Le contraste était absolu. Au chaos d'aujourd'hui, s'opposait la quiétude d'hier. Loin était cette douce romance, cette noble aspiration à un avenir heureux et à la naïveté qui les accompagnait. A présent, ces humains à la peau foncée imposaient cris, sang et larmes. La tribu vivait ses derniers instants, et tous comprirent le caractère inéluctable de ce génocide. Trop faible, trop pacifique, trop crédule, ces Mitsuna payaient cher leur innocence. Les réactions furent multiples. Certains se jetaient à corps perdu dans le combat, espérant protéger des vies et leur honneur... D'autres, organisaient une retraite stratégique, tentant de sauver les plus jeunes... Néanmoins, toutes ses actions héroïques ne firent que retarder le destin funeste de ces hybrides. Au cœur de tout cela, la conseillère assistait lâchement à la fin de ses camarades. Dissimulée derrière une habitation, Chihiro n'arrivait pas à arrêter ses sanglots et ses tremblements. L'atrocité du moment déchirait son être, sa conscience basculait vers le désespoir le plus profond et son enveloppe charnelle cédait sous le poids du chagrin. Pourtant, quand devant ses yeux impuissants, le sable immaculé se teinta d'un rouge éclatant, une flamme s'embrasa dans l'esprit de la femme isolée. Refusant ce sort funèbre, cette dernière fut saisie d'une puissante pulsion de vie. Cette énergie nouvelle résonna en elle et lui somma d'agir. L'heure n'était plus à l'observation passive, il fallait survivre à ce cataclysme.
Seconde après seconde, le brasier se rependit dans tout son corps, remplaçant ainsi toutes les autres émotions. Bien que séparée de son nouvel amant et isolée au cœur de la tempête, la trentenaire percevait enfin une lueur dans les ténèbres. Pour continuer à avancer, la Mitsuna fit le deuil de son ancienne identité. D'un pas ferme, elle se dégagea des décombres et s'avança sur la plage. Tout en marchant sur les morts, elle écrasait ses peurs, ses doutes, ses attraits pour la séduction, son rôle de conseillère. Puis, son pas s'accéléra, comme pour fuir ces assaillants et ses anciens démons. Chihiro faisait fi des autres, seule sa vie importait. Parfois, elle usait des cadavres pour éviter un assaut ou une rencontre. D'ailleurs, son visage était parsemé de sang, tout comme sa poitrine : Se déguiser en dépouille lui permettait d'échapper à certains Kirishitan. Aucune ruse n'était écartée, la morale n'existait plus.
Alors que les flots libérateurs approchaient, une scène ubuesque frappa l'écarlate. L'un de ses hommes ébène usa de ses dons pour la protéger. Cette initiative plongea l'écaillée dans une profonde confusion. Que se passait-il ? Pourquoi certains annihilaient ces pairs, tandis que d'autres la protégeaient ? Quelles étaient leurs convictions ? Méfiante, la femme-poisson hésita à attaquer son sauveur. Cependant, au dernier moment, l'humanité de la Mitsuna l'en empêcha. Elle ne pouvait pas se comporter comme ces sauvages, son nouveau moi ne pouvait se résumer à être un monstre. Hésitante, Chihiro murmura quelques mots au métis.
« Merci. Quel est ton nom, humain ? J'ai une dette envers toi, à présent. Que désires-tu ? »
Étonnamment, elle se raccrocha à ses principes, plutôt que de fuir sans rien dire. Pourquoi un tel choix ? Peut-être refusait-elle tout simplement de salir son nom, sa tribu. Même face à une telle agression, son peuple et elle ne devaient pas s'abaisser à devenir des brutes. Ce n'était pas cela, être un Mitsuna. Cette conviction profonde écrasa, pendant quelques secondes, l'instinct de survie de la belle, retardant par la même l'éveil de la nouvelle Chihiro.