Hattori Masashi n’était plus que l’ombre de l’homme qui, autrefois, imposait le respect par sa seule présence. Ses épaules, jadis droites et fières, s’étaient légèrement voûtées sous le poids des années… et surtout sous celui de cette nuit maudite du Kakusei.
Il n’avait rien retenu de ses forces ce jour-là. Chaque frappe, chaque mouvement, chaque souffle avait été donné pour protéger les siens, jusqu’à ce qu’il sente en lui se rompre quelque chose de bien plus précieux que ses os ou ses muscles : le lien intime avec son énergie spirituelle.
Depuis, il vivait dans un étrange silence intérieur. Il ne pouvait dire ce qu’il était encore capable de faire… simplement parce qu’il ne ressentait plus rien. L’énergie qui, depuis toujours, l’avait fait vibrer, brûler, avancer, semblait s’être éteinte, comme une flamme privée d’air.
Pourtant, il n’avait pas disparu. Durant toutes ces années, il s’était dissimulé, choisissant l’ombre plutôt que la lumière. Mais dans une ironie cruelle, il avait conservé sa proximité avec l’homme même qui avait participé à ce destin brisé : le gouverneur.
Il ne le voyait pas comme un ennemi. Masashi n’avait jamais eu le cœur prompt à désigner un coupable. Mais il portait en lui une obsession étrange : celle de résoudre ce qui ne pouvait être résolu, de retrouver une essence qu’on disait perdue.
Car lui seul savait vraiment pourquoi l’énergie spirituelle se faisait aujourd’hui plus rare, plus difficile à maîtriser qu’autrefois. Ce n’était pas une simple conséquence du temps ou des hommes : c’était une transformation profonde du monde lui-même.
Lors de ses ultimes coups portés au demi-dieu, Masashi avait perçu plus qu’il n’avait jamais perçu. Il avait vu, ou plutôt ressenti, les racines de cette force, le chemin secret qu’elle empruntait.
Sous la surface du Yuukan, des réseaux entiers de grottes s’entrelacaient comme des veines dans un corps. Les anciens les appelaient les veines dorées. Elles recueillaient l’énergie solaire absorbée par la terre, puis la libéraient, subtile et invisible, dans l’air, les plantes, la peau même de ceux qui foulaient ce sol béni.
C’était cette circulation secrète qui nourrissait le monde. Et c’était cette même circulation que le Kakusei avait meurtrie, altérant à jamais le flux vital.
Hattori Masashi n’avait plus la force de la ressentir, mais il en portait encore le souvenir brûlant. Et ce souvenir, plus que tout, le hantait.
Il leva lentement la tête, comme s’il craignait que ce simple geste ne lui coûte les dernières forces qu’il lui restait. Ses yeux, autrefois vifs et impérieux, semblaient voilés par une fatigue ancienne, mais au fond d’eux brillait encore une lueur, fragile, incertaine, qui n’appartenait qu’aux survivants.
D’une voix basse, presque effacée, il prononça :
Le nom s’échappa de ses lèvres comme une exhalation, porteur d’un poids qu’elle seule pouvait deviner.
Elle n’était pas celle qu’il avait espéré voir franchir cette porte. Mais sa présence ici, dans ce lieu inapproprié pour une Hattori, disait plus que n’importe quelle nouvelle : le Royaume Hattori tenait encore.
Du moins… il le croyait.
Masashi soutint son regard, sondant en silence ce qu’elle ne disait pas.
L’était-il de la bonne manière ? Était-ce encore le royaume qu’il avait jadis protégé de son corps et de son âme, ou bien une coquille vide, habillée des mêmes couleurs mais vidée de son esprit ?
Il repensa alors à son second enfant, Hattori Rin.
L’image de son visage, autrefois si claire, lui échappait désormais par fragments, comme un rêve qui se délite au réveil. Rin ne s’était pas simplement enfui, ni même perdu… il s’était volatilisé.
Il était difficile d’expliquer ce phénomène, même pour lui qui avait voué sa vie à comprendre les flux du chakra. Son énergie avait été happée par une force inconnue, un vortex incontrôlable, comme si l’air lui-même s’était replié sur son corps pour l’avaler. Ce n’était pas une mort, pas vraiment. C’était une disparition… une absorption.
Et pourtant… dans l’instant qui suivit, Masashi avait ressenti, de manière fugace, la présence de son fils. Ce chakra familier, cette vibration unique qui liait le père au sang de sa chair… elle était revenue, plus vive que jamais, mais pour quelques minutes seulement.