Depuis combien d'années étais-je là ? Depuis le début je le crois. D'aussi loin que ma mémoire me porte, j'ai toujours été cet homme à la solde du clan, et par delà même, j'ai donné ma vie pour ce que j'estimais être la cause la plus juste. D'échelon en échelon, j'ai gravi d'ascension, au point de me hisser aux plus hautes strates hiérarchiques du village. Les confiances des générations d'hier et d'aujourd'hui m'honorent à chaque jour, et je ne peux masquer mon contentement. Du père au fils, j'ai essayé de transmettre les valeurs d'un bon règne. Le jeune garçon que j'ai connu est aujourd'hui un Raikage digne. Mais ses méthodes sont parfois encore brouillonnes, je ne suis guère plus âgé, mais mes heures m'ont accordé une sagesse qui se clôt à la vision bafouée de ce monde. Chose à laquelle Masashi n'a pas accès.
Je suis aujourd'hui l'être de consultation, le père des Shinayaka. Des jeunes garçons dérobés depuis longtemps, et auxquels on m'a désigné la lourde tâche de les éduquer. Choichiro était mon compagnon jusqu'à ce que la traîtrise l'emporte vers d'autres fonds. Il n'y a plus que moi, à l'heure actuelle, pour dominer ces hommes, dont le lavage cérébral s'est effectué depuis leur plus tendre enfance. Je leur ai appris la profondeur d'un sentiment protecteur envers le village, je leur ai appris la souveraineté absolue et incontestable du Raikage, il n'existe à leurs yeux aucune dissidence. Mais quelque part en tout homme réside la conviction d'une ambition. J'ai formaté alors l'esprit des Shinayaka de sorte à hiérarchiser leurs préférences, leurs dévotions. La protection du village est absolue, mais elle en réfère à la parole du Raikage. La parole du Raikage est incontestable, mais elle se soumet à ma propre parole, à ma propre diction. Je suis la puissance absolue et supérieure à toute chose dans ce monde aux yeux de ces pauvres gamins, je suis supérieur à Kumo, je suis supérieur à Masashi. La moindre faille dans l'esprit de ces jeunes n'existe pas...
Yomei était installé derrière le bureau de cette pièce, un couloir réservé aux affaires internes. Se tenait face à lui un Shinayaka qui avait fait preuve d’un peu trop « d’initiatives » face à un débordement des masques rouges. Il s’agissait là de Shinayaka Dohuko, l’un des premiers Shinayaka à avoir été amené à Kumo. Le silence régnait dans la pièce.
Le silence était une source de réflexion et de colère, il était porteur d’une lourdeur qui résonnait dans le cœur du fidèle. Il se savait fautif, ses excuses étaient sincères et profondes. Il avait pensé « bien faire ». Mais il avait pensé.
Il était temps de briser le silence, fracturer la sanction pour infliger des mots encore plus brûlants, des mots qui iraient s’enraciner profondément dans l’esprit de l’homme. Un sermon donné par Hattori Yomei était la pire des épreuves à endurer pour un Shinayaka. L’intervention divine du maître s’ancrait comme la pire punition à recevoir. Il avait déçu.
« Yomei-sensei, pardonnez-moi… »
« T’ai-je donné l’ordre de me supplier au pardon Dohuko ?
Non, alors tais-toi et écoute bien les mots qui vont suivre Dohuko.
Je t’ai élevé comme un fils, je t’ai aimé comme un fils, je t’ai éduqué comme si tu étais la chair de ma chair. J’ai porté en toi tous les espoirs d’un père envers son enfant. »
« Dans le monde il existe deux formes de pensées. Il y a ceux qui réfléchissent, et il y a ceux qui agissent. Toutes les sociétés qui se sont construites depuis des temps immémoriaux en sont arrivés à la même conclusion : les penseurs sont ceux qui dirigent et dictent le bon sens des acteurs. Toutes les civilisations qui se sont inscrites dans l’ordre contraire n’ont été que des peuples barbares irraisonnables, irraisonnés, ayant sombré dans les murmures de l’oubli.
Dans la mémoire ancienne, il est une vérité qui décrit l’existence à la naissance du don de la pensée. Et d’aussi loin que je m’en souvienne, un homme sur mille en privilégie. Il en est ainsi à l’injustice de notre monde. Le comprends-tu Dohuko ? »
« Je le comprends Yomei-sensei. »
« Alors Dohuko, peux-tu me dire à quelle catégorie appartiens-tu ? Et peux-tu me raconter ton sens ? »
« J’appartiens à la catégorie des acteurs. La puissance de mon corps est une force inépuisable qui sert à protéger de toutes ses forces les bien-penseurs. Il n’existe aucune projection d’avenir favorable à l’action irraisonnable d’un mauvais-penseur. Je suis un mauvais-penseur, et il appartient à mon maître Hattori Yomei de juger de chacun de mes actes pour un avenir meilleur. »
« Dohuko, tes actions ont mené à la mort deux hommes, deux masques rouges. Tes intentions étaient louables, mais tes actions ont mené au désordre dans le village, et à une panique politique qui tendait à s’endormir. Il est absolument intolérable que tu aies pu agir sans avoir reçu d’ordre de la part du Raikage lui-même, ou à fortiori de ma propre voix.
Je ressens une déception pour laquelle je ne saurais trouver les mots. Tu étais l’un de mes favoris. »
« Comprends-bien qu’il est impossible pour moi de te laisser vaquer sans punition envers ton comportement. Mais, ta vie est précieuse, et malgré toute la déception que tu m’infliges aujourd’hui Dohuko, je garde quelques espoirs pour toi. »
« Tu seras condamné à 3 mois de cachots, sans autorisation de visite, sans autorisation de sortie. Je serais le seul à venir te voir.
Tâches de redevenir le Dohuko que tu étais autrefois, car à la prochaine erreur de ta part, je veillerai à mettre un terme définitivement et brutalement à ton existence. J’y veillerai par moi-même Dohuko. L’entends-tu ? »
« Votre bonté m’honore Yomei-sensei. »
Toc toc…
« Maintenant tu peux disposer Dohuko, rends-toi de toi-même au cachot et expliques leur la situation, je passerai un peu plus tard peaufiner les conditions de ta punition. Pour l’heure, prends ceci pour te restaurer, et tâches de faire entrer la personne qui frappe à la porte. »
Yomei tendit une boule de riz assaisonnée d’épices locales. Dohuko l’attrapa et témoigna d’un geste simple, le poing posé sur son sternum, de la reconnaissance envers la « bonté » de son maître. Il ouvrit la porte, laissant apparaître le visage de Kaemon, et lui glissa un mot avant de disparaître dans le couloir.
« Le maître est prêt à te recevoir.
Le maître s’est montré d’une indulgence propre à lui-même. Ma vie est sauve, je n’ai que trois mois de cachots. »