Un déjeuner animé

La scène était ubuesque. Deux jeunes shinobis de deux clans différents riaient aux éclats dans une petite ruelle. Pourtant, les deux compères n'arrivèrent pas à étouffer leur joie et leur entrain. Tous les deux assis sur le sol, ils échangeaient un rare moment de convivialité. Une belle parenthèse dans leur vie de soldat. Muu était ravi d'avoir fait la rencontre de Dai, ses éloges et sa bonté l'aidèrent à accepter son pouvoir et à faire le deuil de ses échecs passés. Il se sentait à présent un peu plus léger. Quand le garçon aux cheveux bleus exprima sa jalousie, le brun ne put s'empêcher d'intervenir. Lui non plus n'avait pas à rougir, il était très fort et très impressionnant avec ses multiples compétences. C'était au tour de l'artiste de complimenter le Chikara.





Offrant l'un de ses plus beaux sourires à son collège, le Kirishitan profita de l'instant pour manger son dernier beignet. Et pour cause, user de son chakra avec autant d'intensité, cela creusait forcément l'appétit. Goulu comme il est, il ne lui fallut que quelques secondes pour finir son en-cas. Cependant, gêné par sa subite voracité, il regarda avec inquiétude son camarade, le visage parsemé de miettes. On aurait dit l'un de ses chiens qui tentent de dissimuler leur culpabilité avec un air mignon.

Lui-même s'était parfois montré particulièrement imaginatif pour se former pendant des missions de bas échelon. Bon ça ne s'était pas toujours passé aussi bien que ça aurait du, mais c'était l'intention qui comptait ! Une idée lui vint à l'esprit pour aider Muu à maîtriser des techniques de combat.

Seule condition : lui faire revoir le lionceau trop mimi.

Il regarda Muu manger son beignet avec une voracité impressionnante puis prendre un air de culpabilité. Il ne put se retenir et éclata à nouveau de rire. Purée, il venait tout juste de se calmer ! Pourquoi le brun avait-il du prendre une expression pareille avec des miettes tout autour de la bouche ?

Ce n'était pas une critique, loin de là. Il trouvait la situation franchement amusante.
Il attrapa lui même son repas, qu'il avait à peine entamé... mais qu'il commença à vider à toute allure, comme pour rattraper son retard. Une question qui la taraudait maintenant depuis un moment franchit enfin ses lèvres, entre deux bouchées :

Il ne voulait pas non plus dire "Mais c'est un enfoiré !" mais c'était quand même étrange... A en croire les précédents changements d'expression de Muu, les critiques de son père lui avaient quand même sacrément détruit sa confiance en soi.... Sans compter qu'il n'aidait vraiment pas son fils en refusant de le voir s'épanouir dans son domaine de prédilection.

À l'annonce de cette nouvelle, le petit Kirishitan se mit à rire de plus belles, et à exploser de joie. Malgré sa posture assise, tout son corps semblait bouger avec entrain, comme s'il était sur l'un de ses ballons rebondissant. Cet incroyable enthousiasme provenait du fait qu'il n'avait que très peu eu l'occasion d'exercer son don avec quelqu'un. Après tout, il n'avait pas vraiment eu l'occasion de se faire beaucoup d'amis Konohajin. À force de suivre ses parents et de vouloir les imiter constamment, son réseau social ne s'était pas beaucoup agrandit depuis son arrivée dans ce village. Et même, pour être honnête, le métis était assez seul dans la grande ville, ses derniers temps.

Pensif et un poil mélancolique, il perdit son ami des yeux deux secondes. Or, après cette courte réflexion, Muu tomba sur un spectacle hilarant. Dai pouvait se moquer du Genin, mais sa manière de manger était tout aussi ridicule.



Le fou rire qui suivit, fut si intense, qu'il en perdit l'équilibre. Les quatre fers en l'air, le garçon laissait sa légendaire jovialité éclater au grand jour. Pourtant, ceci ne dura qu'un instant. En effet, quand l'adolescent évoqua le père de l'enfant, ce dernier perdit toute fougue. Il se releva d'ailleurs d'un coup sec. Forcément, sa tête se mit à tourner. Toutefois, le visage du chérubin ne laissa rien transparaître. Au contraire, il demeurait assez sérieux pour une fois.




Gêné, le gamin se grattait la tête avec vigueur. Il n'aimait pas critiquer son père. Ce modèle lui paraissait si intouchable et si exceptionnel, qu'il excusait toujours sa dureté et son manque cruel d'empathie. Peut-être était-ce le signe que Muu n'était pas tout à fait encore prêt à grandir.

