Le cœur battant de Kinchū n'est ni une place, ni un marché, ni même un palais au sens traditionnel : c’est un agencement rigoureux de bâtiments austères, organisés selon une géométrie impitoyable, comme une maquette d’un monde parfaitement contrôlé. Ici, chaque rue semble tracer une pensée impériale, chaque mur reflète une volonté de grandeur — ou de domination.
Les bâtiments sont massifs, mais non ostentatoires. On n’y trouve ni dorure inutile, ni statue triomphante. L’esthétique dominante est celle de l’ascèse : murs de pierre grise taillée, toitures en tuiles noires vernies, larges escaliers sans rambarde qui mènent à d’imposantes portes de bois sombre. L’intérieur de ces édifices n’est pas plus accueillant : longues salles froides, corridors sans fin, tapis en fibres épaisses et neutres. Tout semble conçu pour faire taire le visiteur, pour que celui qui entre ne s’y sente jamais à l’aise.
Les fonctionnaires de haut rang y circulent en silence, vêtus de tenues sobres, les mains jointes dans leur manches, l’attitude humble mais l’esprit affûté. Ils ne parlent que si on leur adresse la parole, et leurs paroles sont pesées comme de l’or. On dit qu’ici, une seule phrase peut signer la mort d’un homme, ou sa promotion.
Au centre du complexe administratif se trouve le Daireikan, le siège de la haute autorité civile. C’est dans ce bâtiment que sont convoqués les gouverneurs de province, que sont jugées les affaires d’État, et que les hauts dignitaires prêtent allégeance au Tennō. Le bâtiment est protégé par des gardes en armure cérémonielle, immobiles, visage dissimulé sous un masque doré évoquant une expression figée. Ils ne parlent pas. Ils n’ont pas besoin de parler.
Rien ne pousse dans les jardins. Tout y est taillé, ordonné, désherbé. Même la nature, ici, doit plier l’échine.