« Je ne compte pas porter atteinte à ta vie. Ne t’inquiète pas à ce propos. »
Kimino tardait à revenir. Son absence creusait un silence étrange, seulement brisé par le vacarme persistant qui résonnait à l’étage supérieur. Chaque pas précipité, chaque heurt sourd contre les murs faisait vibrer l’air de la rue étroite. Des débris de plâtre tombaient parfois des plafonds, formant une poussière blanchâtre qui s’accrochait à la lumière vacillante des lanternes. Hikaru savait qu’il ne disposait que de quelques secondes, un répit fragile, pour arracher un fragment de vérité à celle qui se tenait face à lui.
Il n’était pas venu ici pour tuer. Sa lame n’avait pas soif de sang, mais son cœur cherchait un exutoire, une raison, n’importe quelle justification qui puisse étouffer cette haine ancienne. La voix de son ancien Hokage résonnait encore en lui, comme une blessure jamais cicatrisée. Ce timbre lumineux, porteur d’espoir pour les autres, n’avait été pour lui qu’un rappel cruel : celui d’un combat perdu d’avance, contre un homme qui maniait la lumière comme une divinité.
Ce n’était pas la défaite qui le hantait, mais l’inaction. L’Uzumaki n’avait pas été un ennemi, pas vraiment. Pourtant, dans son immobilisme, il avait semé la rancœur au plus profond de Hikaru. Pourquoi n’avait-il rien fait pour protéger les siens ? Pourquoi sacrifier sa propre patrie au nom d’un idéal trop grand pour des hommes mortels ? Ce choix, glorifié par d’autres, n’était pour Hikaru qu’une trahison incompréhensible.
Son regard se fixa sur l’ancienne Konohajin, toujours là, docile, sans chercher la fuite. Le Chikara reprit la parole, sa voix grave résonnant dans l’étroitesse de la ruelle, couverte par intermittence par les échos du combat au-dessus :
« Comment pouvez-vous être si sûrs que vos actions sont les bonnes ? Si vous êtes en lien avec ce train, vous ne faites que donner raison à l’Empire d’exister ..! »
Il connaissait les desseins de l’ancien gouverneur, la folie de son projet : éradiquer le monde Shinobi, effacer jusqu’à son essence. Une ambition qui avait été brisée par la résistance des clans, trop solidement enracinés dans la terre et dans l’histoire pour disparaître. Hikaru se rappelait encore de ce jour. Des silhouettes héroïques, des guerriers bravant l’impossible, affrontant une entité aux allures divines. Il avait vu ses frères tomber, les uns après les autres, réduits à l’état de Minashigo, dépouillés de leur humanité. Sa famille, son sang, engloutis par ce carnage.
Et toujours, Kimino, présent comme une ombre indéfectible, témoin de cette puissance absolue qui surpassait la volonté des hommes. Hikaru avait compris alors que son propre chemin ne serait pas celui des batailles glorieuses. L’argent, froid et silencieux, se révélait une arme plus utile. Avec ses fonds, il s’efforçait de sauver ce qui pouvait l’être encore, soutenant des familles disloquées, entre autres celles de Chikara Hinae et de Gaikotsu Akiko. Officiellement, il finançait un commerce d’encens médicinaux, une drogue légère et post-traumatique prisée par les soldats les plus fragiles de l’Empire. En réalité, il détournait ces sommes, camouflant ses gestes sous l’apparence d’une philanthropie ambiguë, aidé dans ses manœuvres par un ami médecin. Lui-même n’avait jamais inhalé ces volutes ; il n’était pas de ceux qui cherchaient l’oubli, mais de ceux qui rachetaient par l’action.
Un nouveau fracas secoua la bâtisse. Une table ou peut-être une poutre venait de heurter le sol, libérant une pluie de tessons. Le vacarme s’intensifiait à mesure que le combat s’étirait, résonnant dans la rue comme le roulement d’un tambour de guerre. Hikaru plissa les yeux, incertain : la femme ne faisait aucun mouvement pour s’évader. Était-ce un piège ? La patience de cette Konohajin éveillait ses soupçons. Pourtant, non… Kimino combattait réellement, et le duel ne pouvait pas durer longtemps.
Hikaru inspira profondément. Le tissu rigide de son costume se tendit contre sa poitrine, accentuant sa gêne. Son vêtement, conçu pour l’élégance et l’apparat, entravait chacun de ses mouvements. Les coutures tiraient à ses épaules, ses manches trop étroites limitaient l’amplitude de ses gestes. Il se sentait prisonnier d’une peau d’emprunt, incapable de retrouver la fluidité de son corps d’autrefois. Pas son prime. Pas cette sensation d’aisance qu’il avait connue quand son art se déployait librement. Ici, il n’était qu’un homme engoncé, contraint, obligé de feindre la maîtrise alors que ses propres vêtements le trahissaient.
Cette discussion prit fin lorsque les mèches longues et rousses d'Uzumaki Kimino firent une apparition marquée. Suite aux propos de ce dernier, il rangea son arme et indiqua à l'ancienne Konohajin d'une voix mi-douce mi-colérique :
« Tu devrais partir. Au Sud. Loin de cet homme. »
Son regard se durcit et ses yeux ne tardèrent pas à croiser ceux de l'ancien gérant de la République de Konoha. Il prit un risque démesuré... Une preuve d'un manque d'entraînement certain, car il décida de totalement déconsidérer l'existence physique de la femme, lui offrant l'occasion de riposter.
« Dites-moi, Uzumaki Kimino… Quelle est donc la différence entre l’Empire que vous exécrez et le régime que vous servez aujourd’hui ?
Est-ce là votre idéal ? Renverser un train, au nom de la survie d’une seule des vôtres, et prétendre appeler cela justice ? »
Involontairement, et sûrement poussé par l’irritation qui lui nouait la gorge, Hikaru commençait à parler comme il écrivait : avec une précision presque douloureuse, chaque mot pesé comme une plume sur la balance de la raison. Son esprit tournait en boucle autour de ce paradoxe qui le tourmentait : Konoha, ce village qu’il avait jadis appelé maison, était-il vraiment une famille quand il justifiait la mort d’innocents pour préserver son idéal ?
Il connaissait la prudence de l’empereur, capable de négocier des marchés qui semblaient impossibles, et Hikaru savait qu’un geste habile pourrait ouvrir un espace de survie pour les anciens Shinobis de Konoha. Et pourtant… quelque chose le retenait. Il n’y croyait pas totalement, pas à cent pour cent. Chaque plan, chaque promesse de sécurité semblait toujours entaché de sacrifices, de vies utiles à d’autres fins, et son cœur refusait d’accepter cette fatalité.
Il comprenait les idéaux de Kimino, sa volonté de préserver ce qu’il estimait précieux, mais le malaise persistait : pourquoi ces sacrifices nécessaires semblaient-ils toujours concerner les mêmes ? Pourquoi certaines vies valaient-elles plus que d’autres aux yeux de celui qui prétendait agir pour la paix ? Ce questionnement silencieux le rongeait autant que la colère.
« Je n'obéis guère à l’Empire. »
Hikaru laissa échapper un souffle court, chargé de cette amertume qui ne se dissipait jamais complètement. Sa haine ne se tournait pas vers Kimino pour sa force, ni pour ses idéaux… mais pour cette capacité insensée qu’il possédait à attirer les fous, ces hommes et femmes prêts à suivre aveuglément ses ordres, à sacrifier leur humanité sur l’autel d’une loyauté dévoyée. Une fascination morbide et terrifiante.