Ce n’était pas aussi simple. Shimazu n’était pas médecin et n’avait que des notions rudimentaires de psychologie, mais il savait qu’on ne pouvait pas priver un individu de sa mémoire sans mesurer les risques. Chez les Uzumaki, il existait une règle tacite : avant d’appliquer un scellement de mémoire, il fallait en comprendre la portée. Car si les émotions ne dépendent pas entièrement des souvenirs, une suppression maladroite pouvait plonger la personne dans une dépression profonde. Et la dépression, pour ceux qui manipulaient l’énergie spirituelle, pesait d’un poids plus lourd encore. Shimazu savait combien il était douloureux de porter un pouvoir immense tout en demeurant incapable d’apaiser ses propres tourments intérieurs.
Lorsqu’en silence, Daiki entra en contact avec Mai, le simple toucher sembla l’éveiller, et elle commença à bouger légèrement. Shimazu, en silence, les observait. Mais il n’arrivait pas à réprimer un dégoût sourd pour cette situation, malgré ses efforts pour garder son calme.
Shimazu n’était pas un homme cruel, au contraire, mais il avait toujours eu du mal à comprendre la faiblesse d’esprit. Cette fragilité lui échappait, comme un luxe auquel il n’avait jamais eu droit… Peut-être était-ce pour cela qu’il n’avait été qu’un maigre soutien pour Chikara Tsubasa, qui avait fini par se reconstruire avec le temps. Et en voyant les cheveux blancs de Mai, il se surprit à penser à une autre femme : Chikara Hinae. Elle luttait contre des démons d’une autre nature. Il l’imaginait seule, dans sa chambre d’hôpital, espérant un répit qui ne viendrait jamais, rêvant d’une vie normale qui lui échappait jour après jour.
Parfois, il la croisait, cette femme si courageuse, et même s’il ne pouvait pas dire la connaître, il ressentait pour elle un profond respect. Ses propres enfants, eux, lui apparaissaient comme des lâches, inconscients des souffrances qu’elle endurait. Aucun ne se préoccupait de cette femme qui avait pourtant tant donné. Après avoir recueilli et élevé de nombreux jeunes, elle finissait sa vie seule, sans le moindre soutien.
Tandis que Gaikotsu semblait plongée dans une discussion silencieuse, perdue dans des pensées que Shimazu ne pouvait qu’imaginer, il s’abaissa à son niveau. Ses mouvements étaient lents, mesurés, comme pour ne pas troubler ce moment déjà chargé d’émotions. Il l’observa un instant, sans rien dire, avant de rompre le silence de sa voix calme et profonde :
« Mai... Je sais que ce que tu vis dépasse peut-être ce que je peux comprendre. Les chaînes de l’esprit sont souvent plus lourdes que celles du corps. Mais je veux que tu saches que tu n’es pas seule ici. »
Sa voix était rassurante. En observant cette ancienne Kirijin, il imaginait un tout autre visage... Celui qui était à l'origine de son incompréhension des troubles mentaux... Celui de sa soeur, Uzumaki Kazami. Il se souvenait de cette soirée... Cette soirée où elle avait essayé de s'exprimer et de s'expliquer... Cela remontait à si longtemps aujourd'hui. Son esprit face à ses problèmes, il n'avait pas su tendre la main au bon moment pour finalement se retrouver, plus tard, face à lui-même. Il avait toujours fait le maximum pour s'éviter la douleur de se retrouver face à son reflet, face à ses oublis et face à ses peines. Shimazu se retrouvait dans cette femme seule, mais il comprenait qu'elle était finalement celle qu'il ne pouvait pas comprendre. Il ne pouvait admettre qu'un individu puisse trouver cette force de continuer à pardonner les autres. Son coeur lui brûlait tellement lorsque quiconque se mettait face à lui, face à ses besoins et face à ce qu'il devait accomplir... Tsubasa... Kazami... Il n'avait pas su les écouter.Sa voix, calme et apaisante, apportait une certaine sérénité. En observant cette ancienne Kirijin, Shimazu ne pouvait s’empêcher d’imaginer un autre visage… Celui de sa sœur, Uzumaki Kazami. C’était ce visage-là qui, dans le passé, avait semé l’incompréhension dans son esprit à propos des troubles mentaux. Il se souvenait encore de cette soirée, de ce moment précis où Kazami avait tenté de s’exprimer, de mettre des mots sur ce qu’elle vivait. Cette scène remontait à si longtemps, presque une éternité. Elle s’était ouverte à lui, mais il n’avait pas su répondre à son appel, ne lui tendant pas la main au moment crucial. Et, avec le temps, il s’était retrouvé face à lui-même, confronté à ses propres manquements.
Il avait toujours cherché à fuir la douleur de ce miroir, préférant se détourner de ses souvenirs et de ses failles. Mais en cette femme solitaire, Shimazu se reconnaissait, tout en comprenant que, paradoxalement, elle était celle qu’il ne parvenait pas à saisir. Il ne pouvait admettre qu’un individu puisse posséder une telle force intérieure pour continuer à pardonner, encore et toujours, aux autres. Chaque fois qu’il se retrouvait face à quelqu’un, face à ses besoins, à ses attentes, il sentait son cœur se consumer, comme si la douleur de cette confrontation le brûlait vif.
Tsubasa, Kazami, Kanashisa… Ces trois noms résonnaient en lui comme des regrets silencieux. Il n’avait pas su les écouter, pas su être là quand elles avaient réellement besoin de lui. Shimazu resta silencieux un instant, se concentrant sur ses pensées, la voix de Mai résonnant encore dans ses oreilles. L’écho de ses propres regrets s'intensifiait, comme une mélodie lancinante qu’il n’arrivait pas à étouffer. Il repensa à ces moments passés avec Tsubasa, à Kazami... À toutes ces occasions où il n’avait pas su être celui dont elles avaient besoin.
Il se leva lentement, ses pensées lourdes de cette culpabilité qu’il traînait sans relâche. Il aurait voulu les sauver, mais ses propres peurs et ses échecs l’avaient empêché de s’engager pleinement. Ses propres failles, ses propres chaînes intérieures, lui avaient masqué le chemin qu’il aurait dû prendre pour être là pour elles, pour les aider.
Il se tourna vers Mai, la regarda de nouveau, cette femme brisée mais toujours présente. Il aurait voulu lui offrir des mots plus forts, des paroles qui apaisent. Mais il savait que parfois, les mots étaient vains, trop faibles face à la douleur intérieure. Il ne pouvait que lui offrir ce qu’il avait : sa présence, son écoute. Il répéta d'une voix plus hésitante :
Il ne voulait pas lui dire qu’il pouvait l’aider. Non, le message n’était pas celui-là. Ce qu’il souhaitait lui transmettre, c’était qu’il était là, présent, mais qu’elle ne devait jamais oublier qu’elle n’était pas seule. Elle avait encore un chemin à parcourir, à trouver sa place, à rendre ce qui lui avait été donné. Car, sans cela... sa place serait-elle vraiment légitime ? Il continua :
« Il n'y a aucune solution miracle. Tu dois nous prouver que tu peux faire face à tes démons. »
Il lui restait bien évidemment une solution, mais cela pourrait être destructeur. Bien pire qu'une dissonance sentimentale, un mort clinique pure et dure. Via un Fuinjutsu unique, il pouvait enfermer son esprit dans une sorte de rétrospection... Shimazu lui-même se savait trop faible pour en être victime... Il n'osa même pas proposer cette solution.