Le suplice d'un vampire

Elle était là depuis fort fort longtemps. Par moment, elle ouvrait les yeux comme soudainement ramenée à la vie. Autour d'elle, toujours ce même décor. Une sombre cave. De grosses dalles un peu bosselées disposées sur le sol. A sa droite, demeurait les restes d'un mort que seul le temps avait eu l'occasion de toucher. A vrai dire, l'état de décomposition du squelette était le seul élément qui permettait à la demoiselle d'évaluer le temps passé ici. A son poignet droit, à son poignet gauche et comme à chacun de ses pieds, des chaînes la retenait prisonnière. Son visage demeurait apaisé et ses paupières se refermaient peu à peu jusqu'à ce qu'elle sombre dans l'inconscient. Un large pic métallique lui traversait la poitrine. Elle était empalée. Cependant, elle ne souffrait pas. Elle sentait simplement ses forces la quitter momentanément. Et pour que la boucle se boucle, après un temps, elle se réveillerait de nouveau.

Quelqu'un finirait-il par l'aider ?

Les ruines dans lesquelles il s'était installé depuis une douzaine d'années maintenant étaient beaucoup plus grandes qu'elles ne le laissaient paraître. S'étendant sur des kilomètres de catacombes et de galeries sous le marécage elles renfermaient nombre de squelettes utiles pour ses expériences. Masaru les exploraient régulièrement, s'aventurant chaque fois un peu plus loin en quête de nouveaux corps inanimés. Il en était très vite arrivé à la conclusion que cet endroit était une très ancienne prison, incapable par contre de dire qui l'avait construite et qui en étaient les occupants décrépis. Toujours était-il que l'ensemble semblait vieux de plusieurs siècles.

Pénétrant une nouvelle cellule, parmi tant d'autres, Masaru remarqua un squelette moins décomposé que la moyenne sur le sol, mais sa plus grande surprise se trouvait un milieu de la salle, empalée sur un pieu de métal, des chaines aux poignets et aux chevilles : un corps non affecté par la décomposition. L'ancien Gaikotsu n'eut pas besoin de réfléchir bien longtemps pour comprendre qu'il avait en face de lui une Kenketsu bien vivante. Bien vivante mais incapable de se libérer seule, ses forces s'échappant aussi vite que ses capacités de régénération les lui rendaient. Tout juste devait-elle reprendre conscience quelques minutes avant de sombrer de nouveau dans un coma salvateur.

Au moins le temps devait lui paraître moins long que si elle avait été en permanence éveillée, incapable de savoir si ce demi-songe dans lequel elle était plongée était bien réel ou n'était que le fruit de son esprit. Masaru savait de part l'apprentissage des siens que les Kenketsu dans cet état étaient, durant leurs moments d'éveil, parfaitement capables d'entendre ce qu'il se passait autour d'eux, en revanche il ignorait s'ils étaient capable de tenir une conversation...

Alors qu'il contemplait depuis de longues minutes la délicieuse vampire empalée celle-ci ouvrit lentement les yeux, battant des cils pour tenter désespéramment de chasser l'engourdissement de son corps. Masaru allait bientôt savoir ce que les siens n'avaient pu lui apprendre et, qui sait, peut-être allait-il trouver une nouvelle alliée... les précédents Kenketsu qu'il avait rencontré n'avaient, pour la plupart, pas été très coopératifs à son égard...



Bien sûr, il ne pourrait le faire sur-le-champ. Sitôt aurait-elle retrouvé ses forces que sa terrible soif de sang lui ferait payer toutes ses années sans alimentation. Qu'elles qu'aient été les intention de la captive à son égard, sa volonté affaiblie ne pourrait contenir une soif de plusieurs décennies. Il lui faudrait lui amener de la nourriture avant de la détacher... et prendre plusieurs précautions évidentes... Heureusement pour la Kenketsu, son bienfaiteur avait commencé à rassembler des proies potentielles en vue de son entrevue prochaine avec Kuma, son seul "allié" potentiel pour le moment. Elle n'aurait ainsi pas à attendre trop longtemps... elle ne devait de toutes façon pas être à quelques heures près désormais...

