Manjiro haussa un sourcil, sans même daigner masquer son amusement. La prune verte, dure sous ses doigts, s’écrasa entre ses dents avec un craquement sec. Le goût atrocement acide lui fit plisser les yeux à peine une seconde, juste assez pour trahir qu’il regrettait un peu son choix, avant qu’un sourire moqueur ne se dessine sur son visage.
« Vous bouffez du poisson toute l’année, t’en sais quoi des fruits, toi ? »
Il mâchait lentement, ostensiblement, juste pour la provoquer davantage. Le genre de défi silencieux qu’il adressait souvent à Sayuri, comme un gamin qui cherche à voir jusqu’où il peut pousser la limite avant qu’elle ne lui mette une claque.
Puis un cri éclata au-dessus d’eux. Bref, guttural, presque humain. Manjiro releva la tête d’un mouvement vif, la mâchoire encore en train de travailler sa bouchée. Un silence tendu s’installa l’espace d’une seconde, brisé seulement par le bruissement des feuilles.
Son regard accrocha la silhouette mouvante, perchée plus haut dans l’arbre. Une ombre agile, indistincte.
Le ton n’avait rien d’effrayé, juste ce mélange d’étonnement et de curiosité bravache propre à Manjiro. Il s’essuya la bouche du revers de la main, jeta le noyau par terre et plissa les yeux, fixant la cime de l’arbre. Un sourire en coin, cette fois sincère, s’étira sur son visage.
Il recula d’un pas, main sur le manche de son arme.
« Dans tous les cas, j’vais lui demander son avis sur les prunes. »
Manjiro, fidèle à lui-même, éclata d’un rire bref avant de bondir à son tour, ses sandales raclant l’écorce. Le singe détala entre les branches, hurlant à chaque bond, mais l’éclat doré du jeune homme suivait de près, vif, obstiné.
Un craquement, puis un autre. Des feuilles tombèrent en pluie verte autour d’eux.
Il tendit la main, rapide, précis et ses doigts se refermèrent sur la patte droite de la bête.
« Ha ! Caught you, sale macaque ! »
Il riait franchement, un rire de victoire enfantine. Le singe, lui, cessa de se débattre un instant. Ses yeux, étrangement humains, se fixèrent dans ceux du blond. Puis il leva sa main libre, tremblante, et la posa doucement sur son front.
Le rire de Manjiro mourut dans sa gorge. Une chaleur fulgurante jaillit de la marque, une brûlure violente qui le fit grincer des dents.
Il lâcha la bête, tituba sur la branche, la main crispée sur son front désormais incandescent. La douleur irradiait, pulsait sous sa peau. Puis, lentement, la chair s’y mit à bouger.
Un craquement humide.
Une masse organique, gluante, s’étira depuis la marque, comme si quelque chose sortait de lui.
Sayuri, depuis le sol, n’eut pas même le temps de réagir. En un souffle, cette chose enveloppa le torse du blondinet, puis tout son corps, l’avalant dans une étreinte ignoble.
Un cri étranglé, puis plus rien.
Deux secondes à peine.
Un nuage de fumée.
Le silence.
Plus de singe.
Plus de Manjiro.
Seule restait, suspendue dans l’air, une odeur âcre de chair brûlée et de sève fraîche.