se presser contre son front, dans un geste empreint d’incrédulité, accentué par ses yeux écarquillés et son sourire béat. Jamais il n’avait ressenti une connexion aussi intense avec la prêtresse, ce lien mystique qu’il avait toujours cherché à atteindre et qui semblait aujourd’hui plus réel que jamais.
De cette rangée de dent cariée qui ne quittait plus son visage, il en oublia très vite la raison de sa déambule dans la rue. La prêtresse l'avait appelé, cela avait suffi pour donner sens à n'importe quel de ses actions. Davantage, lorsqu’une brise transporta son prénom jusqu’à ses oreilles, caressant ses sens comme un murmure divin, il faillit s’évanouir de joie. Et c’est effectivement ce qui se produisit : s’écroulant à genoux sous les regards ébahis de la foule, les mains jointes, il répéta tel un chant extatique :
« Oui ! Oui, ma prêtresse ! Tout ce que voudra ma prêtresse ! »
Puis, dans un état de transe, il se redressa, bousculant les témoins médusés, et se mit à marmonner pour lui-même, ses paroles s’entrelassant avec son excitation frénétique. Il s’éloigna d’un pas précipité vers chez lui, l’esprit déjà entièrement tourné vers la préparation de son voyage imminent. Les ruines d'or... Automne... la vérité dans ses mains... Ces mots n'étaient pas tombés dans l'oreille d'un sourd... mais d'un fou.