Sur le chemin menant à son foyer, Kagero partagea avec son compagnon de la nuit une pensée bien fourbe. Étrangement, plus le temps passait, plus la kunoichi se dévoilait stratège. Son impulsivité passée se muait ainsi en un caractère froid et calculateur. Pour la quarantenaire, ce qu'elle énonçait, était le produit d'un pragmatisme imperturbable et une connaissance lucide des mécanismes sociaux. Fine psychologue, elle avait un don inné pour la politique. Heureusement pour ses proches, elle ne possédait aucune ambition personnelle. A ses yeux, son destin se résumait ainsi : obéir et honorer les Miwaku. Un véritable pion loyal sur l'échiquier de l'Empire.
Ne t'inquiète pas, le clan Miwaku abonde d'hommes et de femmes volontaires et fiables. Malheureusement, notre situation les a dispersés et brisés... Ce sera tout un art de les rassembler. Ruse, subtilité et finesse seront les maîtres-mots. En effet, il faudra les guider, tout en les laissant croire qu'ils agissent de leur propre chef. Il est bien plus facile de partager un rêve, lorsqu'on a l'illusion d'avoir de l'influence sur lui.
Cette réflexion fut la dernière émise en dehors des murs protecteurs de la demeure familiale. La danseuse préféra attendre que son mystérieux hôte pénètre son logis, avant de reprendre la discussion. La nouvelle arène se voulait chaleureuse et lumineuse. Les murs ornés de décorations éparses semblaient enlacer les deux protagonistes, d'une douce et légère caresse qui apaisait les cœurs. Cependant, ce cadre serein et reposant fut très vite perturbé par une voix enfantine. Surgissant de nulle part, une ombre alerte attrapa la jambe de l'inconnu.
« TinNinNinNinNin ! La morsure de la Loutre farceuse !!! Il est à toi Maman ! Je le tiens ! »
La petite Kyoko usait de toutes ses forces pour immobiliser l'intrus. A la vue de cette "attaque", la mère attendrie étouffa un rire et se prit au jeu. Bien que consciente du ridicule de la situation, Kagero se laissa porter par l'enthousiasme de sa fille âgée de sept ans. Sans attendre, elle enchaîna des mudra aléatoires et se mit à crier d'obscures paroles.
« Pirikala paporina pékélatou pépélato ! Par le châtiment du Cerf bondissant ! »
Là, sans prévenir, la kunoichi jeta l'une de ses Geta en direction de son invité. Bien entendu, son tir était assuré et précis : le projectile échoua contre le mur.
« Oh non ! Il est trop rapide pour moi ! »
« Ne t'inquiète pas Maman ! Nous avons encore notre technique secrète ! Vite, tourne-toi ! »
L'enfant fantasque quitta alors son étreinte afin de rejoindre sa mère. Les deux Miwaku se mirent alors à tournoyer et à crier en parfaite harmonie. Elles formèrent alors un ensemble indissociable.
Kyoko trônait sur les épaules de sa mère, un étrange bâton à la main. Kagero, elle, avait défait sa coiffe pour couvrir son visage d'une large frange. Cette astuce, combinée à l'utilisation d'un kimono pour cacher le subterfuge, permettait de créer l'illusion d'un être difforme et menaçant.
« Prends garde à toi, inconnu ! Moi, la Reine K-K, je vais punir ton imprudence ! »