Quand l’échiquier se referme

Chizue était partie depuis un temps qu’il n’arrivait plus à mesurer : secondes, minutes, heures… Tout se dissolvait dans la brume de ses pensées. Masashi n’avait plus de prise sur la durée, seulement sur ce poids qui rongeait son esprit, ce jour maudit, cette énergie, et cet être divin dont il cherchait encore à comprendre l’existence. Qu’avait-il manqué ? Qu’avait-il laissé filer pour perdre son fils ? Pour laisser ce monstre s’échapper ? Parfois, il craignait d’avoir lui-même provoqué la tragédie, en sondant trop ardemment la prophétie qu’il aurait dû ignorer.

Comme chaque jour, à la même heure, la vieille porte grinça. Les pas d’une silhouette moyenne résonnèrent dans l’escalier de bois, envahissant la maison ancienne. Masashi savait que l’Empereur jouait à ce petit jeu : attendre que Chizue tente quelque chose, non pas pour la punir, mais par pur plaisir de domination. Il aimait forcer les situations, comme on déplace des pièces sur un échiquier.

La porte de la chambre s’ouvrit enfin. Ce n’était pas le garde habituel. Et Masashi n’eut aucun mal à reconnaître la silhouette qui lui faisait face. Depuis des jours, il espérait sa venue. Sa seule distraction, son seul répit. Lorsqu’elle apparaissait, il pouvait presque se croire vivant encore, sentir à nouveau l’énergie qu’il croyait perdue.


Hattori Masashi avait déjà rencontré Kyoko à plusieurs reprises : dans le tumulte du Kakusei, ici-même, mais aussi dans les rues de la capitale, avant son emprisonnement officiel. Il ne lui en voulait pas d’avoir choisi le camp de l’Empereur, ni même d’avoir joué un rôle dans le déclenchement du Kakusei. Au fond, il le savait, cette catastrophe avait été désirée par de nombreux grands acteurs de ce monde… chacun pour des raisons bien différentes.

Lors de leurs multiples entretiens, ils avaient partagé bien plus qu’il n’aurait voulu l’admettre. Mais ce soir, Masashi en était presque certain : cette entrevue serait la dernière.

L’ambiance qui pesait sur cette journée était particulièrement lourde, la visite de Chizue avait mit tout le monde au garde-à-vous, pas une ruelle n’était pas marquée par la présence d’un garde et chaque mouvement était surveillé de très près. Et pourtant, au sein de cette atmosphère, le quartier Rakuyōdōri dénotait complètement avec le reste de la capitale. Ce quartier donnait la sensation de vivre dans un monde à part, bien loin des tracas habituels du quotidien et des querelles politiques. D’ordinaire particulièrement actif de nuit, cette soirée elle était loin d’être ordinaire. En effet, de nombreux Miwaku vivaient au sein de ce quartier, et, profitant de leur histoire commune avec le Royaume Hattori, ces derniers célébraient la venue de Hattori Chizue. Dans le fond, tu savais très bien que c’était qu’une énième manigance de l’Empereur, lui qui avait un peu plus tôt fait se confronter la Reine au Raikage déchu. Une scène à laquelle tu assistas, sans dire un mot.

Hattori Masashi, jadis Empereur, aujourd’hui plus que l’ombre de lui-même, était la raison de ta venue ce soir. Il n’était plus qu’un pion dans les plans de Borodari, et cette soirée allait être la dernière dont il pourrait profiter.
Pour l’occasion, il lui fut préparé un repas particulier, digne des plus grandes tables, en de telles quantités que les cuisiniers travaillaient déjà depuis des heures. Cette soirée allait être la dernière fois où tu aurais la possibilité de t’entretenir avec lui, l’homme qui avait participé à faire de toi celle que tu étais devenue. Sans lui, tu serais restée ignorante, et tes pas ne t’auraient probablement jamais menée jusqu’au gouverneur. Tu aurais vécue le Kakusei de la même manière que les autres, sans réellement le comprendre.

