Un déjeuner animé

Plus l'échange se prolongeait, plus Muu mûrissait. Étrangement, le comportement juvénile de Dai et ses nombreux questionnements eurent un effet bénéfique sur l'enfant. En effet, au fil de la conversation, le métis comprit énormément de choses sur lui-même. Tout d'abord, qu'une candeur expansive et une trop grande émulation pouvaient s'avérer gênantes, voir oppressantes. Or, c'était le cœur même des relations sociales du jeune Kirishitan. Jamais auparavant, il ne s'était douté de l'impact négatif de son tempérament flamboyant. Sans le vouloir, le garçon aux cheveux bleus venait de donner une importante leçon au Genin. L'autre révélation du gamin concernait son don unique. Au vu de la réaction exaltée de l'adolescent, il réalisa à quel point, c'était un art précieux et complexe. C'était comme s'il venait de redécouvrir ses capacités, le poids de la honte s'étant évaporé. Le Chikara avait réussi à émanciper le brun du jugement de valeur de sa famille.



Même si le garçon souriait et riait avec franchise, il était évident qu'il était gêné par autant d'intérêt. Néanmoins, appréciant son acolyte, il tentait de braver son malaise et de répondre au mieux à ses interrogations, pour le bien de leur amitié.



Perdu dans toutes ses appellations, Muu préférait la simplicité et à vrai dire, il n'était pas très connaisseur de toutes ses subtilités du lexique shinobi. Pour lui, tout ceci était bon pour les intello. Lui, il préférait l'action. Au moins, il n'avait pas à se prendre la tête.

D'autres utilisateurs ? Il en doutait, il n'avait jamais vu un truc pareil, pas au village en tout cas... Mais il ne connaissait pas non plus tout le monde. Il réfléchit un instant....Si en fait, pas besoin de se creuser la tête, "manipulation de l'encre" convenait. Trois mots, c'était pas non plus la mort.

Puis vint la question suivante, qui le détourna momentanément de son entrain vis à vis des techniques du brun. Le sujet l'intéressait encore, mais la curiosité n'avait plus lieu d'être s'il s'agissait de ses propres techniques, et la réflexion bridait son enthousiasme, le forçant à garder un débit de parole normal et, encore plus inédit, à utiliser un peu le contenu de sa boîte crânienne.

Sa lame de Konoha n'était pas une technique, malgré son statut de fidèle compagnonne. Sa capacité de senseur... Bah ce n'était pas vraiment la compétence la plus développée qu'il possédait et, même si c'était rudement pratique, en combat comme dans la vie de tous les jours, ça ne méritait pas non plus la première place dans son petit cœur.

Une des raisons était peut être qu'elles correspondaient plus à son caractère. Une autre, qu'elles étaient plus "stylées", même si les petits problèmes de contrôle qu'il avait eu à l'académie avaient parfois brûlé un peu de matériel.

Pas le Katon, il n'allait pas, après son discours sur les dangers du feu, l'utiliser ainsi en pleine rue. Mais un petit kekkai inoffensif ne ferait aucun mal. Sans vraiment attendre la réponse, il composa les mudras :

Une copie de lui même apparut alors juste à côté de lui, tout sourire.

Grâce à la ruse, le jeune Kirishitan réussit à atténuer l'enthousiasme oppressant de son camarade. Soulagé de voir les questions enfin s'amoindrir, il se mit à sourire avec entrain. Toutes ses dents semblaient être visibles, tellement le Genin ouvrait sa bouche. Entre nous, il faut bien s'avouer que cette expression était quelque peu ridicule. Mais au moins, le petit brun savourait de nouveau la discussion. Surtout qu'à présent, Dai semblait être lancé dans l'explication de ses dons.



Dans l'imaginaire de l'enfant, des scènes impressionnantes et dangereuses prirent vie. Rêvant éveillé, il se laissait porter par ses visions dignes des cirques les plus audacieux. Peu à peu, le Katon perdait de sa substance martiale, il devenait un spectacle à lui tout seul. Bien entendu, c'était la candeur du garçon qui frappait encore. N'ayant participé à aucune guerre ou combat réel, le brun avait une perception tronquée des arts shinobis. Cependant, peut-être valait-il mieux pour lui qu'il garde cette innocence. Il était encore jeune après tout.

À l'annonce de la démonstration de son ami, le manieur d'encre se mit à trépigner de joie et à applaudir des mains de manière frénétique.




À la vue du clone, Muu ne put contenir sa surprise. Soudain, son vif enthousiasme ressurgit et le poussa à rejoindre rapidement la copie fraîchement apparue. Là, presque collé à elle, il commença par l'observer avec minutie. Puis, il usa de son index pour toucher et confirmer l'existence de cette chose. Enfin, il pinça sa propre joue, puis celle du faux Dai.

