Impérial, l'Ancien trônait fièrement sur sa paillasse. De son regard suffisant, il scrutait les deux Mitsuna et écouta avec attention les dires du mastodonte. Lorsque ce dernier termina sa tirade, le vieil homme secoua vigoureusement la tête. L'avait-on dérangé pour si peu ? C'est alors que la colère succéda au silence : il était temps de remettre à leur place ses rêveurs.
« Quelle utopie... Vous les jeunes, oubliez facilement le passé. Si notre espèce est divisée, ce n'est pas pour rien. Nous avons nos raisons de ne pas nous mêler aux autres Mitsuna, surtout à la tribu Taki. Si c'est tout ce que vous aviez à dire, Iroji, vous pouvez disposer. »
Pour accompagner ses mots emplis de dédain et de mépris, le volumineux chef fit signe au voyageur de partir, tel que le ferait un adulte en direction d'un enfant. Puis, il se leva avec peine et s'approcha de son bras droit.
« Alors c'est cela le fruit de tes négociations, Chihiro ? Un plan pathétique dicté par la peur des humains ? J'aurais dû me douter qu'une femme n'était pas digne d'une telle tâche. Cela me servira de leçon : jamais plus je ne laisserai les villageois m'influencer. D'ailleurs, au vu de ta piètre performance, je vais initier ta destitution au plus vite. Il est temps que tu retournes à ta cuisine. »
Les yeux clos, la pragmatique ne fut pas surprise par ce grossier personnage. D'ailleurs, elle s'attendait à plus d'esclandres, il devait être dans une petite forme.
« Comme je m'y attendais, vous vous montrez impulsif et déraisonné. Réduire cette offre à un simple réflexe communautaire est une erreur. Par un tel partenariat, nos peuples connaîtraient une hégémonie culturelle, économique, sociale et historique. Le rapport à l'humanité n'est qu'un détail parmi d'autres. Se focaliser sur cela, c'est faire preuve de mauvaise foi, et vous le savez. Nous avons tant à apprendre des autres tribus, et réciproquement. Notre style de vie rudimentaire pourrait connaître un essor sans précédent. Je ne parle pas qu'en terme de confort, la médecine et les technologies en générale seraient bouleversées par ces échanges. Vous maudissez notre jeunesse, cependant votre âge nous condamne à l'inertie. Pour le bien de ce village, j'invoque mon droit de référendum. »
« Comment oses-tu ! Après tout ce que j'ai fait pour toi ! Sale petite ingrate ! »
Un claquement intense résonna dans la pièce. Le Chef venait de frapper Chihiro au visage. Pourtant, cette dernière resta stoïque. D'un calme olympien, elle souriait même face à ce geste déplacé.
« Ainsi, comme le prévoient nos lois, demain sera organisé un vote : pour ou contre cette alliance. Le perdant devra démissionner et se retirer de la vie politique de notre tribu. Bonne chance, Umi. »
Alors que la conseillère quitta les lieux pour commencer sa campagne, le visage de l'Ancien s'empourpra. L'appeler par ce nom qu'il détestait était un affront insupportable. Et tandis qu'il pestait dans son coin, il s'aperçut que l'orque était toujours là.
« Quoi ? Vous êtes encore là ? Partez, sombre idiot ! Je ne veux pas d'un sauvage tel que vous dans ma demeure ! Votre tribu a suffisamment fait de mal à notre clan ! »