Face aux accusations de l'enfant, il avala sa bouchée - il avait le sentiment que parler la bouche ouverte ne l'aiderait pas à défendre ses manières - puis lança, un peu gêné :

N'empêche qu'il avait bien réduit l'allure sous le rire de Muu. Pris la main dans le sac.

Il avait presque eu envie de rajouter "Méchant pas beau !", juste pour être sûr de bien anéantir les miettes de dignité qui lui restait. Et, si les manières du soit disant rongeur avait faire rire Muu aux éclats, l'évocation de l'attitude de son père le calma bien vite.
Il avait une petite envie d'aller dire deux mots au père du brun. Avec -mais quand il s'agissait de Dai, y-avait-il vraiment besoin de préciser ?- diplomatie bien sûr. Sérieusement ?

Et il espérait sincèrement qu'il ait raison sur ce point et que le père du Kirishitan fasse passer la vie de son fils avant "l'honneur" des techniques traditionnelles." D'après le comportement de Muu, parler ainsi de son père n'était pas vraiment agréable ou habituel.

Pour illustrer ses propos, il avait donné quelque coups dans l'air. Il restait dans le sujet des "domaines pour lesquels on était doué ou pas" mais il s'était écarté des critiques relativement dissimulées sur le père de Muu.

Et ensuite euh... c'était quoi la conclusion déjà ? Merde.... Ah oui !

L'opinion de la famille quant aux domaines où on devait exceller, elle n'y avait pas sa place. Pas quand il s'agissait parfois d'une question de vie ou de mort. Muu avait déjà de belles capacités avec son encre, qui s'amélioreraient sans doute vite s'il s'entraîner sur cet art. Quant à ce qu'il ressentait vis-à-vis de ses petites créatures d'encre.... La question ne se posait même pas.

L'enfant, durant tout l'exposé de son ami, resta immobile. Seule sa tête, à de rares moments, semblait approuver ce qui se disait. Captivé par les gestes et les propos de l'adolescent, il se montrait, pour une fois, très calme. En fait, il buvait ses paroles, elles s'infiltraient en lui et lui donnaient force et courage. Au fil de la conversation, tout en prêtant une oreille attentive à Dai, Muu questionna son propre rapport au monde. Tout d'abord, son père avait-il raison ou tord ? Ferait-il passer l'honneur avant la vie de son fils ? À ses interrogations, le gamin refusa de voir la vérité et s'enfonça dans le déni : de toute façon, ça n'arrivera jamais ! Peu importe la situation, il y aura toujours une troisième solution. C'était cela aussi l'optimiste du Kirishitan : toujours fuir la cruelle réalité et choisir le deus ex machina. Ensuite, pouvait-il vraiment ignorer ses lacunes et se concentrer sur son art singulier ? N'était-ce pas un choix de lâches ? Fallait-il absolument devenir comme son paternel, une copie conforme de ce fier soldat ? Finalement, petit à petit, le jeune brun accepta l'idée que, peut-être, n'avait-il pas à être un calque. Peut-être que trouver sa propre voie satisferait aussi son père ?



Un nouveau fou rire égaya la ruelle. Le Genin ne manquait pas de ressources quand il s'agissait d'avancer dans la vie. Peu importait les épreuves et les intenses réflexions, tout se finissait toujours par un sourire ou un rire avec lui. D'ailleurs, en parlant de goût et d'envie, le garçon décida de révéler son plus beau rêve de manieur d'encre à son interlocuteur.



Un sourire plein d'espoir trônait sur ce visage juvénile. Finalement, derrière ses airs niais, un cœur noble battait avec fougue.

Souriant, il fronça les sourcils, interrogateurs :

Nouveau nom ça, que Muu n'avait pas encore mentionné. Était-ce un de ses coéquipiers ou une créature d'encre ? Mystère... En tout cas, leur niveau en taijutsu leur faisait un point commun, et le fait qu'ils aient tous les deux quelque chose, ou quelqu'un, pour rattraper cette faiblesse en créait un deuxième.
Muu disait qu'il ne deviendrait jamais comme son père... et tant mieux. Parce que effectivement, son père ne semblant pas maîtriser l'encre comme son fils, ce point les séparait déjà. Quant à son rêve.... Il était en fait bien plus grand que l'actuel petit gabarit qu'il avait sous les yeux.

Lui ne pouvait pas en dire autant, à sa connaissance on ne pouvait pas former d’animaux avec le Katon... Quoique ce serait marrant d'essayer. Un beau dragon, c'était stylé les dragons, tout enflammé qui cracherait du feu encore plus enflammé que son propre corps.