Les rôles s'étaient à nouveau inversé et à présent, c'était Dai qui était étonné de l'enthousiasme du brun. Il se rendait bien compte qu'il allait devoir donner beaucoup de réponses négatives, mais il n'était pas plus dégoûté que ça de ne pas pouvoir jongler avec son feu, par exemple.

Il concentra dans le creux de sa paume son chakra, faisant apparaître une petite flamme juste au dessus de celui-ci. Muu l'avait peut-être déjà vu plutôt, lorsqu'il avait menacé ses agresseurs, mais c'était mieux que rien.

Lorsqu'il avait proposé de lui montrer un kekkai, la réaction n'avait pas été décevante puisque, encore une fois, l'enthousiasme du jeune Kirshitan avait été au rendez-vous, et en force !
Dès que son clone apparut, Muu se plaça juste devant celui-ci. Le vrai Dai observait le brun observer sa copie avec un sourire.

Comme pour prouver ses dires, le faux Chikara articula -c'était moins facile de parler quand on se faisait pincer la joue- à l'adresse du Kirishitan :

Quant au nombre... Ah. Le seul - et il insistait bien sur ce mot - point faible des clones Chikara par rapport aux créations de boue était le nombre. Pourquoi est-ce que Muu avait-il du demander précisément cela ?

Il avait soudain un peu l'impression d'être un commerçant faisant la démonstration d'un de ses produits.
D'un signe incantatoire, le clone disparut dans un petit nuage de fumée.

Dans la vie de tous les jours comme en plein combat.

Devenu muet, face aux explications de son camarade, Muu semblait déçu de cette affinité élémentaire. Finalement, le Katon n'était pas très spectaculaire, ce n'était qu'un moyen de cracher du feu de façon améliorée, en fin de compte. C'était sûrement très efficace et radical en combat, mais cela manquait de finesse aux yeux du Genin. L'âme juvénile attendait bien plus que des dégâts conséquents d'une technique. Pour l'enfant, un art shinobi devait être époustouflant, grandiose, grandiloquent. Dommage, donc, pensa-t-il fortement.

Le clone et ses possibilités, par contre, étaient tout bonnement épatants. Le Kirshitan avait du mal à croire en l'existence d'une telle capacité. Surtout que d'après les dires de Dai, elle pouvait se montrer très utile et avec peu de limites. Et lorsque ce dernier fit parler la copie, le métis laissa alors un cri de surprise et de joie s'échapper de sa bouche. C'était tout bonnement exceptionnel. Il fallait absolument rentabiliser cet atout.



A la lueur des propos du Chikara, la vision d'un clone d'encre identique à Muu se révéla. C'était donc à cela qu'il pensait. C'est sûr que cela serait génial d'avoir une copie conforme faite d'encre. Cela sauverait le jeune brun de bien des périls. Néanmoins, il ne savait pas comment s'y prendre pour donner vie à un tel projet. L'air circonspect, il se décida à reprendre la parole après une courte réflexion.

Si le Kirishitan lui avait, après ses réponses, paru déçu de l'affinité Katon, il avait en fait toujours autant d'entrain, voire plus, pour sa technique de clonage. Jaloux ? Il se gratta la tête, l'air spectique.

Affronter quelqu'un n'était déjà pas une partie de plaisir. Mais affronter quelqu'un qui possédait un pouvoir qu'on avait jamais vu ? C'était Dai qui devait être jaloux.
Il avait réussi à faire revenir l'idée d'un clone d'encre dans l'esprit de Muu, et avec succès cette fois. Si bien qu'il eut même droit à une promesse d'efforts de la part du brun pour travailler cette idée de jutsu, et de duel entre leurs copies s'il y parvenait.

Puis vint une nouvelle question, qui l'obligea, une fois de plus, à cogiter. Bien sûr, il savait déjà que sa réponse serait négative, mais est-ce qu'elle pourrait un jour être positive ? Il n'en était pas sûr.

Il laissa une pause, réfléchissant sérieusement à l'idée.

Ça y est, il était reparti.

Isolés dans la petite ruelle, les deux Konohajins échangeaient déjà depuis plusieurs dizaines de minutes. Emportés par leur enthousiasme et leur curiosité, aucun des deux protagonistes ne réalisa que le temps défilait à toute allure. Portés par un entrain rare, les deux jeunes rêvaient d’un futur radieux et savouraient leur innocence présente. Toutefois, même si Muu semblait l’avoir oublié, sa journée n’était pas finie et bientôt, la réalité lui rappellera ses obligations de la journée. Mais en attendant, le Genin jubilait de cette nouvelle rencontre et de cette amitié naissante.

