Inspections et préparatifs (ouvert)

L'orage avait grondé, elle ne s'en était pas méfié et maintenant, la foudre lui tombait dessus. Raiko était cette fameuse foudre. 
Sans qu'elle ne comprenne pourquoi, son simple malaise en avait engendré un bien plus gros, l'homme semblait furieux et Asae senti tout son courage glisser dans ses jambes jusqu'à ses pieds qui lui criaient de partir en courant. Prendre la fuite, là, tout de suite. Ne pas se retourner. Elle ne voulait pas se faire mal aimer, elle ne voulait pas d'une vie si compliquée. Elle n'était pas encore prête pour abandonner tout ce qui la constituait depuis dix-neuf ans. Elle voulait retourner dans le passé, n'être qu'une enfant couvée et aimée, innocente et insouciante.
Mais c'était impossible. Elle était là, et lui aussi, son regard pourfendant ses grands yeux violacés avec violence et monstruosité. Elle avait devant elle un monstre. Un monstre de fourberie qui venait de perdre sa couverture de self-Control, affichant alors au monde entier son véritable soi. 

        Vous êtes stupide. 
Ce dernier mot résonna dans son esprit. Un déclic. Son regard si doux se changea en quelque chose d'aussi aiguisé que le meilleur des poignards et enfin, tel un véritable feu d'artifice, elle implosa après quelques secondes de frémissements silencieux



Son regard furibond soutenait, défiait, agressait directement celui de son interlocuteur alors que sa main avait exprimé toute la nervosité libérée de la jeune femme par divers gestes amples. Une dispute de couple, pour beaucoup. Mais, elle, n'avait même pas réalisé son manque de contrôle. Il l'avait fait sortir de ses gonds. Réalisant sa faiblesse, sa haine se transforma en honte et ses yeux écarquillés par son propre excès se baissèrent. Sa main se replia sur sa poitrine. Qu'avait-elle fait ?

        Raiko arqua un sourcil, toujours passif et froid. Asae avait réagit comme l'avait intérieurement souhaité le Miwaku. Elle avait la force enfouie en elle pour tenir tête aux plus grands, c'était certain. Raiko s'en réjouissait intérieurement et heureusement pour lui, rien de la naïveté d'Asae n'avait été une façade abritant un monstre d'égocentrisme. Un existait déjà au sein du village et il n'appréciait pas trop la compétition...



        Son chan était plus désobligeant que jamais, sous-entendant qu'elle n'était rien de plus que cette poupée à laquelle elle avait fait allusion. De sa main libre, Raiko obligea Asae à relever son menton et d'affronter à nouveau son regard.



        Le regard froid se mua bientôt en celui que Raiko adoptait toujours : sourire en coin et yeux rieurs.

Toujours choqué par sa propre réaction, Asae ne prêta qu'une vague attention à son interlocuteur. Que lui arrivait-elle ? Elle venait de perdre tout le calme qu'elle se forçait de garder en toutes circonstances. Et ça lui avait fait du bien. Beaucoup de bien. Pendant ces quelques secondes, elle avait senti quelque chose de nouveau naître en elle, quelque chose de fort brisant les barreaux dressés par son enfance trop sage. Elle s'était sentie forte, combattive, courageuse. Puis, ce sentiment s'était envolé sans qu'elle ne puisse le retenir.
Encore haletante, elle sentit la main de son interlocuteur sur son menton et la laissa guider son visage, croisant une nouvelle fois ce regard qu'elle essayait de fuir. Mais quelque chose avait changé. Comme si elle parvenait désormais à repérer un petit quelque chose au fond de ces yeux. Quelque chose qui lui serait bénéfique si elle voulait ressentir à nouveau cette force enfouie. Mais oserait-elle braver toutes les limites de sa psychologie pour l'atteindre une nouvelle fois ? Rien n'était moins sur.
Son petit corps tremblotait face à cette menace, ce monstre qui avait réveillé une façade endormie de sa personnalité et qui attendait surement une réaction face à ses phrases. Elle l'avait menacé et pourtant elle se retrouvait une nouvelle fois faible et tétanisée face à lui.



Plus qu'un murmure pour sa propre personne, cette complainte aurait pu ressembler à un appel à l'aide sorti contre sa volonté. Elle ne demandait qu'un guide pour devenir celle qu'elle devait être, pour devenir digne de son futur grade. Mais craignait trop Raiko pour suivre son enseignement.