Il serait l'humble petit cobaye des créatures d'encre et de leur invocateur. Il venait de finir son déjeuner, ayant considérablement ralenti après le rire de Muu et considérait maintenant le brun d'un air malicieux.

Il riait de l'idée. Y a pas à dire, il préférait l'idée du dragon de feu. Nettement plus stylé. Il fallait vraiment qu'il commence à s'entraîner pour ça. Seishiro serait tellement jaloux, ça serait autre chose que ses flaques de boue !

Sourire aux lèvres, le gamin exprimait toute sa joie sans aucune retenue. D'ailleurs dans son regard, une forte excitation brillait de mille feux. Et à dire vrai, cet éclat était dû à une idée particulière. En effet, Muu hésita quelques instants à braver l'interdit. Néanmoins, de douloureux souvenirs lui revinrent soudainement en mémoire. Même si les morsures du canidé n'étaient pas très profondes, elles n'en demeuraient pas moins désagréables. Non, il valait mieux attendre et éviter une nouvelle engueulade de la part du chiot. Peut-être qu'à l'occasion d'un entraînement, cette rencontre pourra se faire. Oui, c'était ça la solution, pensa le garçon.

Tandis que le métis se perdait dans ses réflexions, Dai parlait d'avenir et proclamait un soutien indéfectible auprès de son nouvel ami. Touché par cette sollicitude, le Genin fut touché par la grâce divine et eut un éclair de génie. Ce n'était pas que c'était rare, mais bien souvent cela ne s'avérait pas aussi brillant que le pensais le jeune enfant.



Aussitôt, dans un style très sommaire, l'idéaliste dessina sur un rouleau une fresque atypique. Il s'agissait des deux acolytes survolant Konoha et usant de diverses techniques. Ces scènes étaient épiques et splendides, mais contrairement à d'habitude, elles ne purent prendre vie. C'était encore hors de portée du jeune shinobi.

Hachiko était donc un chien. L'idée qu'un clebs, animal pour lequel il n'éprouvait pas grande affection, ait un niveau exceptionnel en taijutsu alors que lui peinait à donner un coup de poing était un peu humiliante, mais il n'en montra rien. Et puis après tout, Hachiko n'était sans doute pas un de ces gros sacs à puces qu'il avait dû quelque fois rechercher en mission.
L'idée de Muu lui semblait évidemment actuellement un peu hors de portée.... mais pas mauvaise du tout.

Il regarda l'artiste créer deux personnages, dont il devina vite l'identité, volant au dessus de Konoha en utilisant plusieurs jutsus. Belle œuvre, vraiment, mais qui à sa grande surprise resta à l'état de simple dessin. Tant mieux quelque part, puisqu'il préférait voir les deux personnes représentées en chair et en os, même si cela signifiait attendre que leur rêve se réalise. Mais cela montrait aussi les limites actuelles des capacité du Kirishitan. Un jour parviendrait-il peut-être aussi à donner vie à des personnes. D'ailleurs en voilà une idée !

Pour l'instant il avait surtout vu des animaux... mais qui sait ? Et en plus de ses techniques, au moins, Muu excellerait sans doute avec la paperasse ! Il penserait à lui s'il avait un jour une tonne de rapports de mission en retard tiens ! Mais il avait donc une nouvelle question sur les pouvoirs du brun :

D'accord, pas UNE question.

L'entrain et la curiosité de Dai commençaient à mettre mal à l'aise le jeune Kirishitan. Il n'avait pas l'habitude de faire face à un tel enthousiasme. D'ordinaire, c'était lui la boule d'énergie, la personne qui submergeait l'autre de sa joie. Il se rendit alors compte combien ce genre de comportements pouvaient être déstabilisant. Néanmoins, il ne voulait pas décevoir ou vexer son nouvel ami, alors il tenta de répondre gentiment à ses nombreuses interrogations. Tout d'abord, il fallait parler de cette histoire étrange de copie humaine.



Suite à cette idée bizarre, le Genin imagina une flaque vivante, un gros tas de morve visqueux et noir. Aussitôt, son visage se déforma pour exprimer une vilaine grimace. Ah non ! Il était hors de question qu'il dessine un truc aussi laid !



À présent que cette idée était écartée, il fallait affronter l'immense salve de questions de l'adolescent. Pourquoi pensait-il à des trucs aussi saugrenus ? Jamais le métis n'avait testé de pareilles stupidités. À quoi servirait un cœur en plein combat ? Ou une feuille noire ? Décontenancé par toutes ces folies, Muu s'empressa de balayer tous les espoirs du shinobi aux cheveux bleus.