A son réveil, une surprise attendait Kiyomori. Il y avait un homme, posté là, juste devant elle. La femme écarquilla les yeux une seconde. Tout cela était-il bien réel? Le monsieur avait visiblement compris qu'elle vivait et tout laissait penser qu'il avait attendu son réveil. Notre héroïne se demandait quelles pouvaient bien être ses intentions puisque tout à fait volontairement, l'homme aux cheveux blanc ne l'avait pas détachée de ses chaînes. Puis il prit la parole et l'aventurière tentait tant bien que mal de communiquer à son tour :



La brune commençait à s'étouffer. Elle toussait et un sang de couleur noirâtre commençait à s'échapper de ses lèvres. Pourtant, elle voulait tellement faire l'effort ! Il était là, il pouvait la sortir de son supplice... Les mouvements brusques de son buste - dus aux toussotements - exerçaient une pression sur son corps. La kunoichi se rendait compte qu'elle allait sombrer à nouveau.

Un murmure étouffé s'échappa des lèvres de la "jeune" femme, suivit d'un peu de sang. L'effet qu'elle produisait pour tenter de prononcer quelques pauvres mots à peine audible semblaient suffisant pour la faire défaillir. Sans sang pour l'alimenter, ses capacités surhumaines ne semblaient capable de guère plus que de la maintenir en vie. Heureusement pour la Kenketsu, Masaru n'était pas, n'importe quel homme. Maîtrisant l'art des techniques médicales il allait pouvoir l'aider à communiquer sans la libérer... du moins il espérait que cela fonctionnerait ainsi sur un Kenketsu, à vrai dire ils ne se livraient que trop rarement à ce genre d'expériences... Posant sa main sur son front, Masaru diffusa très lentement une faible quantité de chakra dans le corps de son interlocutrice grâce au Kudasaru no Jutsu. Ainsi il espérait pouvoir alimenter suffisamment les capacités de régénération de la vampire pour qu'elle puisse rester éveillée un peu plus longtemps et parvenir à s'exprimer de manière un peu plus... compréhensible. Bien sûr il ne pourrait pas maintenir cette conversation trop longtemps, ni elle s'exprimer aussi bien que si elle était libre, mais c'était toujours mieux que rien...




Il lui souriait gentiment, il n'avait nul besoin de lui mentir. Il était en effet ravi de la rencontrer, ravi de mener, de manière totalement fortuite et inoffensive, quelques expériences fort intéressantes sur les Kenketsu. Il serait également ravi de l'aider, un peu plus tard...

La brune essayait toujours de communiquer avec cet homme, et c'était toujours aussi laborieux malgré les soins qu'il lui procurait. Cette barre de métal qui la traversait obstruait sa voie respiratoire. C'était presque un miracle de parvenir à prononcer quelques syllabes dans un pareil état. Malgré tout, ce regain de chakra l'aidait à y voir plus clair. Elle se sentait sécurisée. Elle n'était plus dans cet état d'alerte, prête à retomber dans un comas. Elle observait le visage du garçon. Elle essayait de se souvenir. Se connaissaient-ils ? La parole lui provocant des toussotements, elle essayait de bouger simplement les lèvres, sans en émettre le moindre son. Elle les bougeait lentement, essayant de former les mots « merci » et « reste » plusieurs fois de suite en espérant l'aider à comprendre. La femme le regardait. Elle cherchait sur lui un quelconque signe approbateur.

Parviendrait-il à saisir ces quelques semblant de paroles ?

Décidément la communication allait être plus compliquée que prévue. Il faut dire qu'avoir l'un de ses poumons perforés ne devaient pas beaucoup aider la Kenketsu à s'exprimer. Après avoir à nouveau balbutié quelques syllabes elle tenta de communiquer simplement en bougeant les lèvres. N'ayant jamais été particulièrement doué pour ce genre d'exercices Masaru pu comprendre sans peine le mot "merci" qu'il trouvait plutôt adéquat au vu du contexte. La panique qu'il lisait jusque là dans les yeux de la femme avait disparu. Bien qu'imaginant assez mal ce que l'on pouvait ressentir dans une telle situation, le quarantenaire supposa que perdre régulièrement conscience ne devait pas être une expérience très agréable et que ne plus craindre de sombrer de nouveau devait être plaisant... ou tout du moins aussi plaisant que pouvait l'être d'être empalée dans une prison humide depuis de trop nombreuses années... D'ailleurs, le second mot qu'elle semblait pouvoir lui communiquer n'était-ce pas "reste". Plus difficile à deviner qu'un "merci" bien plus commun, seul le contexte l'aidait à reconnaître ce mot là.



