Le suplice d'un vampire

Kiyomori continuait à marcher au bord de ce champ de cadavres. Elle devait bien reconnaître que l'oeuvre de Masaru était déjà admirable. C'était vraiment surprenant d'imaginer un homme bien vivant à l'origine d'une telle manoeuvre. Masaru l'intéressait de plus en plus. Elle avait l'envie d'en savoir plus, l'envie de l'aider. Elle avait peu d'informations, mais décidait tout de même d'émettre quelques hypothèses hasardeuses pour relancer le sujet des travaux de Faust.



Puis le vampire ajouta, quelque peu déconcerté :

Kiyomori marquait un point, difficile aujourd'hui de réunir beaucoup d'information sur Faust, son histoire étant devenu une légende et les faits ayant été déformés pour coller au mythe...



Caressant, presque amoureusement, un fémur, Masaru soupira une nouvelle fois. Il aurait adoré trouver des écrits de la main de son illustre aïeul pour l'aider dans sa tâche. Il avait cherché, alors qu'il était encore à Kiri, des traces des travaux du grand homme, mais dans la précipitation du départ de Kumo il n'avait vraisemblablement rien pu emporter avec lui, d'autant qu'il ne devait plus avoir besoin de telles choses pour faire étalage de ses talents.



Il ne regrettait pas d'avoir accepté l'aide de sa nouvelle acolyte. Elle cherchait déjà à remettre en question ses postulats de départ et, peut-être, finirait-elle par mettre à jour que l'un des points centraux de ses travaux n'était qu'une idiotie. Et pouvoir partager plus de 20 ans de travail et de recherches avec quelqu'un pour la première fois n'avait pas de prix...

Masaru s'ouvrait petit à petit à elle. Il lui racontait l'histoire de Faust, ou du moins ce qu'il en restait et ce que le temps en avait fait... Kiyomori n'était pas sans connaître Kumo. C'était certainement le plus puissant des villages militaires. Les membres de cette patrie avaient forcément retrouvés les écrits de Faust, il les avait certainement étudié avec attention. Et s'ils avaient réussi à en tirer quelque chose, nulle doute qu'ils en auraient fait une arme de guerre. A moins que justement... Faust n'ai préféré faire croire à un don héréditaire dans le but de protéger ce grand pouvoir. Le vampire devait se rendre à l'évidence que c'était une manoeuvre plutôt intelligente. Ça éveillait un peu plus sa curiosité, son envie de voir réapparaître ce grand pouvoir. La brune avait envie d'avancer. Il fallait essayer quelque chose, peu importe quoi. Elle observait Masaru et la manière dont il caressait ces os dénudés de toute chair.

Il y avait bien une chose, une seule, son dernier et fol espoir. Voulait-il vraiment entraîner Kiyomori dans cette folie ? Plus tôt, en la découvrant, il aurait sans hésité décidé de la manipuler pour arriver à ces fins. Mais pouvait-il vraiment faire cela à la première personne qui avait accepté son travail, la seule à ne pas avoir fui devant ses travaux, à ne pas l'avoir traité de monstres et, plus encore, la seule à lui avoir proposé son aide. Non, il ne pouvait pas l'envoyer à la mort, car oui, cette dernière piste signerait de manière presque assurée la mort de Masaru, et de quiconque l'accompagnerait.



Infiltrer Kiri, profaner la tombe la plus importante, les illustres Kaguya succombant surtout lors de duels et n'ayant que rarement droit à de réelles sépultures, et quitter le village avec le contenu du cercueil... Quel espoir de réussite cette entreprise avait-elle ? Probablement aucun. Mais c'était la seule chose qui lui restait pour tenter d'accomplir son œuvre, et il ne pouvait plus reculer maintenant, pas après y avoir consacré vingt ans de sa vie. Et puis, qu'avait-il à y perdre au fond ? La vie d'un raté avait-elle la moindre valeur ?