Ainsi, ce clone était quelque chose de commun au sein du clan Chikara… Suite à cette surprenante révélation, l’enfant comprit l’ampleur de ses lacunes. Peut-être était-il temps d’en apprendre davantage sur les autres clans et les mystères de ce monde. Mais comment faire ? Aux yeux du gamin, cela représentait une tâche titanesque, si ce n’est impossible.




Puis, Dai se perdit à nouveau dans ses réflexions fertiles. Très vite, il digressa et se laissa emporter par sa fougue. Cependant, l’idée du Kirishitan semblait faire son chemin dans l’esprit du gamin aux cheveux bleus. Les deux compères semblaient se diriger vers des voies jumelles et pleines de promesses. Ceci comblait de joie le métis.



Une pointe de regret et de tristesse teinta ses derniers mots.

Un moyen de se cultiver sur le monde shninobi ? Ce n'était pas difficile....

Il entreprit quand même de lui expliquer les différents pouvoirs claniques au village :

Puis il vit Muu devenir plus triste. Ah, il n'avait pensé à personne en particulier en disant "l'Hokage"... mais c'est vrai qu'actuellement, c'était compliqué.

Futur politicien tiens.

Pendant un instant, son expression s'assombrit. Il savait que certaines personnes au village étaient particulièrement stupides. Bien sûr, lui n'avait jamais subi d'injures ou de coups pour sa couleur de peau, mais il était, à l'inverse de Muu, touché par les tensions entre les clans Uzumaki et Chikara. Puis son visage s'éclaira à nouveau :

Ses paroles étaient naïves, et il s'en rendait compte lui même. La force ne résolvait pas toujours tout, et même le plus fort jutsu de tous les temps ne pouvait pas changer les mentalités.... Mais là, par ce beau temps, encore dans la joie et l'innocence dans lesquelles il baignait depuis un bon moment maintenant avec Muu, il voulait y croire. Croire qu'un jour, les gens comme ceux qui avaient ainsi agressé Muu ne seraient plus, auraient évolué en une espèce beaucoup moins étriquée d'esprit....

Soudain, alors que Dai commençait un exposé clair et concis de l’étendue de ses connaissances du monde ninja à Konoha, le petit Kirishitan attrapa rapidement de quoi écrire et nota de façon scolaire tous les propos de son nouvel ami. Attentif et curieux, il se donna beaucoup de peine pour transcrire toutes les informations. À ses yeux, c’était certes très intéressant, mais aussi très dense. Il n’avait pas l’habitude de subir un pareil enseignement. En effet, dans sa vie, hormis ses parents, personne n’avait véritablement pris la peine de jouer les précepteurs. Même les aides bienvenues et éphémères de ses acolytes Konohajins n’arrivaient pas à combler des années de retards. Ce fait était notamment dû à la naissance tardive de la vocation guerrière de Muu. Après tout, il ne s’imaginait shinobi que depuis son arrivée sur ces terres maudites. Peut-être que le long voyage et les luttes qui lui succédèrent avait permis à l’enfant de s’imaginer dans une futur moins passif. Toutefois, ses lacunes étaient grandes et son manque de concentration n’aidait pas à combler ce fossé.

Au fil de la conversation, le gamin émit de nombreux marmonnements. Curieusement, répéter les dires de son camarade facilitait sa prise de note. Et parfois, entre ses quelques bruits étranges, il hochait la tête avec passion ou fixait bêtement l’adolescent aux cheveux bleus. De plus, la scène n’était pas dénuée d’un certain sens du comique : le métis étant très expressif, aussi bien par son visage que par ses gestes.



Cet éclat de voix résonna dans toute la ruelle. Ses yeux pétillaient de passion et son corps commença à s’exciter plus que de raison. Très vite, il commença à prendre des poses héroïques tout en déclamant ses intentions à qui veut l’entendre.




Pris par son enthousiasme, le garçon s’était figé dans une moue ridicule. C’était comme si réfléchir lui demandait toute son énergie et l’empêchait de faire autre chose.

Muu s'avérait encore une fois être bon public. Entendre une sorte d'écho de sa propre voix quand le brun répétait ses paroles aurait pu être agaçant, mais l'enthousiasme dont il faisait preuve annihilait toute pensée de ce genre. Il avait été un peu surpris quand il avait vu Muu commencer à prendre des notes, mais ne s'était pas arrêté dans son court exposé.

Il devait absolument raconter ça à tout son entourage, il y avait quelqu'un pour le qualifier ainsi. Le croirait-on au moins ? Pas sûr du tout, ça.

