La bague se souleva d’un demi-centimètre, comme attirée par une force invisible. Le mouvement était presque imperceptible, mais pour Kyoko, ce fut un frisson électrique qui parcourut tout son être. La lueur verte qui l’habitait jusque-là s’amplifia, se diffracta en halos concentriques, puis en une cascade d’étincelles filandreuses cherchant à se greffer au socle. Un lien se forma, silencieux et implacable, semblable à une clé retrouvant sa serrure après un long exil.
La grotte, obscure et humide, saturée d’odeurs de pierre et de mousse, sembla retenir son souffle. Les torches fixées aux parois vacillèrent, et une clarté dorée, chaude et paradoxalement glaciale, jaillit du piédestal. Le sol vibra, comme si les strates profondes de la terre se souvenaient. Les stalactites renvoyèrent des éclats d’or et d’émeraude, tandis que la poussière en suspension traçait des motifs proches de glyphes oubliés. Autour d’elle, les gravures anciennes se mirent à luire : filaments de cuivre, motifs solaires, réseaux souterrains stylisés, tous témoins d’un artisanat destiné à dompter l’énergie du monde.
Lorsque la bague se verrouilla sur le piédestal, Kyoko vit son reflet se dissoudre dans la lumière. Une pression douce s’installa derrière ses paupières. Ce n’était pas une douleur, mais la sensation intime d’une serrure qui s’ouvre. Alors vinrent les images, non dans l’ordre d’une mémoire, mais comme des vagues successives la submergeant.
D’abord, sa propre vie. Des fragments, des gestes, des visages. Des réminiscences d’enfance, rires suspendus dans une maison étroite, chaleur d’une main qui la guidait. Puis des éclats plus proches : la colère froide avant chaque combat, la nuit où elle jura d’éradiquer le chakra, la silhouette de Wattan prête au sacrifice. Tout afflua avec une netteté irréelle, comme si l’objet ne montrait pas seulement des souvenirs mais recomposait le fil brisé de son existence.
Masashi apparut ensuite, non pas en chair, mais comme une idée incarnée. Sa lente compréhension que l’énergie et le temps étaient liés lui traversa l’esprit comme une vérité brute. Le soleil ne donnait pas seulement la lumière, il tissait la trame du temps. Chaque flux détourné, chaque canal utilisé altérait la cadence du monde. Masashi l’avait compris trop tard, après avoir vu les retombées : forêts réordonnées, bêtes difformes, villages aux saisons brouillées. Ce qu’il craignait, il l’avait transmis en murmures, en cartes inachevées, en demi-révélations. Kyoko, à l’époque, n’y avait pas cru.
Puis la vision s’élargit. D’autres temps surgirent, plus anciens, peut-être antérieurs à toute mémoire humaine. Des hommes bâtissant, luttant, s’adaptant à un continent impitoyable. Et au milieu d’eux, une femme au regard doux, aux cheveux blonds pâles comme le blé sous le soleil : Konohanasakuya. Sa venue n’avait rien d’une conquête, c’était une offrande. Elle contempla ce monde et, avec une tendresse qui contrastait avec son âpreté, entreprit de tisser un réseau doré sous la peau de la terre. Un réseau qui capterait l’essence solaire sans laisser cette force consumer les cœurs mortels.
Les visions la montrèrent creusant des canaux, gravant des symboles solaires dans la pierre, scellant des veines d’or. Chaque canalisation lui coûtait des années de vie. Son père, le dieu Taiyō, lui avait ordonné de transformer une malédiction en don. Elle obéit, non par orgueil, mais par compassion. Son énergie permit aux villages de survivre, aux cultures de prospérer, aux architectures de défier les tempêtes. Pour un temps, la paix régna. Les hommes purent respirer.
Mais la lumière offerte finit toujours par attiser le désir. Les images devinrent cruelles. Des hommes s’appropriant le don pour dominer, des familles s’entredéchirant autour des points d’accès, des armées s’exerçant au bord des puits d’énergie. Chaque appropriation corrompait le fil d’or. La bienveillance de Konohanasakuya se transforma en ressource stratégique. Et comme Masashi l’avait pressenti, la malédiction muta. Ce présent divin n’était-il destiné qu’à un temps limité ? Le temps pour l’homme d’apprivoiser son monde ? Konohanasakuya ne pouvait répondre. Elle se sacrifia, donnant naissance à une paix illusoire. Elle croyait en une paix choisie par ses enfants. L’avenir ne lui appartenait pas.
Kyoko sentit la nostalgie et l’amertume se nouer. Sa croisade prenait place dans le cercle ancien d’un serpent qui se mord la queue. La bague, elle, continuait de chanter. Ce chant n’appelait pas à la destruction. Il était archive, mémoire vivante, illusion millénaire, à la fois souvenance et mise en garde.
Alors surgit une dernière image. Konohanasakuya, au crépuscule de sa vie, déposant un cube d’or dans les entrailles du Yuukan. Ce cœur, disait la vision, permettait de remodeler les flux d’énergie du continent tout entier. Le sceau protégeait l’équilibre fragile entre don et folie. La bague que Kyoko tenait n’était qu’une résonance de ce sceau, non une arme, mais un témoin. Un témoin qui choisissait, selon l’intention de celui qui l’harmonisait, d’ouvrir ou de préserver. Reconnaissait-elle ce cube ? Celui-là même qu’un autre peuple utilisa jadis pour sceller une divinité…
L’illusion perdit soudain de son intensité. La grotte retrouva ses bruits : le goutte-à-goutte régulier, le souffle filtré du vent. Mais Kyoko savait que quelque chose en elle avait changé pour toujours. Les certitudes affluaient, tangibles : l’énergie liée au temps, le soleil à la fois source et juge, Konohanasakuya bienfaitrice sacrifiée, et la clé, lourde de conséquences morales autant que physiques.
Ce qu’elle croyait n’être qu’un artefact voué à sa vendetta prenait une dimension nouvelle. Préserver l’équilibre, ou le rompre au nom d’une colère juste ? Masashi avait compris trop tard. Elle, à présent, voyait la logique cachée. Le monde avait été façonné par des dons douloureux.
La bague se mit à trembler. Le joyau se dissipa en une fumée verdâtre, ne laissant au sol qu’un anneau d’or nu. Ironique conclusion.
Autour d’elle, les cendres de Wattan absorbèrent la lumière comme si elles attendaient une fin. La grotte expira, et la clarté s’adoucit, telle une lampe dont on baisse la flamme. Deux voies s’esquissèrent devant Kyoko. L’une promettait la réparation par l’éradication, l’autre un chemin plus fin, plus dangereux, fait d’équilibre et de patience.
La voix résonna. Elle la connaissait. Ce n’était pas celle d’un souvenir personnel, mais la mémoire du Yuukan. Celle d’un demi-dieu, frère de Konohanasakuya, l’un de ses trois frères. L’homme qui, nu comme un nouveau-né, avait surgi sur le continent des siècles après elle et bouleversé le monde shinobi. L’homme qui voulut soumettre les peuples. Celui qui, lorsque ces derniers se rebellèrent, tenta en vain de mettre fin à l’énergie spirituelle.
HRP : Pour toute personne qui lira ce post, les RP précédents de Chikara Yasakani ne sont pas à considérer. Ils appartiennent à un passé qui a été chronologiquement effacé.