L’intérêt qu’éprouvait l’Ombre de Kumo pour ce gamin intriguait fortement la quarantenaire. Elle le savait dur et intransigeant, et pourtant, dans ses yeux et ses paroles, une certaine tendresse pointait à l’horizon. Peut-être qu’à force de côtoyer les hommes, ce monstre retrouvait timidement son humanité. Bien sûr, jamais il n’avouerait de tels sentiments, et pourtant, pour Kagero, il était évident qu’Azamuku commençait à perdre son masque impassible. Cette pensée la fit légèrement sourire. Cet homme était étonnant et le mystère qui l’entourait était quelque peu… Charmant.
« La vengeance… Encore une autre âme que je dois donc sauver… Eh bien, mon cher ami, tu n’arrêtes pas de me donner du travail ces temps-ci ! »
Ami. Ce mot résonna étrangement dans la bouche de la Geisha, mais il était trop tard. Un peu décontenancée par ce lapsus, elle tenta, en vain, de dissimuler son sourire gêné et reprit aussitôt le fil de la discussion.
« Et ne me sous-estimes pas ! Je sais que je peux paraître faible, mais mes poings, eux, ne le sont pas. »
Bien que son ego soit piqué au vif, elle se garda de défier ce guerrier. Sans même avoir eu l’occasion de le voir en action, elle connaissait son écrasante puissance. Même sa fille Soshi ne représentait qu’une brindille face à ce personnage. Elle ne pouvait donc pas se permettre de froisser un tel être.
Après un court silence, le serviteur de l’Empire questionna l’art de la Miwaku ? Surprise par cette question, elle ne put étouffer un rire de satisfaction. Serait-il saoul ? Pourquoi une telle question ? Lui qui déteste tant les arts, voilà qu’il se lance dans une étrange conversation.
« Ne t’inquiète pas, je connais ton jugement sur la danse et les autres traditions de notre clan. En vérité, il y a plusieurs réponses à ton interrogation. La première, la plus évidente d’ailleurs, repose sur l’histoire. Nous sommes une communauté ancienne, honorable et créative. Pratiquer la danse ou le chant, par exemple, nous permet de nous souvenir de nos racines, de leur rendre hommage et de nous unir autour de valeurs communes. C’est pour cela que je m’acharne autant à faire vivre cet héritage. Je suis persuadée que grâce à lui, nous sauveront notre identité et notre fierté. »
« La deuxième raison est encore plus politique. Vois-tu, nous avons comme réputation d’être faible, naïf et docile. Toutefois, ces spectacles ne sont qu’un trompe-l’œil. Tous les artistes, peu importe leur discipline, développent des atouts essentiels pour leur vie d’un shinobi. Une danseuse, telle que moi, a forcément des prédispositions dans le maniement de son corps. Ce qui est très utile lors d’un affrontement, tu ne peux pas le nier. Et puis, si les Kumojin nous sous-estiment, qu’en est-il de nos ennemis véritables ? Ils feront de même. Or, tu sais bien que lors d’un combat, un tel réflexe peut être fatal. »
« Enfin, le dernier point que j’aborderai avec toi, est plus léger. Cela me plaît de danser. Savoir que je suis capable d’électriser des foules, de créer diverses passions dans le cœur des gens, c’est un pouvoir inouï pour une femme Miwaku. Et je pense que c’est cette illusion qui pousse notre peuple à tant chérir les arts. Sur scène, nous sommes puissants, alors que dans notre quotidien… Nous ne pouvons pas en dire autant. »
Soudain, une confession fut faite. Un court silence s’installa alors. Kagero prit le temps de réfléchir à cette requête et émit alors un nouveau souhait.
« Si c’est ce qui anime ton cœur… Je ferai donc en sorte de faire évoluer mon don de voyance, et de pouvoir mieux percevoir notre futur. Peut-être qu’ainsi, je pourrais protéger ma famille. »