Kano se dévoile un peu plus autour de ce moment de convivialité. Il est clair que mes nombreuses questions ne lui laissaient plus aucun doute quant à ces liens qui nous unissent pour la vie. Le simple fait de mentionner le souffleur de bulle qui définit le clan Sekken est en partie une preuve de son appartenance. Notre discrétion depuis toutes ces années a eu tendance à faire oublier ce dont nous sommes capables pour beaucoup de monde. En tout cas, c’est un détail souvent omis lorsqu’il s’agit de décrire nos techniques si particulières.
Malheureusement, l’arrivée de ces paysans a bouleversé notre échange. Ces hommes me ramènent à la dure réalité de ma vie de fermier. La chasse allait devoir attendre. Guettant le moindre mouvement, j'aperçus sans trop de mal la réaction de Kano. Sa main posée sur le pommeau de son katana, il se tenait prêt à défendre des terres dont il ne connaissait pas encore l’existence ce matin. Très vite, je lui assure que nous ne courons aucun risque.
« J’ai fait fuir un à un ces hommes par le simple fait d’exhiber un bokken. »
Je soupire lentement, irrité par cette situation.
« Nous nous entraidons auparavant. Une unité plutôt rare qui nous permettait de vivre plus raisonnablement. Malheureusement, plusieurs de leurs poules et de leurs vaches sont mortes. Pas les miennes. »
Je quitte alors mon point de surveillance pour me diriger vers la cuisine. Sous un meuble, je récupère un bokken presque aussi solide qu’une arme blanche. Il avait en tout cas résisté au temps.
« Tu as sûrement deviné que cela faisait de moi le coupable parfait. J’ai décidé de visiter leurs fermes, sans accord. Je peux affirmer que c’est une bête qui est à l’origine de tout ça, mais leurs pauvretés les aveugles. Plus le temps passe, plus ils deviennent violents à mon égard. Je dois avouer que cela m’effraie, comme eux, cette ferme représente toute une vie. »
Utilisant le bokken comme un bâton de marche, je retourne auprès de mon visiteur.
« Pour te répondre, je fais bien partie du clan Sekken. Ma méfiance s’est décuplé depuis que je suis obligé de me terrer dans ces plaines. Cela n’enlève en rien le plaisir de rencontrer l’un des miens. »
L’air sérieux, j’étais plutôt soulagé d’avoir enfin avoué ce secret. Puis, remarquant les paysans s'approcher de la maison, je dis :
« Cette histoire est la mienne, soit sûr que je ne te reprocherai pas de ne pas intervenir. »
Ce que je pensais vraiment, c’est que les animaux sont morts sous les mains d’un Minishago. Les rumeurs allaient bon train à ce sujet. Des enfants, des femmes et même certains hommes que je croisais sur mon chemin commercial me comptaient régulièrement ces histoires de rencontre avec cette étrange bête. Une bête répondant au nom de Minishago. Je n’ai jamais su de quoi il s’agissait, ni même si cela était réellement une bête, un homme ou un peu des deux… mais ce dont je peux avancer, c’est qu’il est la cause de ces disputes.
Le pas toujours aussi lourd, voire rouillé comme ma charrette, je sors de ma maison laissant la porte grande ouverte derrière moi.
Je ne dispose toujours pas de l’argent que vous réclamez. J’ai promis de subvenir à vos pertes, mais j’ai également une famille à nourrir.
« A ce niveau, moi et mes copains, on se fiche complètement de ta petite famille. J’ai bien plus de bouche à nourrir que tu n’en auras. Si tu ne nous rembourses pas maintenant, toi aussi tu vas tout perdre. »
« S’il vous plaît, n’agissons pas dans la violence. Nous y perdrons plus. »
Je ne suis pas effrayé par de telles menaces. Mes compétences durement acquises à Kiri me permettront de les terrasser sans difficulté. Pour autant, je m’y refusais.
« Je dois partir chasser, soyez sûr que je vous apporterez de quoi manger pour cette semaine à venir. A défaut, vous pourrez repartir avec ma vache. »
Tout à coup, sur le simple fait de cette proposition, ma fille sort telle une furie de la maison et elle s’en prend à moi, rouge de colère. Je parviens à la calmer en la serrant dans mes bras. Agenouillé, sa tête collé contre moi, je lui murmure à l’oreille :
« Je ne laisserai jamais une telle chose se passer. »
« Ok ! Nous avons un nouvel accord. Si tu meurs embrochés par l’un de ces porcs, soit sûr que ta ferme ne restera pas longtemps vide, HAHAHAAA ! »
Sous un tonnerre de rire, les trois paysans quittent la ferme me laissant là, les genoux plantés dans le sol. La situation se dégradait de plus en plus et je me sens mal à l’aise de devoir afficher tous ces problèmes devant cet homme venu de loin.
« Kano, je dois partir. Je souhaiterais que tu m’accompagnes, soit sûr que je t’en serais redevable. Nous sommes proches de la forêt de Hi. Ses frontières sont à à peine quelques kilomètres d’ici. »
Dans un nouveau murmure, je sèche les larmes de Mia. Pour lui redonner confiance, je lui demande de surveiller la ferme en mon absence, sans oublier de la tarir d’éloge. Je suis fière d’elle et j’ai confiance en son côté malicieux.
« Viendras-tu à mes côtés ? Je serais heureux de découvrir ce qu’est devenu l’un de mes frères Sekken. »
Lentement, toujours en possession de mon bokken, je lui tourne le dos, prêt à rejoindre les abords de la forêt.