        Asae était devenu un fruit mûr prêt à être cueilli et avoir son visage ainsi dans sa main donna à Raiko bien des envies. Il baissa quelque peu l'ombrelle en papier pour cacher leurs visages aux passants et il rapprocha ses lèvres de celles d'Asae. Si pure, si jeune, si belle, Raiko avait bien de la chance. Ils étaient là, seuls au milieu de la rue, et elle s'était ouvert. Intérieurement, le serpent jubilait de cette opportunité. Tout était parfait ! Alors il se pencha et leva un peu plus le menton de la jeune femme vers son visage.
        Les silhouettes sur l'ombrelle s'embrassèrent.



        Un murmure glissé dans le creux de l'oreille d'Asae-chan, joue contre joue. Le parfum de la belle se mêlait à celui du bellâtre et les lèvres du proxénète était si proche qu'il aurait pu croquer dans son cou pâle et magnifique.
        Doucement, Raiko délaissa la main au menton. Du pouce, il glissa le long de la mâchoire, du coup et du début d'épaule, où il se permit de faire une pause, comme hésitant. Sans scrupule, Raiko aurait comblé son désir en plongeant sa main dans ses vêtements mais il préféra s'abstenir. Il devait tout de même du respect à ce jeune monarque naissant. Il chercha plutôt à attraper une main de la jeune femme pour y déposer quelque chose.



        Chuchota-t-il avant de reprendre ses distances et de soulever à nouveau l'ombrelle. L'objet qu'il avait glissé dans la main d'Asae était un kaiken, un petit poignard semblable à un katana. Pratique pour le dissimuler dans ses vêtements, utile pour se défendre. D'un sourire, Raiko se retourna et avança d'un pas lent mais ferme. Doucement, l'ombre qu'offrait Raiko à Asae se dissipa. Elle fut exposée à la lumière du soleil.
        Le bellâtre jeta un regard au-dessus de son épaule à la belle enfant, lui demandant par ce même geste : me rejoignez-vous ?

L'ombre d'un pare-soleil, une journée ensoleillée, un baiser volé.
Volé ? Non. Elle aurait été bien incapable de le repousser. Elle l'aurait surement voulu mais aucun de ses membres ne voulait se mouvoir. Seules ses lèvres s'étaient timidement entrouvertes à l'approche de celle de l'androgyne. Pourquoi ? Elle ne le savait pas, pas encore. 
Elle ne se sentait plus maître de son corps, maître de ses sentiments ou même de ses pensées. Son cœur voulait Le savoir. Il voulait se l'approprier, elle le sentait. Elle sentait cette force qui ne voulait que grandir et s'étendre. Elle voulait devenir l'Oka-Sân et plus encore, même si sa pureté lui refusait encore la moindre pensée ambitieuse.
Elle voulait être ambitieuse, égoïste. Elle en ressentait le sombre besoin. Et Raiko pouvait répondre à ce besoin. 

C'était bien la première fois qu'elle se sentait si différente. Tout cela à cause de cet homme... Son souffle chaud sur son cou, les réponses qu'il pouvait lui apporter. Les désirs qu'il pouvait combler. Combler cette soif qu'il avait cruellement fait naitre chez elle. Cette soif de pouvoir...
Elle sentit sa présence s'éloigner et s'en découvrit bouleversée. Il l'effrayait, vraiment. Il était vil, malfaisant, calculateur.
Et pourtant le voir partir déclencha quelque chose de désagréable chez elle. Elle avait besoin de son savoir si elle voulait rester en vie. Si elle voulait grandir et devenir celle dont ce monde a besoin. Son regard se posa sur l'arme qu'il venait de lui céder et ses petites mains s'y accrochèrent avec ferveur. Allait-elle devoir s'en servir un jour ? Voudrait-elle s'en servir un jour ? Elle le ramena vers elle et l'enserra sur sa poitrine, essayant de ressentir toutes les émotions qui s'invitaient chez elle.

Par là, plus loin, il s'avançait dans cette lumière, celle du soleil. Il semblait rayonner autant que l'astre lui-même.
Elle aussi voulait rayonner. Elle aussi voulait marcher dans la lumière. 

Alors elle fit de lui son guide et marcha dans ses pas pour le rejoindre.