Noie-le ou ressasse-le

Certains voient le verre à moitié vide, d'autre à moitié plein. Masato, lui, règle le problème en finissant toujours ses verres rapidement, évitant ainsi toutes ces complications psychologiques.
Combien de verres avait-il écoulé, déjà ? Quelques-uns mais il ne les comptait pas. De toute façon, son corps avait fini par s'habituer à ses sorties nocturnes et l'alcool mettait de plus en plus de temps avant de délivrer l'effet souhaité. Cet effet qui vous emporte, vous allège, vous libère. Vous vous sentez alors planer au-dessus de tous les problèmes du monde et c'est agréable.

        C'est ce que Masato cherchait, chaque fois qu'il rentrait dans un bar, chaque fois qu'il commandait une bouteille, et à chaque fois qu'il buvait. Il ressassait alors son passé mais l'alcool lui apportait ce plus, ce baume au cœur. Il se détachait de ses peines, de ces angoisses. Il abandonnait même son sourire idiot et surfait dans certains moments. Il se permettait alors d'être lui, trop enivré pour se contenir.

Cela faisait un moment qu'il regardait cet homme attablé un peu plus loin. Les personnes buvant pour se détacher de leurs angoisses et de leurs peurs se reconnaissaient rapidement entre eux. Masao avait déjà ingurgité suffisamment d'alcool pour perdre certaines de ses appréhensions et être capable d'aborder un inconnu sans aucune gêne. Il savait qu'il ne boirai pas beaucoup plus ce soir, il approchait de l'état qu'il recherchait mais aller plus loin le répugnait. Il n'avait perdu qu'une seule fois le contrôle de son corps, et de sa mémoire, après une soirée trop arrosée et s'était juré de ne jamais revivre cette expérience. S'asseyant en diagonale de son partenaire de beuverie, du côté de son œil valide, Masao posa son verre sur la table.



Il avait besoin de ne plus se sentir seul, mais n'avait absolument rien à dire à l'inconnu. Après tout, ils ne se connaissaient pas ni ne s'étaient jamais vu, ou en tout il ne s'en souvenait pas. Pourtant il n'avait personne d'autre pour l'aider à échapper à ses pensées morbides de la soirée...



Un embryon de conversation... c'était toujours mieux que rien. Le Kitto n'avait pas jugé bon d'ajouter son nom de famille, ses iris étaient violettes même quand il n'utilisait pas son pouvoir héréditaire, un simple regard renseignerait aisément son interlocuteur sur son clan.

Il aurait pu passer sa soirée seul, à contempler l'alcool danser dans son verre et savourer son effet sur sa gorge mais finalement quelqu'un se proposa pour lui tenir compagnie. Il ne s'y attendait pas mais, bavard comme il est, n'osa même pas imaginer le renvoyer. Non, il aimait bien parler, même dans cet état assez peu présentable que lui donnait le saké. Il fit glisser la bouteille jusqu'à cet inconnu aux cheveux violacés et lui dit sans hésiter.



Il lui sourit par habitude et le dévisagea un instant. Cet homme, il avait surement dû le voir mais où ? Et qu'est-ce que ça changeait puisque de toute façon, il lançait les présentations. Masato pouffa d'ailleurs de rire à l'entente de son nom et pensa même qu'il se moquait de lui, pour le coup. Mais il semblait sérieux...



Il insista un peu sur la dernière, histoire de bien appuyer sur cette seule différence phonique avant de ricaner légèrement.

Remplissant sa coupelle avec le contenu de la bouteille que lui avait approché son camarade de table. Il faillit en renverser un peu en entendant le nom de son vis-à-vis. Décidément, voilà qu'en plus d'un attrait tout particulier pour la boisson leur patronyme leur créait un second point commun.



Prenant une gorgée de sake de plus, il se dit que ces points communs n'avaient rien de très glorieux. Pour preuve ils étaient tous les deux assis à la table d'un bar, en train de consommer plus d'alcool que de raison pour fuir un présent devenu trop terne ou trop douloureux...

« Manquerait plus que tu sois un Kitto toi aussi ! »
Masato failli s'étouffer à cette remarque, surpris. Certes, les yeux de son locuteur étaient violets mais ça ne prouvait rien, au fond. Et puis, il était déjà un peu trop enivré pour faire le rapprochement entre un globe oculaire et l'appartenance clanique d'un homme. Mais tout cela l'avait fait rire une nouvelle fois.



La chance se rapporterait-elle à un simple prénom ? C'était une idée assez grotesque mais il était prêt à y croire, après tout. Masato était de ce genre d'homme capable de croire en un peu n'importe quoi, une fois qu'on lui en prouvait la véracité.
Il remplit sa coupe et la leva un instant pour regarder le liquide refléter les rayons du luminaire accroché au plafond.



À quoi servirait de tourner autour du pot ? Quand on vient s'accouder sur la table de quelqu'un, un verre à la main, c'est généralement qu'on a envie de parler. De n'importe quoi. Mais Masato ne trouvait pour le moment pas de sujet comique à aborder.

Souhaitait-il vraiment en parler ? Mais si ce n'était pas le cas pourquoi avoir abordé un inconnu de la sorte ? Après un soupir de résignation, Masao entreprit de raconter son histoire, enfin, de la résumer plutôt. Le recul accordé par l'alcool lui permettrait de retenir ses larmes. Seul restait l'amertume et les regrets.