L'enfant souriait péniblement à son acolyte. Il espérait secrètement que cela allait tarir l'imaginaire du Chikara.

Informe ? Un clone de lui même, fait d'encre certes, mais une reproduction de lui informe ? Bizarre. Après, peut-être que Muu ressentait la même chose au sujet de son idée que lui au sujet des clones doton. C'est-à dire : "beurkkkkkkkk", il préférait nettement les clones Chikara, bien plus propres.
Vint ensuite la réponse à sa, ou plutôt à ses, questions. Bon, apparemment le répertoire de Muu s'étendait aux animaux. Et son immaturité -bon sang qui était le plus jeune des deux déjà ?- l'avait mis mal à l'aise. Mais son explication du pouvoir qu'il avait lui avait donné d'autres questions, heureusement moins saugrenues cette fois :

Si c'était la deuxième solution, ça devait être bien compliqué. Bien sûr, niveau temps, ça ne devait pas être très différent d'une technique qui aurait eu besoin de beaucoup de mudras, mais réussir à bien dessiner alors que votre adversaire vous lance des kunais ? Ça, c'était une autre affaire.... Mais bon, Muu y serait habitué et avait déjà une vitesse bien plus élevée que la sienne quand il s'agissait de dessiner.

Il voulait être sûr d'avoir bien compris.... et il restait curieux. Le pouvoir que possédait le Kirishitan était assez unique, et ne ressemblait à rien qu'il connaissait. Dire qu'un talent pareil aurait pu être gâché si Muu avait totalement refusé de l'utiliser pour éviter la mauvaise humeur de son père !

Malgré sa réponse plutôt complète, l'intérêt du Chikara ne cessa pas de brûler. Et alors que le jeune Kirishitan se pensait à l'abri de nouvelles questions, l'ardente curiosité de l'adolescent se manifesta de nouveau. Surpris, le métis ne put contenir son choc, laissant ainsi son visage se déformer avec force. Décidément, il n'aurait jamais cru que son art pouvait susciter autant d'interrogations. Peut-être était-ce parce que le garçon n'avait jamais beaucoup réfléchi à ses dons. Ils les avaient acceptés tels qu'ils étaient et n'avaient jamais tenté de repousser leurs limites. Encore une fois, pour répondre à son ami, il mit en avant son honnêteté et ses maigres connaissances.



Pour la deuxième intervention du garçon aux cheveux bleus, le Genin prit un court temps de réflexion. Ce moment était étrange et bénéfique. En effet, il se rendit compte alors que sa pratique de l'encre se baisait essentiellement sur son instinct. Il n'avait pas réellement d'explication, c'étaient davantage les échecs et les réussites successives qui avaient établi les règles de son affinité spécifique. Par conséquent, transmettre ces sentiments et ses intuitions étaient un acte très intime pour Muu. Peut-être ça, l'amitié profonde ? Savoir partager et se livrer sans crainte à l'autre.

Il resta immobile un instant, pensif devant les explications de Muu. Effectivement, dit comme ça, ça paraissait tout de suite plus difficile que de dessiner et de faire quelque mudras. Évidemment, retenir les signes incantatoires nécessaires, c'était un point commun avec les techniques "basiques", une compétence indispensable à tout shinobi. Retenir chaque petit détail des dessins qu'on faisait, c'était déjà une autre histoire, et encore plus lorsqu'il s'agissait de le faire en plein combat... Restait le plus gros problème, avait-il réalisé lorsque Muu avait parlé de multiple essais.

La capacité de manier l'encre, Muu était sans doute le seul du village à l'avoir, même en comptant les générations précédentes... Évidemment, personne ne devait être en capacité de lui apprendre des techniques pareilles, et aucune indication ne devait se trouver sur un rouleau ou manuel quelconque !

Vachement contraignant aussi. Si lui avait été le seul manieur Katon du village par exemple, et qu'il avait dû à chaque fois imaginer une technique à réaliser puis essayer toutes les façons de l’exécuter jusqu'à trouver la bonne.... Oh bon sang il ne voulait même pas imaginer ! Et cette avancée à tâtons, Muu devait lui, s'y contraindre constamment !

Méga-giga cool, définitivement. Il avait soudain l'impression d'être Seishiro et sa bouillasse face aux manières d'affinité bien plus stylée, la sienne par exemple. Mais bon, même si le maniement de l'encre était grave stylé, il était quand même heureux de ce qu'il avait. Et de toute façon il ne pouvait pas dire "Allez on échange ?".