Tu traversas les rues, accompagnée par deux servantes, suscitant un semblant de curiosité chez les passants. Il était en effet plutôt rare de te voir ici. Tu te rendis ensuite dans une maison légèrement isolée, non loin de là où quelques gardes étaient discrètement postés. Pénétrant au sein de celle-ci, tu te rendis immédiatement à l’étage. Alors que tu entrais dans la pièce, tu fus suivis par les deux servantes, ces dernières déposèrent les plats avant que tu ne leur fasses signe de quitter les lieux. Tu déposas soigneusement les deux bouteilles de vin que tu tenais toi même dans les mains, une à chaque extrémité de la table, rien les différenciait si ce n’était la couleur de leur bouchon.



Lui répondis-tu. Une légère pique, qui n’avait rien de malicieuse, mais tu ne pouvais t’empêcher de remarquer à quel point la situation avait complètement changée en quelques années. À vrai dire, l’état de Masashi te faisait presque pitié. Il était passé d’un homme que certains adulaient tel un dieu à un simple civil que plus personne ne remarquait. Quant à toi, tu avais suivis le chemin inverse, jadis naïve et ignorante et sans intérêt, tu détenais aujourd’hui indirectement entre tes mains une grande partie du pouvoir impérial. Tu prenais alors place face à l’Hattori, et tandis que tu lui tendais ses baguettes dans sa direction, tu ajoutas quelques mots : amorçant alors une conversation qui semblait des plus banales :



Se donner des airs menaçant et froid tout en dirigeant une nation était une chose, mais voir le monde tel qu’il était réellement en était une autre. La jeune reine était restée insensible aux dires de l’ancien Raikage, qu’elle ne voyait désormais que comme un vieil homme qui radotait des fables destinées aux enfants. Tu ne savais que trop bien le genre de sentiment qu’il avait pu ressentir à cet instant, le fait ne pas être écoutés par ses proches… avoir la sensation de se retrouver seul et impuissant, simplement car le monde entier est aveugle.

L’Empereur était certainement une personne à part, mais on ne pouvait lui reprocher ni sa politesse ni son talent d’hôte. S’il avait voulu éliminer Hattori Masashi, cela se serait fait bien avant ce dîner. Mais malgré l’ombre de lui-même, l’ancien Raikage possédait un don certain pour passer inaperçu… au point d’être toléré. Sa tentative de mettre la main sur une pierre d’énergie n’avait été qu’un rêve éveillé, une lumière impénétrable qu’il avait cru pouvoir saisir. Trop tard pour revenir sur cela, il ne s’en voulait pas : il avait compris quelque chose que peu de gens saisissaient réellement.

Observant les deux bouchons, il ne put s’empêcher de commenter :


Un rictus vint désamorcer sa propre remarque :


Masashi récupéra les baguettes et, d’un geste à peine perceptible, ouvrit la bouteille avec cette arme improvisée. Il reposa les baguettes avant de se servir un verre, ajoutant simplement :


Il n’y avait dans ses mots aucune provocation. Masashi se sentait à sa place, pleinement. Disparaître maintenant ne l’inquiétait pas : il ne pouvait pousser davantage ses capacités, et il savait désormais ce qu’il voulait connaître de ce monde. Après avoir laissé passer une minute, sirotant doucement son verre, il conclut :


Le ton était posé, presque fatal. Sinon… il devrait reproduire l’acte de son Père, en tuant sa propre sœur.

Masashi posa son regard sur Kyoko, lentement, de la tête aux pieds, comme un général évaluant un soldat avant le combat. Son expression resta impassible, mais ses yeux trahissaient une attention aiguë.


Il marqua une pause, son regard glissant vers elle avec une nuance de reproche.


Il se pencha légèrement, posant son verre sur la table, et la question suivante jaillit :


Masashi voulait savoir si Kyoko avançait réellement, si elle parvenait à voir ce que d’autres ne pouvaient que deviner. Ou.. était-elle en train de se contenter de chasser des anciens possesseurs d'énergie ?

