Le voyageur des reflets


Hôpital, Jardin Intérieur

Année 15 | Automne
Seule, dans le jardin de l'hôpital, Hinae se retrouve face à un reflet qu'elle n'imaginait pas trouver en ce lieu.

Seule. Assise sur ce banc, face à cet arbre. Face à elle-même, et à cette incapacité de s'oublier. Femme souriante aux yeux des autres, je n'avais jamais su m'oublier pleinement ni me confronter. Je me perdais, maladroitement, dans ce que je n'étais pas. Comme si perdre la vue pouvait permettre un jour de la retrouver, avant de finir par perdre ma voix. N'était-ce pas, après tout, ma place dans cette société ? Celle de ne pas voir, de ne pas parler. On ne me remarquait pas. On ne m'entendait pas. Depuis toujours, je retenais mes larmes et ce mal intérieur. On m’imaginait heureuse ou égarée, mais c'était autre chose. On ne peut pas voir ce qu'on refuse de voir. On n'entend pas ce qu'on n'écoute pas.

Ma place de femme, de mère, d'individu… je n'arrivais pas à la trouver. Alors, je taisais mes craintes. Mais étais-je vraiment quelqu'un ? Est-ce qu’on me considérait ? Non, je n'étais rien. Juste un élément du décor, une présence silencieuse pour les autres. Ma vie se résumait à cela. La bataille n'existait même pas. Ce jardin représentait ma vie : un lieu où l'on passe, où l'on se repose, mais où l'on ne s'attarde pas. Une place parmi d'autres. Nous n'étions, en fin de compte, que de simples refuges pour autrui, des reflets. On ne s’intéressait pas à l'âme de l'autre, juste à ce qu’elle reflétait.

Aujourd'hui, cet arbre, comme moi, ne disait rien. Comme moi, il se laissait ébouriffer par le vent. Comme moi, il attendait simplement qu'on veuille bien le voir. Nous cherchions une intégrité égoïste, dans un monde qui manquait de lucidité et de vérité.

Mais ne sois pas triste, ami de bois. Le monde est ainsi fait : la suite inévitable de notre propre monde. Faut-il se plaindre d’y vivre ? Sans cela, nous ne pourrions pas l’observer. Mais, est-ce seulement important ? Sang d’arbre ou de chair, nous souffrons du même froid, de la même attente. Celle de mourir. Plus nous nous en approchons, plus nous arrivons à nous oublier. Mais d'autres, comme nous, restent figés face au grand mal de ce monde.

Alors, mon ami résineux, reviens en oiseau, tu pourras suivre le vent au lieu de m'accompagner dans ce long silence.

Publié il y a 12 heure(s)