Il savait ce qu'entendre prononcer son nom d'une voix douce pouvait provoquer chez quelqu'un souffrant de solitude, il l'avait vécu étant enfant, quand sa mère le punissait en l'enfermant dans la cave et l'appelait tendrement le lendemain ou le surlendemain pour l'inviter à en sortir...



Il n'aimait pas l'idée de laisser cette Kenketsu seule ici, pas qu'il ressente un quelconque attachement pour elle, non, il ne la connaissait même pas. Mais il savait que, dans sa condition, elle souffrirait énormément de se sentir à nouveau abandonnée... C'était à lui d'amener la chose le plus diplomatiquement possible.

Lorsque Masaru parvint à prononcer quelque chose qui ressemblait à son prénom, Kiyomori hocha lentement la tête en signe d'approbation. Le mouvement était peu marqué, juste assez pour qu'il comprenne. Elle lui fit un petit sourire. Après tout ce temps, elle avait presque oublié à quel point la présence d'une personne quelle qu'elle soit pouvait être réconfortante. Elle écoutait attentivement les propos de l'homme. Il lui promettait de revenir. Il lui promettait aussi de rester jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Dormir.. C'était un bien joli mot pour son comas. Mais c'était un verbe assez loin de la vérité avec laquelle elle luttait depuis si longtemps. Après tout, ça devait faire au moins un siècle qu'elle n'avait ni dormi, ni rêvé. C'était un privilège réservé aux hommes. Un privilège que Masaru n'estimait sûrement même pas. Pour autant, elle n'éprouvait aucune animosité envers lui. Elle était simplement heureuse qu'il soit là. Qu'il lui fasse de bienveillantes promesses. Le vampire profitait de l'instant présent car malgré les bonnes paroles du shinobi, elle ne pouvait avoir la certitude qu'il serait là la prochaine fois. Elle ne se sentait pas encore délivrée, mais une lueur s'était réveillée au fond d'elle. Elle avait retrouvé de l'espoir.

Après un temps, le marchand de sable passait et Kiyomori fermait les yeux.

"Tu pourras aussi prendre un bain et brûler tes vêtements" aurait pu rajouter Masaru. Mais il ne le fit pas, Kiyo n'avait aucun besoin qu'on lui rappelle que ses intestins et sa vessie s'étaient relâchés après son empalement. Heureusement que son organisme avait cessé de fonctionner également, sans cela elle n'aurait pas été réellement en meilleur état que le squelette à moitié desséché siégeant à ses côtés.


Écoutant ses paroles qui se voulaient aussi douces et apaisantes que possible, la belle fini par fermer de nouveau les yeux, processus légèrement accéléré par Masaru qui lui envoyait progressivement de moins en moins de chakra, diminuant le flux trop lentement pour qu'elle ne s'en rende compte, du moins dans son état. Dès qu'elle fut à nouveau comateuse, le déserteur s'élança dans le couloir en ruine et alla au pas de course rejoindre sa planque.

Près d'une heure plus tard il revint dans la cellule décatie et posa son fardeau, deux jeunes hommes rachitiques, juste à côté de la Kenketsu endormie. Ces deux bandits qu'il avait capturé deux jours plus tôt avaient été proprement assommés afin d'éviter à Masaru de subir leurs gesticulations et leurs braillements incessants. D'autant que sa patiente n'avait pas non plus besoin d'en profiter...