Lui répondis-tu, armée de ce qui ressemblait vaguement à un souvenir. Tu vis son regard s’attarder sur les deux bouteilles et Masashi voyait juste, si c’était un plan pour l’empoisonner discrètement c’était peut-être un peu gros. Toutefois, l’ancien Raikage se pensait peut-être encore intouchable, était-il naïf au point de croire que l’Empereur le laisserait vivre éternellement ? Tu ne réagis pas d’avantage, tu te contentas de commencer à servir la nourriture tout en l’écoutant, refusant au passage la boisson d’un signe de tête. Lorsqu’il eut terminé, tu te contentas de sourire à nouveau avant de finalement répondre :



Tu saisissais alors la bouteille encore fermée, l’observant en détail avant de la reposer doucement au pied de la table.



Sûrement car ils ne l’étaient pas. La Kitto était à peine subtile dans ses propos, lui connaissait très bien quelle était la véritable spécialité des siens et il avait probablement bu assez de vin durant son propre règne pour se rendre compte que celui-ci n’existait tout simplement pas. Il s’agissait en vérité ce que l’on pourrait appeler… une alternative, ou plutôt, une chance de choisir.



La politique ne t'intéressait pas, et celle de Kumo encore moins, leur destin serait finalement le même que tout les autres, peu importait qu’ils se battent entre eux, qu’ils conservent leurs traditions du moment qu’ils ne s’opposent pas à toi à l’avenir. Quant à Chizue, ses actions étaient loin d’être celles d’une femme prête à partager le pouvoir, et si Rin parvenait réellement à réapparaître les choses ne se dérouleraient peut-être pas comme Masashi espérait.
Ignorant ses remarques sur ce qu’il appelait ton « entraînement », tu te contentas de répondre à sa question, plus ou moins… Lui même savait plus de chose qu’il ne voulait l’admettre, et la seule réponse que tu obtins lorsque tu demandas ce qu’il était advenu des corps du demi-dieu et de la prêtresse fut le silence.

Il fit tourner lentement son verre entre ses doigts, sans jamais le porter à ses lèvres. Ses traits se plissèrent d’un sourire à peine esquissé. Pour son interlocutrice, l’instant paraissait lourd et pesant ; pour Hattori Masashi, c’était un rare divertissement. Les occasions de s’amuser ainsi étaient devenues bien trop rares.


Mais irait-il vraiment jusque-là ? La cité comptait désormais trop de Miwaku, et le rôle qu’avait tenu Masashi lors du Kakusei demeurait encore trop central pour être effacé. Peu osaient l’évoquer à voix haute, mais cela suffisait à nourrir une sourde inquiétude. Lui savait déjà : sa disparition marquerait l’un des derniers clous scellant le cercueil de l’ancien monde.

Il posa le verre et s’adossa à sa chaise, ignorant la remarque de la jeune femme sur le Yuukan. Les vins Hattori, eux, n’avaient nul besoin de justification : ils étaient célèbres. Jadis, leurs vignes couvraient les coteaux, fierté d’une région prospère. Mais les secousses du Kakusei avaient ravagé les terres, stérilisé les sols. Les quelques bouteilles qui subsistaient étaient devenues des reliques, chargées d’histoire et de nostalgie.

Il ferma brièvement les yeux, puis reprit d’une voix égale :



Car en vérité, Masashi pouvait boire sans crainte d’aggraver son état : son propre corps l’empoisonnait déjà. Sa poche de venin, fissurée, laissait couler goutte à goutte son essence mortelle dans ses méridiens, se déversant dans son sang. Ironie cruelle : un Hattori condamné par le même poison qui fit jadis leur légende. Pourtant, il savait que céder à une autre substance toxique aurait pu lui accorder un répit, l’illusion d’échapper à une nuit d’agonie supplémentaire.



