A travers le doux voile de l'avant-nuit, une piste étoilée se mit à luire. Ses lampions colorés invitaient tous les curieux à braver leur morne existence. Leurs reflets chatoyants semblaient susurrer mille douceurs aux âmes esseulées. De plus, une odeur sucrée et familière embauma ses ruelles parsemées de petites flaques éparses. Ceux qui succombaient à cet appel, trouvaient au bout du chemin des mets par dizaine, tous aussi beaux que bons. Ainsi, tous les sens des Kumojin étaient mis en éveil ce soir-là. Pourtant, dans ce quartier bohème, personne ne fut étonné de ce spectacle ravissant. En effet, il ne s'agissait pas d'un événement isolé. Depuis plusieurs mois, des locaux s'étaient regroupés pour animer ces rues et réchauffer les cœurs en ces temps difficiles. A l'origine de cette initiative se trouvait un collectif de femmes, des Miwaku fières et ayant comme désir de fédérer leur clan en déclin. Pour ces voisines et amies, cette ambition ne pouvait se transcrire qu'à travers les arts et la célébration de leur mode de vie. Très vite, ces passionnées montèrent une représentation unique et flamboyante. Même si les débuts furent difficiles, jamais elles ne renoncèrent à leur rêve. Cette obstination, cette volonté à toute épreuve fut finalement entendue. Le public adhéra à ce projet, si bien que les trois dernières festivités avaient réuni un nombre inédit d'individus. Face à ce succès, les artistes espéraient un sursaut des Miwaku. Soudain, trois coups secs résonnèrent dans le quartier. Selon la coutume, le premier honorait l'Empire, le deuxième le clan Miwaku et le dernier, remerciait l'audience.
« Très bien. A nous de jouer. »
Tandis que Kagero s'avançait avec grâce sur la scène, deux musiciennes quittèrent l'ombrage des arbres environnants. Pour les accompagner, un chœur composé de trois sexagénaires se mit à chanter. Voix et instruments se répondaient dans une harmonie rare et envoûtante. Pourtant, le visage éteint, le corps immobile, la danseuse ne faisait aucun geste. Telle une statue antique, la magnifique jeune femme inspirait respect et admiration. Par ce choix artistique, le groupe voulait rappeler que même dans l'inaction, un être pouvait influer sur les autres. Certains y virent un hommage à la patience et à la grandeur des Miwaku.
Néanmoins, comme toujours, la mélodie finit par mourir afin de laisser place à une voix rauque et réconfortante. Un homme à la chevelure grisonnante s'était avancé. Le port noble et le regard ferme, il se mit à raconter une fable tragique. En réponse à ses mots vigoureux, les membres de Kagero s'animèrent. Peu à peu, le corps de la kunoichi devint autonome, comme transporté par ce conte obscur. Les spectateurs assistèrent alors à une lutte poétique et symbolique. En effet, la danseuse tentait de s'affranchir de ce contrôle mystérieux et de retrouver sa liberté perdue. Tout en mêlant acrobaties martiales, chorégraphie traditionnelle et pose dramatique, l'artiste arrivait à transmettre un message clair à ses compères : ne perdez pas espoir, notre émancipation viendra.
Puis, ses fers se rompirent. A nouveau maîtresse de ses mouvements, la quarantenaire offrit un ballet aérien et dynamique. Au grès de ses mouvements amples, elle sembla réveiller ses camarades. Que ce soit à travers un soupir, une caresse ou une révérence, tous quittèrent leur apathie pour participer de nouveau à la représentation. Chants et musiques entrèrent en résonnance avec la performance de Kagero. Une passion nouvelle se fit sentir, elle embrasait la scène et s'insufflait dans le cœur des témoins. Le pari était gagné, les arts avaient bousculé ses êtres à l'ego feutré. Les Miwaku présents pouvaient ressentir de nouveau la fierté d'appartenir à un tel groupe et ce moment éphémère raviva un certain sentiment d'union.
Quelques instants plus tard, après de multiples applaudissements et compliments, la troupe se sépara. Tandis que certains rangeaient les lampions et le stand de nourriture, Kagero, elle, quitta sa tenue cérémonielle et se prépara à rejoindre son logis. Éreintée et impatiente de retrouver sa fille, la brune aux nattes blanches marchait tranquillement dans les rues sombres de son quartier d'enfance. Le regard tourné vers la voûte céleste, elle laissait son esprit rêver. Ces feux lointains la rassuraient, ils étaient l'incarnation de l'espoir : dans toute obscurité, une lueur peut émerger.