Il soupçonnait en fait Seishiro de penser qu'il n'y avait tout simplement jamais rien eu à brûler. "Fort", il ne l'était pas non plus vraiment. Un poil plus sérieux, il reprit :

La deuxième partie, sur les tensions et injustices, semblait avoir rechargé Muu comme une pile électrique. Il le vit s'agiter encore plus que pendant ses explications, s'enthousiasmant à propos de leur nouveau co-projet. Bon, c'était très bien tout ça, mais il y avait une partie qui l'interpellait :

Les costumes passaient encore, on devait pouvoir trouver quelque chose de potable. Mais les danses ? Oh que non, il se ridiculisait déjà en taijutsu, pas question de faire pareil avec la danse ! Ah pour sûr, il allait bien répandre la joie lorsque les gens riraient devant son incroyable talent....
Muu se figea soudain en changeant son expression enjouée pour une nouvelle relativement comique. Les noms, il n'avait rien contre le fait d'en avoir. ça paraissait tout à fait raisonnable par rapport à la danse. Après, il fallait en trouver des bons.

Un peu oui... Il réfléchissait sérieusement à un meilleur nom, bras croisés, sourcils froncés. Il ne cherchait plus des noms, mais des pistes à explorer pour en trouver.

Finalement, ça lui plaisait bien cette histoire de noms. Tant qu'il ne se retrouvait pas avec "petit idiot" ou un autre nom tout aussi mélioratif.

Perdu dans ses pensées fécondes, le petit Kirishitan n’entendit pas les premiers propos du Chikara. Il était bien trop occupé à imaginer diverses poses et divers costumes. Étrangement, toutes ses élucubrations étaient dignes d’un univers parallèle. Elles étaient sûrement tirées de l’une de ses brillantes fictions qui pullulaient dans la culture juvénile. Naïvement, Muu ne percevait pas les reproches et les critiques de son acolyte. Sourd à ses autodépréciations, il se concentrait sur son imaginaire et sur sa perception héroïque de Dai. En effet, à ses yeux, ce dernier était un courageux combattant voué à la gloire et à la reconnaissance éternelle. D’ailleurs, il entendait déjà la foule en délire acclamer son ami.

Soudain, porté par cette vision, un rire massif et bruyant émergea du néant. Le préadolescent exaltait à la seule pensée de ce futur radieux. Convaincue de la véracité de sa vision, il adressa un regard ardent à son nouvel ami.


Soudain, le garçon éclaircit sa voix grâce à une petite toux.


Pourtant, dans le cerveau du jeune ninja, tout était limpide. Il voyait déjà les explosions, les cris, les arrivées dantesques. Lui tout en noir et son camarade tout en bleu. Tels des soldats élues par une divinité inconnue, prompts à lutter contre le Mal et les Injustices. Tiens, d’ailleurs, en parlant du malin, qui se serait leur Némésis ? Bah oui, tout héros a besoin de son vilain.



De nouveau pris par ses réflexions, le garçon retrouva sa moue ridicule. Il cherchait, cherchait, encore et toujours et pourtant, la liste était trop longue. Il n’arrivait pas à se décider. C’est alors qu’il s’écria avec vigueur :

...Il avait dit quelque chose de drôle ? Cette fois, Muu n'avait pas semblé boire ses paroles, il n'avait pas semblé les écouter du tout en fait, et avait finalement éclaté de rire alors que Dai n'en voyait pas la raison. Il n'était pas super doué non plus pour trouver un nom, mais il écouta les pistes du Kirishitan. Qui l'embrouillèrent presque plus qu'elles ne l'aidaient.

Il ne trouvait rien du tout là. Aucune inspiration, page blanche... ou plutôt blanc dans la discussion. Il fallait trouver pourtant ! Puis il pensa à un échappatoire :

Et la suite était encore pire pour son inspiration. Ah parce qu'en plus, il fallait trouver un ennemi juré et un nom pour celui-ci ? Son sourire se fit malicieux.

Pour les noms par contre, il était d'accord avec le brun à cent pourcent. Se trouver une sorte de pseudonyme, c'était toujours marrant, et leurs vrais noms mettraient bel et bien leurs proches en danger... Ouais, finalement, ce projet, il était à fond dedans.

Bon par contre, son nom à lui... Il n'en avait aucune idée. Qu'est ce qu'il avait aujourd'hui ? D'habitude il aurait sorti des noms, certes ridicules mais il aurait eu des idées ! Ou alors était-ce le fait qu'il prenne ce rêve au sérieux et qu'il ne veuille donc pas le gâcher avec un nom pourri ?