Kyoko n’était pas idiote : elle savait qu’il serait vain d’espérer terrasser Masashi autrement qu’avec un poison issu de sa propre lignée. Si tel était le cas, elle pouvait boire sans crainte. Lorsqu’elle évoqua le Kakusei et ses suites, un léger sourire vint étirer ses lèvres. Ressentait-elle, elle aussi, cette obsession ? Le sujet n’était pas neuf entre eux, mais Masashi gardait le silence sur bien des vérités.


Les rumeurs couraient au sujet de ce corps monstrueux, mais rares étaient ceux qui savaient mettre un mot précis sur ce secret. Son enveloppe physique avait bien été enfermée dans un réceptacle, mais d’une facture bien inférieure à celui forgé jadis. Non par incompétence du scelleur, mais parce que l’entité elle-même n’était plus entière. Son énergie semblait fragmentée, scindée en quatre parts. La première, la plus dense, demeurait close dans son corps d’origine. La seconde, absorbée par Hattori Rin. La troisième, logée dans Kitto Kyoko elle-même. Quant à la quatrième… elle n’était qu’un mirage. Un mirage perçu par deux senseurs, dont Uzumaki Shimazu lui-même, incapable, lui aussi, d’en donner l’explication.

Tu observas la bouteille à nouveau pendant un instant, il était vrai que tu ne risquais pas grand-chose, si ce n’était qu’une légère intoxication. Pour autant, tu ne cédas pas à la tentation de l’alcool, cela faisait bien longtemps que tu avais perdue goût à ce genre de divertissement, depuis que tu n’étais plus capable de regarder ton propre reflet dans un miroir. Loin d’être la femme joueuse et maladroite que tu étais avant, tu ne représentais rien de plus qu’une arme aujourd’hui, même à tes propres yeux.



C’était une faveur que tu lui faisais, qu’il soit déjà mourant ou non, tu lui offrais la possibilité d’éviter que sa mort ne devienne un élément de propagande et de spectacle.
Quoiqu’il en soit, l’Hattori n’en avait plus pour longtemps, tu décidas ainsi de jouer franc-jeu avec lui en dépit de la quasi certitude qu’il n’approuverait toujours pas ton objectif.



Tu posais tes baguettes, et ton visage se ferma peu à peu, depuis toutes ces années tu n’avais pas perdue cette haine qui t’animait, c’était ton moteur pour avancer. Ce fut d’ailleurs ta rencontre avec le Raikage qui te poussa sur cette voie. Il te partagea sa vision, t’apprenant même comment ressentir l’énergie différemment, sans un quelconque talent sensoriel, et tu lui devais également ta maîtrise poussée du ninjutsu. Et pourtant… ta vision demeura différente de la sienne. À tes yeux, le problème n’était nul autre que le Chakra lui même, et cette énergie devait disparaître. Complètement. C’est cette même ambition qui menèrent ensuite tes pas jusqu’au Gouverneur.

L’entité que vous aviez affronté était capable de bien des choses, et son pouvoir était la clé pour atteindre ton but, seulement… tu n’étais pas assez préparée, et les forces combattantes parvinrent à le vaincre et à le sceller trop tôt. Au final ce qui était arrivé à Masashi aurait du être le destin de tout les utilisateurs de chakra de ce monde. C’était la meilleure fin possible, un monde dénué de toutes ces capacités plus destructrices les unes que les autres. Hélas ce fut un échec.



L’Empereur aurait pu se contenter de ce qu’il avait acquis, mais non. Il fit le choix de répéter les erreurs du passé en mettant au monde cette nouvelle « technologie ». Un premier pas vers l’autodestruction de son Empire bien aimé. Toutefois, en dépit de ton dégoût pour cette invention, celle-ci allait sans doute s’avérait très utile à l’accomplissement de ton propre projet.



Ces huit dernières années, tu avais passé une grande partie de ton temps à chercher un moyen alternatif de déclencher ce cataclysme, car une grande quantité d’énergie était requise, mais plus important encore, tu cherchais un moyen de le maîtriser. L’Okasan était un élément invariable de ce plan, tandis que Shimazu était tout simplement le seul utilisateur de fuinjutsu assez doué que tu connaissais.

