Le suplice d'un vampire

Elle essayait de répondre à ses questions. Elle ne savait pas tout, c'était surtout des déductions qu'elle avait faites.



La femme constatait alors qu'elle en disait beaucoup sur elle, mais qu'elle ne savait toujours rien au sujet de son bienfaiteur. Elle lui demandait donc en toute amitié :



Kiyomori se demandait aussi ce qu'il pouvait bien venir faire en ce lieux. Ça faisait un bail qu'elle n'avait plus vue personne ici.

Et puis, avait-il déjà prévu des choses pour elle ?

Les expériences dont elle parlait étaient intéressantes, surtout pour qui souhaitait garder des Kenketsu en captivité sans en subir les inconvénients. Cependant, l'état de la gente dame qu'il avoir en face de lui tenait à prouver l'échec de cette tentative. Outre ce passé douloureux, elle l'autorisait à l'appeler Kiyo. Masaru ne s'en priverai pas, non pas par préférence, mais pour entretenir ce lien tout particulier que les récents évènements avaient tissé entre eux, et puis donnait-on pas des surnoms à ses amis ? À vrai dire Masaru manquait d'expérience sur la question pour être catégorique, après tout il n'avait jamais vraiment eu d'amis...



Il avait gardé son sourire même si celui-ci s'était quelque peu crispé en prononçant le nom son clan. Allait-elle soudain le détester parce que ses semblables s'étaient voués à la traque et massacre des siens ? Pourrait-il seulement l'en blâmer si elle le faisait ?

Kiyomori marquait un instant de silence, puis elle disait finalement avec un ton un peu sarcastique :



Les choses avaient-elles tant changées depuis qu'on l'avait enfermée là ? Le vampire avait du mal à le croire. Elle commençait à se demander si l'homme aux cheveux blancs ne lui tendait pas un piège. Pourtant elle ne pouvait lire aucun mépris dans son regard. Quel intérêt pouvait-il trouver à faire ami-ami avec les vampires ? A ces actions, ses anciens alliés devaient avoir la certitude qu'il était lui-même transformé. Qu'il n'était plus « humain ». Mais pour moi, il n'y avait aucun doute possible. C'était bien une petite fleur naïve que j'aurais pu piétiner à tout moment, maintenant que j'étais libre. Mais ce n'était pas mon intention.

Elle était surprise, c'était compréhensible. Les Gaikotsu n'aimaient traditionnellement pas les Kenketsu et cela n'avait, pour l'heure, aucune raison de changer. Mais Masaru ne se sentait plus réellement Gaikotsu depuis bien longtemps déjà, avant même de les quitter, il ne se sentait donc pas plus concerné par ces querelles ancestrales.



Un soupir, quelques pas sans but dans la cellule, un léger silence. Au fond il était déjà, aux yeux des siens, assimilé à un Kenketsu, ou peut-être même pire qu'eux. Non, la seule différence entre lui et un vampire était qu'il restait une victime potentielle pour ces derniers.



Il se retourna et revint vers elle, approchant son visage à moins de dix centimètres du sien. Quand il reprit la parole sa voix n'était qu'un murmure.



Un éclair de folie passa fugacement dans son regard, folie d'un homme dont les travaux de ces quinze dernières années tournaient en rond sans aboutir à une quelconque avancée notable. Folie d'un homme qui, alors que sa vie est plus proche de la fin que du début, a essayé de faire le point sur ce qu'il avait accompli jusque là et n'a rien pu trouver de positif. Folie d'un homme redoutant que sa vie soit dénuée de sens, de but. Folie d'un homme qui a vécu, espéré et lutté en vain.

C'était une bien drôle rencontre. Kiyomori lui répondait un tant soit peu amusée :



Elle le regardait, et cherchait comme un indice ou une réponse sur les traits de son visage. Dans ses mimiques.



L'homme aux cheveux blancs pouvait se rassurer ; ce n'était pas l'objectif du vampire que de mettre fin à ses jours. Kiyomori avait un sentiment de reconnaissance à son égard. Elle aurait donc aimé être en mesure de lui rendre un quelconque service, afin de rembourser cette « dette ». Dans sa tête, rien n'était gratuit. Il y avait toujours un prix à payer.

S'il avait eu l'intention de la manipuler, Masaru aurait été déçu. Heureusement pour lui cette intention s'était évanoui depuis un moment déjà, probablement avant même qu'il ne la libère. Cette discussion semblait l'amuser, tant mieux. Il devait être plus plaisant pour elle que son "retour à la vie" se fasse dans une ambiance positive.



Il faisait référence à sa précédente tentative de contact avec des Kenketsu. Bien entendu, elle ne pouvait avoir la moindre idée de ce qu'il cherchait à dire et devrait se contenter de savoir qu'il y avait là un sous-entendu sans pouvoir mettre le doigt dessus.