Il avait été le plus neutre et le plus vague possible afin ne pas influencer son vis-à-vis. Pourtant, il n'arrivait pas à empêcher sa voix de trembler en évoquant ces événements.retournent une gorgée de sa coupelle de sake, il semble se détendre un peu et retrouva le sourire en coin qu'il avait au début de la conversation.

Masato écouta l'histoire de son homonyme avec le même intérêt que celui que son œil offrait à son verre. L'alcool offrait aux gens la possibilité de se confier sans avoir peur du ridicule ou d'être jugé.
Et cet homme souffrait de sa faute. Enfin faute... Était-ce la sienne, au final ? La Mort ne se négocie pas, elle tombe là où elle le désire. Qu'importent les efforts qu'il aurait pu faire, sa femme serait morte. Dame la faucheuse aimée prendre les vies et ne se laisse pas bêtement apitoyer par les supplications ou les tentatives d'un homme. Et c'est comme ça.
Maintenant, pouvait-il lui dire ça de but-en-blanc ? Probablement pas. Cet homme était bouleversé, ça se voyait et ça s'entendait. Il s'attendait surement à ce qu'on le réconforte et le comprenne. Mais cela n'allait pas le faire avancer.



Il soupira. Pathétique comme début de réparti. Il vida sa coupelle d'un mouvement sec avant de reprendre.



Était-il trop dur ? Il n'en savait rien. C'était sa façon à lui de consoler un parfait inconnu.

Être écouté, simplement, sans forcément que son interlocuteur ne cherche à le juger ni même à l'aider pouvait être reposant. Le dénommé Masato y alla finalement de son petit commentaire, plein de bon sens et loin d'être désagréable aux oreilles de Masao. Celui-ci écoutait son comparse tout en finissant sa coupelle. Haussant les épaules il se contenta d'une réponse aussi courte que peu expressive.



La moindre des politesses, après avoir déballé son sac auprès d'un compagnon de beuverie, était de le laisser à son tour exprimer ce qu'il avait envie, ou besoin, de laisser ressortir. Masao se livrait de bon coeur à cet exercice, d'autant que la perspective de changer de sujet ne le dérangeais pas le moins du monde, bien au contraire...

Ces paroles l'avaient-elles touché ? Ou blessé ? Ou apporté n'importe quoi à sa vie ? Il n'en savait rien et n'était pas en état de se poser la question. D'ailleurs, la question du pourquoi tu bois lui revint, comme une patate chaude qu'on s'échangeait pour ne pas se bruler les doigts. Il soupira et essaya un zeste d'humour.



Il pouffa de rire avant de reprendre un ton plus sérieux.



Bon ami, c'était le moins de le dire. Combien d'années avaient-ils passées ensemble, à exécuter mission sur mission et des entrainements acharnés entre deux repas au stand de ramen du coin ? C'était le bon temps. Et maintenant, il était mort. Parti, disparu. Enterré. Assassiné par sa naïveté.

Il n'y avait rien à ajouter. Un simple regard entre les deux hommes suffit pour qu'ils se comprennent. Avec un signe à l'attention du propriétaire des lieux, Masao fit amener une nouvelle bouteille. Remplissant la coupelle de son camarade et la sienne il porta un toast.



C'était sobre, simple et tout de même correct au vu des capacités amoindries du shinobi. C'était sa dernière bouteille, il le savait. Après il allait sombrer dans une autre facette de l'ébriété qu'il préférait éviter autant que possible. En attendant il était au chaud, savourant sa boisson et en bonne compagnie. Il y avait de quoi savourer l'instant présent. Laissant les griffes du passé desserrer leur étreinte sur son cœur, Masao savoura pleinement l'instant présent, sans penser à rien d'autre.

L'avant-bras levé, la coupe pleine, Masato porta toast en silence, préférant écouter le discours de son acolyte en silence.
Aux disparus. À Madame Kitto dont il ne connaissait rien d'autre que son mari endeuillé depuis peu. À Nakatsu, crétin mort de sa dernière absurdité. À tous les Kitto morts des mains ennemies et à tous ceux qui périront prochainement.
Car oui, le carnage est continu, infini. Des vies sont prises chaque jour et des cœurs brisés continuellement.
L'ambiance était assez morose et un silence nostalgique pris place après ce toast. L'avant-bras toujours en partie levé, Masato laissait son esprit voguer sur la mer de Saké qui avait remplacé sa raison. De nombreux souvenirs étaient alors ressassés mais étrangement, il trouvait ça agréable. Il n'avait pas envie de les refouler, de les ignorer. Il avait même envie de les partager. Foutu alcool, voilà qu'il le force à déballer ses secrets.



Finalement, il avait réussi à ne pas vendre ses précieux souvenirs. Tant mieux, il l'aurait regretté. Ils étaient à lui et juste à lui.

Le silence avait été long sans être pensant. L'atmosphère pouvait paraître sinistre tant les dernières paroles prononcées étaient peu réjouissantes et pourtant, les deux protagoniste de cette scène nocturne ne semblaient pas y faire trop attention. Masato reprit la parole, exprimant ses craintes au sujet de la situation actuelle du village. Masao n'était pas de son avis, et ne se gêna pas pour le dire.



Bien triste tableau qu'offrait la république de Konoha. Cette situation à elle seule était une raison suffisante pour boire toute la nuit. Les récents évènements n'allaient certainement pas arranger les choses. Peut-être était-on à nouveau au bord de la guerre civile, à croire que les hostilités ayant pris fin il y a neuf ans n'avaient pas suffisamment marqué les esprits pour dégouter les membres des clans de ces atrocités... Imbéciles.