Masashi ne répondit pas à son affirmation. La remarque lui déplaisait, mais il savait qu’elle n’était pas dénuée de vérité. Pourtant, il avait bien saisi la contradiction dans ses paroles : malgré ce qu’elle prétendait, la manière dont il mourrait lui importait. Elle aurait aimé, elle aussi, avoir la chance de disparaître loin des regards, loin du spectacle.

Il saisit de nouveau son verre sur pied, leva le liquide à hauteur de ses yeux et le contempla comme s’il y voyait autre chose qu’un simple reflet. Depuis longtemps déjà, il n’était plus réellement sensible à l’ivresse : les Hattori apprenaient très tôt à éliminer l’alcool grâce à des enzymes propres à leur lignée. Cela avait donné lieu, autrefois, à des excès gargantuesques de la part de certains, qui espéraient encore goûter à la douce ivresse… en vain.

Joueur, Masashi savait qu’un poison ne lui garantissait pas la mort. Mais il savait aussi qu’une paralysie partielle pouvait lui éviter une nuit supplémentaire de souffrances. D’une manière ou d’une autre, la perspective avait quelque chose de séduisant. Il vida son verre, puis en remplit un autre. Et encore un. Ainsi, sans précipitation mais sans interruption, il acheva la première bouteille. Lorsqu’il n’en resta plus qu’un dépôt épais et sombre, il reposa le verre sur la table. Ses doigts pianotèrent doucement contre le bois, comme pour jauger le poids des mots de la jeune femme et la solidité de ce qu’elle venait de confesser.


Il marqua une pause, et son regard se perdit un instant dans le fond du verre qu’il venait de poser.



Ses yeux se relevèrent, froids mais non dénués de respect.


Un sourire bref, empreint d’ironie, effleura ses lèvres.


D’un geste calme, il entreprit alors d’ouvrir la seconde bouteille. Selon sa réponse, Masashi choisirait de se montrer plus clair. Il allait préciser comment les énergies se transmettaient, qui en serait affecté, et surtout comment un second Kakusei pouvait être utilisé. Il n’était pas un idéaliste, loin de là, mais comme elle l’avait souligné, il n’était pas destiné au monde de demain. En revanche, il pouvait encore jouer un rôle décisif dans celui d’aujourd’hui, influer sur les événements tant qu’il respirait, et laisser sa marque là où il le souhaitait.

Répondis-tu en l’observant enchaîner les verres les uns après les autres. Le pouvoir, l’influence, les titres… c’était là des choses qui ne t’intéressaient nullement. Masashi avait raison, d’une manière ou d’une autre les hommes trouveraient un nouveau moyen de se battre entre eux, c’était naturel pour vous, rien ne pouvait changer cela et ce n’était pas ton but. Cette énergie avait ses bénéfices, elle pouvait simplifier la vie du plus grand nombre, mais vous ne fonctionniez pas ainsi. Le chakra avait été la cause d’un trop grand nombre de guerre et de conflits, apportant avec lui un chiffre tout aussi colossal de victimes, il était temps que cela cesse.



Après tout, ne pouvais-tu pas toi même briser cet Empire d’un seul coup de sabre ? Ses fondations étaient fragiles, basées sur des mensonges, de la manipulation et un charisme certain de l’Empereur. Était-ce normale qu’une simple femme puisse avoir autant d’influence sur le monde juste au bout de ses doigts ? Que se passerait-il si tu décidais subitement de te retourner contre l’Empereur ? Tu pouvais apporter le chaos si facilement au sein de cette ère de paix illusoire.



Car le réceptacle en question n’était autre que toi. Ce n’était pas simplement par précaution, car tu aurais bien sacrifié n’importe qui d’autre à ta place, mais tu savais que peu seraient capables d’accueillir autant d’énergie sans mourir sur le coup, ou pire, se transformer en une créature immonde. Non, cette « maladie » par laquelle tu avais été touchée autrefois, le chakrasme, en était la clé. Sans que tu ne saches encore réellement pourquoi, sa propagation s’était avérée stagnante depuis le Kakusei. Quelque chose en toi régulait ce mal, ce n’était pas sans douleur, mais les bénéfices que tu en retirais en valaient largement la chandelle.