Un sourire en coin s'était dessiné sur le visage d'ordinaire trop terne de l'ancien Gaikotsu. Il n'était pas certain de savoir lui-même ce qu'il voulait, certes, mais il en rajoutait volontiers pour "jouer" en toute innocence avec sa compagne du jour.



En effet, les habits de la Kenketsu, bien qu'en apparence normaux, mis à part un trou béant sous sa poitrine, menaçaient en réalité de tomber en lambeaux au moindre mouvement de leur propriétaire. Fort heureusement pour elle, elle n'avait pas trop bougé depuis le début de leur discussion, reprenant des forces. En revanche, si elle souhaitait partir Kiyo risquerait fort de se retrouver presque nue avant même d'être sortie des ruines.

C'était la première fois qu'elle l'appelait par son prénom.

C'est seulement suite à sa remarque que Kiyomori pencha la tête sur ses vêtements. Ils étaient dans un état proche de la décomposition. Le vampire se disait que c'était un genre de réflexion propre aux humains. Ça ne l'aurait pas dérangée d'être nue. Elle ne connaissait plus ce sentiment de pudeur depuis longtemps. Toutefois, elle ne souhaitait pas se faire remarquer à l'extérieur. Elle avait parfaitement conscience qu'elle devrait donc s'adapter aux humains, et à leurs habitudes qui lui semblaient aujourd'hui si étranges. Sans se l'avouer jamais, elle regrettait cette condition de simple mortel. Elle avait oublié ces sentiments de peur, d'adrénaline qui nous donne la sensation d'être si « vivant ». Elle enviait les humains pour tout cela, et avait tendance à les imiter. A faire comme eux. A faire semblant. Elle jouait la gêne, elle jouait la joie, elle jouait la tristesse, et bien d'autres rôles encore. Ces mensonges lui accordaient même un certain naturel et une crédibilité qui lui permettaient entre autres, d'être mieux acceptée par les humains. Car oui, par le passé, elle était parvenue à se mêler aux humains malgré ses yeux rouge. Une chance pour elle que beaucoup ne croient rien de ces légendes.

Le cinéma allait donc commencer. Alors qu'elle avait penché la tête sur ses vêtements, elle releva les yeux vers Masaru et ses pommettes devinrent légèrement roses. Comme si elle semblait gênée par la situation. Elle s'adressait alors à lui d'une timide voix :



Et s'il acceptait, elle se pencherait pour ramasser des vêtements sur les deux victimes du Gaikotsu et s'habiller.

Tandis qu'il se tournait, quelque chose mis Masaru mal à l'aise. Peut-être était-ce ce temps de pose entre le moment où elle avait baissé la tête et l'instant suivant ou elle avait réagi spontanément. Ce décalage sonnait faux, comme s'il lui avait fallu réapprendre à ressentir. Masaru n'avait jamais été très à l'aise lors d'interaction sociales et son aisance verbale n'était qu'un moyen inconscient de le cacher. Il décida que cette étrange sensation devaitvenir de lui et non d'elle et reprit la conversation comme si de rien était.



Tandis qu'elle s'habillait dans son dos, Masaru avait repris ton amusé, miroir celui son interlocutrice avait pris plus tôt. Alors qu'il posait sa dernière question, il se rappela qu'elle l'avait appelé par son nom. Cela faisait une éternité qu'il n'avait plus entendu ce mot prononcé avec tant de d'ouvrir et de... sympathie. Deux personnes l'avaient fait jusque là, et les deux l'avaient rejeté avec violence et dégoût. En serait-il pareil pour celle-ci ?

Masaru s'était exécuté. Kiyomori déshabillait donc le cadavre auquel elle ne s'était pas attaqué, tout simplement parce que ses vêtements n'étaient pas dégoulinant de sang. Elle arrachait sans mal le textile qui lui tenait encore sur le corps et enfilait un t-shirt et un pantalon. La femme serrait la ceinture au maximum. C'était un peu grand, mais ça avait l'air de tenir donc ça devait bien faire l'affaire en attendant de trouver mieux. Il fallait juste améliorer encore un petit quelque chose ; Le vampire composait alors une technique :



Une lame fit irruption sur son avant bras. Kiyomori découpa rapidement les jambes de son pantalon pour le transformer en short. Ce serait plus facile de marcher ainsi. Elle essayait de regarder le résultat, même si elle ne disposait pas d'un miroir. De toute évidence, elle devait ressembler à une plouc.. Quoi qu'il en soit, elle devait bien se contenter de ce qu'elle avait sous la main. C'était sûrement mieux que de se ballader nue. Quoi qu'elle se demandait si cette idée n'aurait pas tant déplu à son nouvel ami. Elle s'avançait jusqu'à lui et pénétrait dans son champ de vision avant de lui répondre :



Elle restait assez évasive. Elle voulait tuer cet homme, mais c'était si inespéré de retrouver ne serait-ce que sa trace. Et puis elle était encore si faible... Il lui faudrait encore un bon moment avant d'être en mesure de s'investir dans cette quête.

