Une larme discrète s'écoula le long de la joue de l'aînée. Soshi venait de briser plusieurs années d'éloignement. Son geste et ses paroles remplirent le cœur de la veille dame de bonheur. Cette dernière acquit alors à cet instant une certitude : avec le temps, la famille cicatrisera de tous ses drames. Ainsi, les nuages se faisaient rares à l'horizon, l'avenir se voulait radieux. Faisant mine de se frotter les yeux à cause d'une poussière, Kaede chassa son sentimentalisme. Elle avait toujours été très pudique quand il s'agissait d'exprimer ses émotions. Sûrement l'héritage d'une éducation dure et archaïque.
Après cet instant de faiblesse, la grand-mère se décida à amener les différents plats dans le salon. Le dîner s'annonçait copieux et festif. Toutes les femmes de la famille avaient travaillé d'arrache-pied pour offrir un repas digne du retour de Soshi. Néanmoins, comme à leur habitude, Kagero et Kyoko préféraient s'amuser plutôt que d'aider l'aînée. Face à ce manque de sérieux, la guerrière retraitée mima des mudra avec une dextérité impressionnante.
« Je vois ! Reine K-K, vous avez succombé au mal ! Je vais vous ramener à la raison ! Ninpo ! Le baiser de la gorgone ! »
C'est alors qu'une scène ubuesque se déroula dans la bâtisse. La vieille kunoichi leva, un peu, son kimono pour libérer ses pieds, et se mit à poursuivre la "Reine K-K". Lèvres en avant, elle s'apprêtait à couvrir de bisous sa petite fille. Le pas sûr et rapide, elle courait avec agilité dans la pièce. Par moments, elle envoyait des baisers par les airs. Sa cible essayait alors de les éviter avec adresse.
« Oh non ! La Gorgone nous attaque ! Elle est trop forte, vite fuyons ! »
L'union des deux Miwaku était d'un ridicule certain. En effet, Kagero portait sa fille sur les épaules, en étant recouverte d'un long drap blanc. Kyoko, elle, tenait un bâton étrange en main et s'était maquillée avec des peintures de guerre. La scène ne dura pas bien longtemps, mais elle eut pour conclusion de nombreux rires. Décidément, une ambiance très particulière se dégageait de cette famille. L'art du spectacle et l'imagination avaient une place importante en son sein. Peut-être était-ce lié à l'appartenance au clan des Geisha. Après quelques minutes à ranger les accessoires, la quarantenaire invita tout le monde à prendre place autour de la table.
« Bon appétit à tous ! Et surtout, bienvenue chez toi Soshi. Nous sommes ravies de t'avoir nous ce soir ! »