Un bref silence suivit, seulement ponctué par le bruit léger de ses doigts effleurant la table.


Il observa Kyoko, le regard pénétrant mais calme.


Masashi n’aurait jamais pu vivre sans ce pouvoir, mais il n’en faisait pas un exploit à vanter. C’était simplement sa nature et sa voie. Il n’avait jamais cherché à persuader qui que ce soit de le suivre, ni à glorifier sa maîtrise. Durant son dernier affrontement, il avait su dompter l’énergie jusqu’à la solidifier : le Raiton blanc et le noir se mêlaient dans ses éclairs, prenant la consistance et la précision de lames tranchantes. Sa compréhension profonde de l’énergie lui avait permis de l’utiliser de manière presque tangible, à la limite de la matérialisation. Cette maîtrise exceptionnelle lui avait donné l’opportunité d’échanger avec la créature d’or, un être divin qui l’avait mis face à des vérités immenses sur la nature de l’énergie et de sa transmission. Cette dernière n'avait pas été silencieuse tout le combat et avait maudit sa sœur, mère de ce continent, à de nombreuses reprises... Expliquant de nombreuses représentations Tanuki où une femme à la chevelure d'or offrait son cœur à plusieurs espèces. Il avait aussi pu évoquer un frère... Un frère qui aurait pu participer à la création du monde Kirishitan...

Il reposa doucement sa main sur le bois froid de la table. Si elle parvenait à son objectif, elle connaîtrait la même vie de solitude que la sienne. Les décisions qu’elle prendrait enfermeraient son existence dans l’isolement, mais tel est le prix de cette responsabilité. Et si cette créature divine venait à revenir, elle pourrait alors adopter une approche différente…

Ses yeux se perdirent un instant dans le vide, comme pour mesurer le poids de ses paroles. Le Dieu d'or s'était refusé à user de l’énergie humaine pour ses propres desseins. Tardivement, ce monstre comprit que cela aurait pu tout changer. En réunissant l’énergie de sa fratrie, il serait possible de recréer celle du parent et de générer un soleil sur Terre.

Masashi inspira profondément, laissant planer le silence un instant.


Il savourait lentement ce qui lui avait été servi, prenant le temps d’apprécier chaque bouchée avant de reprendre la parole.


Il ne tardera pas à ajouter :

Après tout, si tu avais voulu établir un nouvel ordre shinobi, n’aurais-tu pas laissé cet Uzumaki arriver à ses fins ? Lui-même avait tenté quelque chose ce jour là, tu aurais pu changer bien des vies juste en l’ignorant. Mais tu avais choisis de t’en remettre à l’Empereur, il était certes ambitieux, calculateur et bourré d’autres défauts, mais il n’en était pas moins capable d’être de ceux imposant la paix par la force. Le chakra donnait la possibilité à d’autres d’être tout aussi puissants, aussi limités soient-ils aujourd’hui, tu savais que certains utilisateurs de chakra étaient suffisamment forts pour détruire la capitale et faire trembler l’Empire. Et que se passerait-il si les pierres de chakra devenaient monnaie courante ? Si les rebelles apprenaient leur existence, ne tenteraient-ils pas de s’en emparer à leur tour ? Non, le chakra devait disparaître, tu n’acceptais aucune autre éventualité. C’était sans compter les abominations que cette énergie créait, ce cycle destructeur devrait cesser.



