Honnêtement, Yuhei n’avait pas pu s’empêcher de se convaincre que cette manœuvre était vouée à l’échec, qu’il n’y aurait aucun moyen de faire redescendre ce démon... Qui aurait pu lui en vouloir ? Sa survie jusque-là semblait n’être que le fruit improbable d’un enchaînement chaotique de circonstances. En enfonçant sa lame dans le corps de son adversaire, il avait entrevu son propre destin sans vraiment tenter d’y échapper. Dans ce monde supposé paisible, alors qu’il ressentait l’acier glacé de son ennemi, une voix familière — celle de son défunt père — résonna, amère et accusatrice : « Pitoyable. »
En réalité, Yuhei ignorait encore l’étendue de ses capacités et avait négligé des facteurs cruciaux, dont le poison lentement accumulé dans le sang du Kenketsu... Ce poison avait certainement contribué à paralyser ses réflexes, rendant impossible l’esquive des deux attaques simultanées. S’il avait eu davantage confiance en lui, il aurait maintenu le combat à distance, conservant l’avantage. Mais il savait maintenant qu’il était trop tard pour regretter ses erreurs…
Et pourtant, alors que son esprit s'accrochait à l'image de son père, ce regard empreint de mépris qui pesait sur lui avec une dureté silencieuse, une autre vision, inattendue et libératrice, surgit : celle de son Empereur lui affirmant qu'il méritait sa confiance et qu'il ne devait en aucun cas le décevoir. Yuhei comprit alors que c'était vrai... Il imaginait son souverain, droit devant son corps inerte, le regard glacial, un léger rictus au coin des lèvres, se remémorant les efforts acharnés du jeune guerrier pour effacer l’ombre de son père criminel et se forger une place d'honneur.
Alors que la masse de sang coagulé s’abattait sur lui, Yuhei libéra ce qui lui restait de vitalité dans un ultime geste de défi. Il concentra toute l’énergie du Raiton noir dans sa lame, l’électricité empoisonnée pulsant comme une dernière promesse de vengeance. Il ne verrait pas le résultat, mais il savait que le poison s’infiltrerait, se répandrait, que cette attaque porterait l’empreinte de sa volonté, même dans l’obscurité.
En se sentant sombrer, un étrange apaisement l’envahit. Son corps brisé n'était plus qu'une enveloppe, un poids qu’il laissait derrière lui. Dans cet instant où la fin se dessinait, des fragments de son existence resurgirent, exposant ce poids silencieux qu’il avait porté toute sa vie : cette distance irréductible entre lui et les autres, cette incapacité à se fondre dans leurs codes et leurs attentes. Son existence avait toujours été une lutte pour comprendre, pour imiter, pour mériter de figurer aux côtés de ceux qui semblaient naturellement appartenir. Chaque combat, chaque duel, avait été une manière d’affirmer son identité, de prouver qu’il existait, même si personne ne le comprenait vraiment.
Puis, l'Empereur était arrivé dans sa vie. Ce regard, froid et calme, avait reconnu en lui quelque chose de familier, une solitude partagée, une lutte intérieure qu’ils ne pouvaient exprimer. Pour la première fois, Yuhei s’était senti vu. C’était là, dans ce lien muet, qu'il avait découvert une paix inattendue, celle de savoir qu’il n’était pas seul dans sa singularité.
Et maintenant, alors qu’il approchait de la fin, il comprenait enfin : il n’avait jamais eu besoin de se battre pour exister. Dans un souffle silencieux, il murmura simplement :
Car, oui, il était rentré. Non chez les siens, mais en acceptation avec lui. Il avait l'impression de finalement faire face à cet enfant qui avait dû se cacher dans des conventions multiples pour être accepté, sans jamais l'être vraiment. Il n'était plus. Ses yeux ouverts vers l'avenir et le visage apaisé, Hattori Yuhei venait de rendre son dernier soupir.