Son idée n'était pas démente, bien que Kiyomori ne comprenait pas vraiment ce que ce vieux tas d'os pourrait lui apprendre. Elle essayait de rentrer dans son raisonnement pour pouvoir l'aider ou lui donner de nouvelles idées.



Elle se remémorait la fin de sa phrase et se décidait finalement à ajouter :



Le vampire commençait à craindre la réponse de son nouvel ami. Kiri était infesté de chasseurs de vampires et Kumo n'était pas vraiment réputé pour son hospitalité. Les deux cas s'apparentaient à du suicide...

Elle avait raison, il y avait peu de chances que quelques fragements d'os lui apprennent beaucoup, mais il ne lui restait que ça et il préférait mourir en suivant un ultime espoir que vivre sans qu'il ne lui en reste aucun.



Faisant volte-face, Masaru s'apprêtait à regagner la chambre spartiate de son antre. Il partirait pour Kiri dès le lendemain, tout finirai là où tout avait commencé, sans qu'il n'ait accompli quoi ce soit.

On aurait pu croire que Kiyomori avait été l'élément déclencheur de cette décision. Pour autant elle s'y opposait. Elle jugeait cet acte désespéré. Irréfléchi. Dans le théâtre de Masaru, elle devait être le témoin du courage, de la bravoure, de la volonté d'un savant qui à consacré sa vie à la science. Il n'en serait rien. A ses yeux, comme aux yeux de ses futurs bourreaux, il ne serait rien d'autre qu'une personne suffisamment faible mentalement, pour se mettre à bout portant et obligé l'ennemi à tirer. Il était même trop faible pour se tuer lui-même ! Il s'inventait des prétextes pour avoir le droit de mourir, il essayait de la convaincre qu'il y avait une utilité à tout cela. C'était trop facile de mourir comme ça. Une mort si bête. Si naïve. Le vampire attrapa doucement le poignet de son hôte qui avait décidé de quitter la scène. Elle exerça une faible impulsion d'une ou deux secondes pour essayer de l'immobiliser ou de le ramener en arrière. Kiyomori ne voulait pas lui donner l'impression de le contraindre. Elle voulait simplement lui faire un signe qui lui permettrait de comprendre qu'elle aurait aimé qu'il reste encore un peu plus longtemps. C'est alors qu'elle ouvrit de nouveau les lèvres :



En disant ça, la brune espérait le faire réagir. Elle le provoquait mais n'espérait pas qu'il se tue, bien évidemment. Mais en ce lieu, il avait la possibilité de s'apercevoir de la bêtise de sa décision. Il pouvait faire machine arrière. Au pieds de la mort, dans le cimetière de Kiri, il n'aurait plus d'autre choix que d'assumer sa mort.

N'était-ce pas humiliant de mourir des mains de ceux que l'on considère comme nos ennemis ?

Elle lui atrappa le poignet et le tira légèrement en arrière. Écoutant ce qu'elle avait à dire il l'a regarda dans le blanc des yeux. Il avait besoin de ce raccrocher à cet espoir, toute sa vie avait été guidée par cette œuvre, ce projet, se retrouver sans rien le terrorisait.



S'éteindre dans ce qu'il lui restait de gloire valait mieux à ses yeux que vivre un restant de vie vide de sens. Il n'avait ni le courage, ni le temps de trouver une nouvelle raison d'être. Il avait tout perdu, il ne lui restait plus rien, à part cet ultime espoir.

Kiyomori commençait à craindre de ne pas être capable de le ramener à la raison. Mais elle ne voulait pas le voir disparaître si bêtement.. Toute cette mascarade restait un suicide à ses yeux. Presqu'un caprice du jeune homme. Comme s'il y avait un dieu qui écoutait les caprices. Mais enfin, à quoi pouvait-il bien penser pour se mettre une telle idée en tête. Sans lassitude, elle essayait encore de l'amener à changer d'avis.



Elle concluait avec une légère amertume. C'était certainement de la déception. L'impression d'avoir échoué. L'impression de n'avoir pas pu le sauver d'une mort certaine. Une mort vaine.