Dis-tu tandis que tu tu saisissais de quoi te déshydrater. En cas d’échec, ta solution alternative était toute autre et bien moins enviable pour le reste des shinobis. Une extermination pure et dure de tout utilisateur de chakra. Si la transmission ne pouvait pas s’interrompre naturellement, alors tu devrais le faire toi même. Ce qui, de toute évidence, impliquait également la vie des deux héritiers de l’Hattori. Tu repoussais cette éventualité, de la même manière que l’accord que tu avais passé avec l’Empereur pour épargner les anciens Konohajins -si possible-, tu cherchais avant tout un moyen de préserver la vie du plus grand nombre. Pour autant, rien ne semblait être capable de te détourner de cette haine dévorante envers l’énergie que tu utilisais toi même chaque jour. Tu gardas néanmoins sciemment cette partie pour toi, et te contenta de réagir à la mention de Miwaku Kazuko qu’il fut précédemment.



Même si tu avais la confiance de l’Empereur, certaines personnalités influentes de la capitale avaient plus d’une fois remises en question ton statut. Pour eux, tu restais une kunoïchi, et tu représentais un trop gros danger pour te voir confiée autant de pouvoir et de responsabilités. Bien qu’ils ne parvenaient pas encore à convaincre l’Empereur, tu savais que tes actions à la capitale étaient constamment surveillées. Tu n’avais donc d’autres choix que d’agir discrètement, ta présence ici était probablement déjà suffisamment discutée par les plus sceptiques.

Sa lignée ? Masashi y songeait souvent, mais toujours avec une pointe d’amertume. Il savait qu’il ne pourrait rien y changer : la disparition de l’énergie spirituelle n’effacerait pas la malédiction qui pesait désormais sur le clan Hattori. Son fils, il en était certain, ne briguerait jamais le pouvoir. Quant à sa fille, il redoutait déjà que son retour ne soit qu’une source de souffrances.
Et pourtant, malgré ces pensées, il ne pouvait se résoudre à partager la vision de Kitto Kyoko. Qui était-il pour prétendre modifier le destin des vivants, lui qui avait déjà eu le privilège d’une existence relativement accomplie ? Son accession tardive au trône lui avait suffi à comprendre combien l’héritage de la royauté était une charge écrasante, presque un fardeau imposé plus qu’un choix.



À ces mots, il tira de sa poche une bague. La pierre verdâtre, veinée d’irrégularités, portait la marque des nombreux voyages qu’elle avait endurés, ballottée sans soin au fil des années.



Le faire changer d’avis ? Cela semblait illusoire. Mais au moins aurait-elle désormais la possibilité d’agir en pleine connaissance de cause.

L’ancien Raikage te venait toujours en aide, en dépit que ta volonté soit différente de la sienne, l’homme demeurait énigmatique. Tu observais la bague dont il parlait avec attention, combien de petits secrets existaient-ils encore ? Réalisait-il à quel point il aurait pu changer le monde en agissant avant ? Que savait-il que tu ignorais toujours ? Bien qu’insuffisant pour insuffler le doute dans ton esprit, l’endroit dont il parlait attisait ta curiosité.



Dis-tu tandis que tu te saisissais de la bague. Tu observas celle-ci un instant dans ses moindres détails. Un vieil objet sans nul doute, qui avait peut-être même voyagé plus que toi au vu de son état. Tu refermais fermement ta main sur celle-ci, pensive, alors que l’Hattori te demandait de te montrer clémente à l’égard de Kazuko. Tu haussas immédiatement les épaules, à tes yeux elle n’était qu’un outil comme elle le fut pour la Prêtresse, tandis que pour le reste elle n’était qu’une victime comme les autres.



Après tout, n’était-ce pas la raison principale pour laquelle la Okasan était en sécurité avec toi ? Kohana t’en voudrais certainement beaucoup si tu venais à toucher un cheveu de son aînée à sa place. Un étrange concours de circonstances, n’est-ce pas ? Bien que tu n’avais aucun intérêt pour leur rivalité, tu étais une personne de parole et la vengeance de la Miwaku faisait partie de tes promesses. Une chance que cette dernière ne soit pas à la capitale ces derniers temps… Tu te redressais alors, l’heure tournait et le repas touchait à sa fin. Armée d’un sourire presque amical, tu ajoutas :