Entre ivresse et désespoir [Libre]

Porté par le son du shamisen, Genji erre au travers des volutes de sa cigarette, un verre de saké à la main. Une bouffée pour une gorgée, il alterne ainsi les plaisirs simples de la vie, pour mieux s'abandonner sur les voies de l'irréel. Car ce soir, il boira jusqu'à plus soif.

-"À feue Kiri la Sanglante" Marmonne-t-il amèrement en levant son verre avant d'en déglutir le contenu ne s'étant pas encore renversé sur le sol.

Le dégoût qui défigure alors son visage n'est en rien la conséquence de l'alcool bon marché qu'il absorbe depuis bientôt une heure. Ni même du mélange tabac-saké. Non, la seule raison de cet enivrement improvisé réside dans une petite discussion survenue en début de soirée avec ses amis du Cercle. Et dont la conclusion l'attriste comme l'enrage : où sont donc passées les envies de conquêtes et d'expansion ? Où sont partis les litres de sang devant abreuver leur île ? Se sont-ils seulement déversés quelque part ? Les sacrifices ? Non... non. Ils ne constituent que la couche supérieure d'une fausse promesse. Ils ne représentent qu'une muselière imposée par Kumo... .

Les questions dignes d'un ivrogne attablé derrière sa bouteille de saké lui embrument l'esprit. Et l'atrophie de ce monde n'aide en rien Genji, qui sombre chaque jour un peu plus dans le désespoir de ne pouvoir connaître la gloire.

Sortant de l'ombre, le Kaguya fixa le Gaikotsu pour ensuite prendre la parole :



Le regard sombre de Nowaki semblait changer au fil des jours. Depuis la mort de Dohko, il perdait foi en sa famille. Et semblait ironiquement rejoindre le Mizukage.

-"Présent." Acquiesce-t-il d'un geste de la main. Pivotant la tête de droite à gauche pour en observer l'intégralité de la salle, il y distingue enfin les quelques regards des clients vraisemblablement "dérangés".

La remarque du sermonneur ne plaît guère à Genji, mais il ne se sent pas d'humeur à tenir tête à qui que ce soit. Alors il enfouit son amertume, cette soirée ne doit être éclairée que par la détente et rien d'autre.

-"Dans ce cas, je serai des plus discrets..." Puis image son propos en portant son index sur ses lèvres. Et d'un murmure, poursuit son commentaire "...même si nous sommes dans un bar."

Voulant se servir un nouveau verre, le trentenaire constate le vide qui emplit la bouteille de saké. "Faut croire que le timing était plutôt bon. Assis-toi si tu le souhaites, je serai curieux de savoir quelle est, pour toi, la tenue à respecter pour un ninja ?" La question s'accompagne d'un sourire. Moqueur ? Oh non, simplement curieux.

S'approchant à sa droite sans même s'asseoir, le ninja reprit :



Le Kaguya observait sans le moindre sentiment le Gaikotsu. Qu'était-il ? Que voulait-il ? Il ne se posait pas vraiment ces questions. Il se demandait sûrement comment une personne pouvait tomber aussi bas.



Un poste bien spécial mais, des plus stratégiques. Nowaki était la lanterne des faibles guidant parfois les plus forts.

-"Ma place ?" Un rire lui échappe. Genji se relève maladroitement pour se mettre à la hauteur du Kaguya. Pupilles dilatées et l'haleine frelatée, le trentenaire n'est même plus l'ombre de ce qu'il espérait devenir un jour. Pourtant, sa hargne reste intacte. Tout comme son sourire.

-"Comment puis-je me sentir à ma place dans un village qui s'étripe au lieu de combattre ceux qui se disent nos maîtres ?" Le combat entre le Mizukage et Dohko est encore bien ancré dans sa mémoire. Et la rage de vouloir se défaire de Kumo n'a jamais été aussi forte chez lui. Pourtant, le gouvernement dérive dans ses décisions, proposant des stratégies aussi bancales que peut l'être actuellement Genji, au milieu de ce bar.

-"Que proposes-tu pour me "rediriger"... Nowaki-san ?" Il l'a enfin reconnu, pour l'avoir déjà croisé, notamment peu après le duel, non loin du mémorial. "Pourquoi es-tu ici ?"

Toujours à traîner dans ce bar, Kitsune avait comme toujours lorsqu'elle était restée là-dedans quelques heures, un petit coup dans le nez, mais rien d'assez méchant pour dés-assurer sa démarche et ses paroles.

Elle avait entendu la conversation qui avait débuté entre ces deux bonhommes...Un Kaguya et un Gaikotsu, et l'un des deux étaient plutôt intéressants et avait un beau petit cul. Elle aimait bien son style. L'autre était pas mal non plus, mais semblait être un bon toutou de Gochiro, plus proche du samouraï que du véritable shinobi.



Elle se leva et vint poser sa main sur l'épaule du trentenaire puis adressa à l'autre un sourire un peu carnassier.

Nowaki ne posa pas son regard sur Kitsune. Il possédait un réel problème avec les femmes, inutile de perdre ses moyens dans une situation du genre. Il reprit strictement :



Le jeune Kaguya estimait de mieux en mieux la place du Kage au sein du village. Comment cet homme pouvait-il penser aussi bêtement ? Dénouer une chaîne ne se fait pas aussi facilement.



Nowaki posa un oeil sur la femme pour de suite rougir bêtement. Inutile, parler en la regardant était impossible. Il allait devoir esquiver son regard. Malgré la convivialité, il s'empêcha de s'asseoir. Ce n'est pas en s'asseyant que Kiri sera se lever.