Soulevant délicatement cette dernière il la retira de son pieu et la déposa tendrement sur le sol de pierre. Sans détacher ni les poignets ni les chevilles de la captive, il laissa à nouveau son chakra s'écouler en elle, cette fois-ci pour réparer les lésions physiques qu'elle avait subie. Connaissant les capacités de régénération des Kenketsu il n'utilisa qu'une technique relativement faible, juste pour épauler son organisme affaibli et sous-alimenté. Il ne voulait pas non plus qu'elle ne retrouve ses moyens, et son appétit, trop vite. Il pouvait ainsi étudier en détail les étapes de ce processus de récupération. Après tout, aucun des siens n'avaient encore assisté à un tel spectacle, si pressés qu'ils étaient d'éliminer les Kenketsu définitivement. Dès que Kiyo fit mine de se réveiller, Masaru s'écarta de quelques pas en arrière, poussant du pied l'un des captifs inconscient aux côtés de la dame.

La situation de Kiyomori semblait s'être nettement améliorée depuis son dernier réveil. Elle était toujours pendue à ses chaînes, mais la barre de métal n'entravait plus sa poitrine. L'homme aux cheveux blancs semblait tenir ses promesses. Elle allait enfin pouvoir recommencer à parler et à se mouvoir normalement. Elle pouvait alors apercevoir deux corps au sol, et déduisait qu'il s'agissait certainement d'une offrande. Avec ces chaînes et ce repas fraîchement servi, Kiyomori avait la nette impression qu'il essayait de l'apprivoiser. Elle se sentait alors réduite à une condition animale, et ce sentiment lui pesait. Elle avait hâte de retrouver une vraie liberté, mais pour cela, une confiance mutuelle devait d'abord s'installer entre les deux individus.



Je tirais sur les chaînes attachées à mes poignées, ceci afin de lui faire comprendre qu'il n'y aurait pas suffisamment de moue pour que je puisse m'attaquer aux victimes qu'il avait sélectionné pour moi.

Bien, elle semblait, malgré sa faiblesse prolongée, raisonnable. C'était bienvenue et, pour tout dire, presque inespéré. Elle avait repris ses "forces" bien plus rapidement qu'il ne l'aurait tout d'abord pensé. Jugeant ne rien risquer, son interlocutrice ayant des proies à dispositions si son manque d'alimentation de ces dernières années se rappelait soudain à son bon souvenir, il décida de la libérer. Les chaînes étant bien affaiblies par de longues années de rouille et de corrosion, il fut facile de les sectionner avec la technique adéquates. Il resterait encore à détacher les fers ornant ses poignets et ses chevilles, mais ils pourraient s'en inquiéter plus tard.



Ces détails futiles étant réglés, ils allaient enfin pouvoir discuter d'égal à égal... ou presque, n'ayant aucune connaissance de l'état actuel du monde, Kiyo, ou quel que fut son nom complet, aurait peut-être besoin de lui plus tard... Mais cela n'avait guère d'importance pour l'instant, d'autres sujets méritaient d'être abordés le temps qu'elle retrouve des forces.



Masaru semblait parfaitement détendu, comme s'il discutait avec une vieille amie qu'il n'avait pas revu depuis de longs mois. Pourtant cette rencontre n'avait rien de normal ni d'anodin.

Le vampire s'agenouillait et attrapait les épaules d'un des deux corps pour ramener son cou jusqu'à ses lèvres. Elle plantait ses crocs et le vidait entièrement de son sang. Comment avait-elle pu oublier ce goût ? Elle se sentait revivre. Sa faim était calmée. Temporairement calmée. Elle essuyait ses lèvres et puis se redressait.



Elle le laissait réfléchir à une décision avant de préciser :



Il commença à lui poser quelques questions, mais elle devait bien reconnaître que les choses étaient encore un peu floues dans sa tête.

Se tournant comme sa nouvelle amie le lui demandait, il ne fit aucun commentaire tandis qu'elle se nourrissait. Ensuite, il écouta et pris bonne note de ses conseils en hochant légèrement la tête par moment pour lui signifier qu'il l'écoutait attentivement. À sa manière de s'exprimer elle semblait considérer qu'ils allaient rester ensemble certain temps, ce qui n'était pas pour déplaire à l'ex Gaikotsu.



Non, clairement, il n'allait pas laisser tomber celle qui semblait bien partie pour être sa première alliée depuis 15 ans... Elle évoque ensuite des expériences, ce qui piqua immédiatement sa curiosité. Mais nul besoin de presser les choses, il serait dommage de froisser sa première amie.