Impossible cependant de savoir si elle cherchait cet homme pour retrouver un visage connu dans un monde presque nouveau pour elle, ou si elle souhaitait assouvir une vengeance.
Masaru se demanda un instant s'il devait émettre un commentaire sur la nouvelle tenue de son interlocutrice mais préféra se raviser. Il l'avait entendue utiliser une technique, ce qui l'avait surpris au vu de son réveil récent. Elle n'était sûrement plus très en forme, bien qu'elle ne laissait rien paraître, raison de plus pour la garder à l’œil encore un peu.



Aujourd'hui le cœur n'y était plus, mais nul doute qu'il retrouverait bientôt toute sa fougue scientifique et reprendrait ses travaux, plus vaillant que jamais. Pour l'heure en revanche, toute motivation semblait l'avoir abandonnée. Il repensait à son enfance, à sa vie jusqu'ici. Qu'avait-il accompli ? Quelle importance sa vie avait-elle ? Son regard se posa sur Kiyo et il sourit. Voilà son héritage. Elle serait ce qu'il laisserait derrière lui, pour le meilleur ou pour le pire. Il pourrait désormais vivre à travers elle. Bien que tenté de lui faire part de cette réflexion, de cette raison pour lui de la libérer, il n'en fit rien. Pouvait-elle seulement le comprendre ? Elle, une Kenkestu incapable de se sentir vivante pouvait-elle concevoir qu'on puisse vivre à travers elle ? Non, ce concept, déjà singulier pour un humain, devait lui être totalement étranger.

Cinquante ans, c'est fou comme le temps passe. Il avait pu abîmer ses vêtements, mais elle, elle conservait le physique d'une jeune fille de 20 ans. Etait-ce réellement le rêve de toute femme ? Nous pouvons imaginer que Kiyomori avait toujours été trop jeune pour se poser ce genre de questions.



Masaru était probablement quelqu'un de dépressif. Malgré tout, elle considérait qu'errer sans but était davantage la malédiction du vampire que celle de l'homme. Il est toujours possible d'apprendre, de s'enrichir. Kiyomori trouvait ça un peu triste qu'un homme de quarante ans ou moins soit aussi désespéré, dépérit. Elle avait connu par le passé, des êtres bien plus vieux, dont l'âge se comptait en siècles, et qui avaient toujours de l'ambition. L'ambition c'est la nourriture commune de l'homme et du vampire. Ce qui leur permet de mettre un pied devant l'autre pour avancer. Même si d'apparence, l'homme a quand même un peu plus de contraintes. Mais ces petits défauts n'étaient pas sans sens, et causaient une sorte de manque et de nostalgie chez notre vampire.

Kiyomori ne savait pas encore si elle devait quitter l'homme ou non. Elle aurait aimé au fond d'elle, qu'il lui demande de rester.

Un simple soupir s'échappa de ses lèvres. Masaru entendait d'ici la réponse pleine de verve qu'il lui aurait faite dix ans plus tôt, ou même encore deux mois auparavant... Aujourd'hui il n'en était plus certain. Le doute s'était immiscé en lui, sapant son moral, piétinant ses convictions. Les faits, ou plutôt l'absence de faits, étaient là, il pouvait toujours essayer de se voiler la face et de s'enfermer dans son habituel fanatisme, la vérité resterait identique : il tournait en rond sans parvenir au moindre résultat. Il regardait le temps passé et le travail accompli, puis le temps qu'il lui restait à vivre et ce qu'il lui restait encore à faire... Peut-être était-ce ça qu'on appelait la "crise de la quarantaine"...



Ces quelques phrases n'allaient pas beaucoup aider sa nouvelle "amie" à comprendre la situation. Après tout elle ne savait toujours rien de son fameux projet. D'habitude il ne rechignait pas à en parler, pourquoi faire tant de mystères aujourd'hui ?



Laissant s'échapper un nouveau soupir, Masaru laissa son esprit vagabonder sur ce qu'il pouvait lui manquer. Il ne cherchait pas activement à trouver, il avait déjà essayé et ne savait toujours pas, mais son esprit continuait inconsciemment à chercher. Il murmura une dernière phrase, pensant à voix haute.



Peut-être Kiyo entendrait cette phrase, peut-être pas. Masaru n'était même pas conscient d'avoir formulé cette hypothèse à voix haute. C'était possibilité la plus vraisemblable qu'il avait trouvé, il avait besoin d'aide. Il restait ensuite à savoir de qui, et ce que cette aide pouvait lui apporter...