Genji approuve les propos de la jeune femme en opinant du chef. Accompagnant son mouvement de tête d'un "très sages même", avant de se rassoir. Mais il s'offusque lorsque Nowaki le réprimande pour une faute qu'il n'a pas commise, ou du moins pas encore.

-"Vomissant ses trippes ? Si tu fais référence à la galette là-bas." Commence-t-il, l'index pointant vers un coin de la salle souillé par les trippes d'un autre. "C'est pas la mienne !"

Prenant alors appui sur la table, il se dirige vers le zinc et y commande une nouvelle bouteille avec de quoi grignoter. Puis rapporte le tout à ce trio d'infortune. "Personne ne virera personne. Regarde, les gens ne semblent plus être dérangés."

Portant son attention sur la jeune femme, il s'excuse. "Désolé... mais ils n'avaient plus de salade." Avant de déposer l'assiette de brochettes sur la table, un léger sourire en coin. Les yeux toujours rivés sur elle, il est incapable de lui associer un nom, l'alcool ne lui étant pas d'un grand secours il demande, simplement. "Comment tu t'appelles ?"

Après un bref coup d'œil en direction d'un Nowaki dont la timidité lui colore le visage, Genji ne peut se retenir davantage et éclate d'un rire sincère.

-"Aller, Nowaki-san." Lui dit-il en remplissant une coupelle d'alcool. "À défaut de t'assoir avec nous, accepte au moins un verre de saké. Cela donnera une meilleure excuse à tes pommettes rougissantes."

N'étant pas dupes, Kitsune voyait comment Nowaki détournait le regard. Il virait ensuite au rouge et elle trouva tout de suite les manières de ce gaillard musclé très mignonnes.



Il déposa la nourriture et de quoi boire devant eux. Décidément, il lui plaisait de plus en plus.



Et elle piqua sans vergogne dans le plat à brochettes et se mit à mâchouiller sa trouvaille avant de répondre :



La jeune femme vint ensuite entourée Nowaki de ses bras, s'amusant de le voir devenir aussi rouge qu'une pivoine.

Ignorant radicalement Kitsune, Nowaki savait diviser son esprit timide en se figeant. Son côté strict était une parade de choix dans un cas similaire.



Kaguya Kitsune. Fille de l'ancien Kage. Tué par Gochiro Kaguya lors d'un combat bien plus spectaculaire que celui opposant Dohko au Mizukage. Nowaki n'oubliait rarement un nom. Et celui de cette femme était difficile à ommettre. La tête de l'ancien Kage, il l'a longtemps désiré. À cette époque, il imaginait encore pouvoir devenir Mizukage.



Nowaki observait Genji. Ce faible... Ce fourbe... Gochiro sortait d'un combat de grande instance et ils critiquaient déjà la gouvernance actuelle.



Le Kaguya regardait de façon nostalgique le verre de saké. La vérité était simple, l'acte de Dohko était stupide.

-"Boire et se plaindre est le propre des ivrognes et des lâches." Concède Genji, avant de poursuivre d'un léger ricanement. "À croire que tu m'as percé à jour... ." Joueur jusqu'au bout, il ponctue sa phrase en croquant dans une brochette de poisson. Tandis que son autre main tend toujours la coupelle de saké vers Nowaki. Son offre tient toujours.

-"Nous protégeons un système approuvant les sacrifices. Suis-je donc le seul à trouver cela injuste ?"

Mais les maîtres dont Genji faisait référence plus tôt dans la discussion n'étaient en rien les dirigeants de Kiri, le Kage et son cercle de conseillers. Non, lui voit par delà les mers, à travers les défaites du passé. Car son dégout s'oriente intégralement vers Kumo et les empoisonneurs d'Hattori.

-"Ce monde n'est qu'un vaste jeu, Nowaki-san. Et si nous croquons la vie à pleine dents, Kitsune-san et moi-même, ce n'est que pour mieux s'y fondre." D'un regard anormalement lucide pour l'alcoolique qu'il prétend être, Genji récupère le pic de sa brochette, y place la coupelle de saké en équilibre à son extrémité et la monte avec dextérité sous le nez du rabat-joie. "Au fond, n'est ivrogne que celui que l'on accuse de l'être..."

Faisant jouer de son poids sur les épaules du Kaguya, Kitsune soupira lorsqu'elle comprit qu'il avait bien l'attention de l'ignorer. Vraiment, celui-là, quel rabat-joie ! Il ne la faisait même pas rire. Sans la regarder, il leur fit remarquer qu'ils profitaient de la vie que leur offrait le labeur de leurs supérieurs tout en les critiquant ouvertement. Ah, là, il commençait à l'amuser, monsieur donneur-de-leçon.

Genji continua, en insistant sur l'invitation qu'il donnait gracieusement au Kaguya. Lui, il détestait Kumo, comme pas mal de Gaikotsu, puisque depuis quelques années, c'était leur clan qui était sacrifié. Le sage Gaikotsu s'était même porté volontaire cette année, seulement, un petit gamin mordu par un vampire, parut-il, avait été nominé à sa place.

Il agrémenta son petit discours par une démonstration de lucidité, bâton à brochette sous sa coupelle de sake alors que cette dernière tenait en équilibre. Kitsune eut faussement des étoiles dans les yeux en contemplant ce spectacle.



Elle eut un sourire carnassier.



Il n'allait pas l'ignorer longtemps.