Elle semblait déterminée à l'empêcher de mettre en œuvre son ultime tentative de faire aboutir ses travaux. De quel droit faisait-elle ça ? Pour qui se prenait-elle ? La réponse était simple : pour la seule personne au monde à avoir porté un intérêt au projet de Masaru et à ne pas l'avoir rejeté. En cette qualité il se devait d'écouter ce qu'elle avait à lui dire, d'essayer de comprendre son point de vue. Après tout, elle était persuadée d'agir pour son bien. Kiri n'allait pas s'envoler, il n'était pas à quelques minutes près... il pouvait écouter, et attendre encore un peu.



Si sa réponse n'était pas convaincante, ou qu'elle n'avait rien de concert à proposer il pourrait toujours partir, sinon, il était prêt à lui laisser sa chance. Pas grâce à ce qu'elle avait dit, mais grâce à l'intérêt sincère qu'elle lui portait.

Kiyomori resta bouche-bée. Mais qu'imaginait-il enfin ? Sa demande était un non-sens. Ils venaient à peine de se rencontrer et le vampire ne connaissait pour ainsi dire, rien de lui. Malgré cela, il demandait bêtement la solution d'un problème sur lequel il se penchait depuis vingt ans sans résultat. S'imaginait-il que Kiyomori était une divinité ? Ou bien l'encyclopédie des connaissances du monde ? Non, la brune ne pouvait décidément rien faire pour lui. Elle ne pouvait que constater ce tempérament entêté et lâche. Masaru préférait visiblement fuir les problèmes en laissant sa vie, plutôt que de chercher des hypothèse un tant soit peu censées.



Kiyomori s'entêtais à son tour. Elle cherchait des solutions. Des idées. Elle reprit après un petit moment pour formuler cette proposition :

Qu'avait-il dit pour qu'elle puisse se méprendre à ce point ? Qu'est-ce qu'elle s'imaginait ? Il ne l'avait pas prise pour une divinité ou quoi que ce soit dans le genre, elle essayait de l'empêcher de mettre en œuvre la seule option qu'il lui restait il lui semblait alors logique qu'elle ait quelque chose en tête. Visiblement les seules choses qu'elle avait à l'esprit étaient des fantasmes, des chimères... mais tous ses travaux ne reposaient-ils pas déjà sur un fantasme, sur un mythe ? Néanmoins, l'hypothèse qu'émettait Kiyomori, comme quoi le pouvoir de Faust n'était en rien héréditaire, était intéressante... intéressant mais soulevait encore d'avantage d'interrogations. Pourquoi alors le chakra Gaikotsu avait-il été en lui plus puissant que le chakra Kaguya ? Quel spécificité héréditaire possédaient-ils donc lui et ses semblables ? En possédaient-ils seulement une ?

Il ne croyait pas en un hypothétique clan d'ermites vivants cachés et protégeant ce supposé avoir ancestral... mais cela relevait plus de l'intime conviction que de réelles preuves. Il n'avait pas plus d'indices quand à leur non-existence que quand à leur existence... Quitter son repaire et s'en aller à la redécouverte du monde ? Pourquoi pas, après tout il serait toujours temps de se rendre à Kiri ensuite... Masaru devait admettre n'avoir pas grand chose à perdre à essayer, au vu du gaspillage qu'il avait fait de son temps, celui-ci ne valait clairement plus grand chose...



Ce dialogue de sourds était finalement arrivé à une conclusion. Ce fut laborieux et assez énervant, mais au moins cela avait réussi à aboutir à un semblant de quelque chose... De toutes façons, qu'il décide de rejoindre Kiri ou de se promener au hasard en priant pour tomber miraculeusement sur un indice tombé du ciel, il fallait qu'il quitte le marais de Taki. Cela constituerait déjà une première étape.

Quittant sa salle de travail pour gagner sa chambre spartiate, il déroula une paillasse et s'y installa, laissant son lit à son invitée. Cette discussion l'avait épuisé. Mais au vu de son avenir incertain, il doutait fort que son sommeil soit paisible...